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Les théories libérales ont-elles favorisé l’émergence du nazisme ?

Issu du siècle des lumières, le libéralisme se présente comme une philosophie politique qui prône des valeurs telles que la démocratie, la laïcité, l’égalité entre les sexes, l’égalité raciale, la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté du choix religieux ou encore une forme d’internationalisme. Mais par delà les apparences, connaît-on vraiment l’histoire du libéralisme ? Cette doctrine qui domine sans partage est-elle aussi bienveillante que ses aficionados le prétendent ?

Convaincu de la nécessité d’un nouvel éclairage, le philosophe italien Domenico Losurdo a publié en 2014 une « Contre-histoire du libéralisme ». Dans cet ouvrage, le philosophe revient sur trois siècles de libéralisme. Chapitre après chapitre, Losurdo nous détourne des idées très largement répandues qui laissaient entendre que le libéralisme garantit à l’ensemble de la communauté humaine des droits fondamentaux. Pour lui, l’esclavage, le colonialisme, les génocides, le racisme et le mépris de classe font partie intégrante de l’histoire du libéralisme. Losurdo insiste avec force, méthode et détermination. Sans établir de parallélisme simpliste, il parvient à nous démontrer que les théories du “troisième Reich” étaient déjà en gestation dans la matrice libérale.

En nous inspirant du décryptage minutieux de Losurdo, il nous a semblé utile de revenir sur l’histoire du libéralisme. Tout d’abord en essayant de reprendre à notre compte la méthodologie du philosophe italien qui pointe notamment les contradictions du libéralisme. Puis en nous permettant de recouper les affirmations de Losurdo avec d’autres sources. Enfin, en essayant de comprendre où nous a conduits le libéralisme en 2019, nous essayerons de mieux cerner où il pourrait nous emmener, alors même qu’il est toujours de bon ton de diaboliser les révolutions et la lutte des classes.

John Locke : le père du libéralisme

John Locke (1632 – 1704) était un philosophe et médecin anglais, largement considéré comme l’un des plus influents penseurs du libéralisme. Locke pense que la nature en soi fournit peu de valeur à la société, ce qui implique que le travail consacré à la création de biens leur confère leur valeur. Partant de ce postulat, Locke a élaboré une théorie du travail fondée sur la propriété. Pour lui elle est un droit fondamental lié à la nature intrinsèque de l’être humain, au même titre que la vie ou la liberté. Si, au départ, la terre appartient aux hommes de façon égale, elle leur a été donnée par Dieu et ceux-ci se l’approprient en y apportant la valeur ajoutée de leurs efforts. Il estime également que la propriété précède le gouvernement et que le gouvernement ne peut « disposer des biens des sujets de manière arbitraire ». A la question « de quel droit un individu peut prétendre posséder une partie du monde ?”, Locke répond que “les personnes se possèdent elles-mêmes et donc possèdent également leur propre travail.”

L’esclavage comme fondement

Mais le droit pour Locke n’est finalement pas universel, puisqu’il s’obtient par la volonté divine. De ce fait il ne s’applique pas de la même manière à l’ensemble des individus qui forment la communauté humaine. Dans son système les pauvres doivent être blâmés pour leur pauvreté. Une recommandation qu’il argumente clairement dans un rapport intitulé « Fondements des politiques de la pauvreté ». Locke suggère des réformes axées sur la discipline inculquant des caractéristiques qu’il considère positives telles que le travail acharné. Il affirme que, pour « restreindre efficacement les vagabonds inactifs », les pauvres devraient être mis au travail. Les vagabonds pourraient être contraints de servir dans l’armée et la marine. Ils seraient astreints à des travaux durs, et en cas de délits, à des peines sévères aux travaux obligatoires dans des plantations.

Locke fut l’un des principaux investisseurs de la Royal African Company, pilier du développement de la traite négrière. Dans une carrière aux fortunes diverses, Locke fut intimement impliqué dans les affaires américaines. Il participa à la rédaction des Constitutions fondamentales de la Caroline (divisée entre le nord et le sud en 1729) qui stipule entre autre que les citoyens de la Caroline exercent un pouvoir et une autorité sans limites sur leurs esclaves noirs. “Les Indiens vivent de cueillette, de chasse et de pêche, et non d’agriculture ou d’élevage intensif” argumente Locke. En bon colonialiste libéral il soutient que la terre appartient à celui qui la cultive et non à celui qui l’occupe. Les terres américaines peuvent donc faire l’objet d’une appropriation sans consentement.

Les « Workhouses » : l’univers concentrationnaire pour les pauvres

De 1601 à 1948 au Royaume-Uni, les workhouses furent des sortes de camps de travail, dans lesquels les personnes dites incapables de subvenir à leurs besoins se virent contraintes d’accepter des conditions de vie qui peuvent, comme nous allons le voir, aisément s’apparenter à de l’esclavage. Les malheureux qui survivaient dans une workhouse étaient marqués sur la manche de leur uniforme du « P » qui voulait dire « pauper ». Comme dans les camps de concentration, les détenus, puisqu’au fond il s’agit bien de cela, étaient soumis à une discipline inflexible qui reposait sur un travail épuisant. Les indigents, pour reprendre un terme cher à John Locke, y travaillaient jusqu’à 18 heures par jour. Par l’effet combiné de la sous-alimentation, du travail éreintant (dès l’âge de 4 ans), du manque de vêtements, de la surpopulation et des épidémies, on dénombre 280 000 morts dans les workhouses irlandaises durant la grande famine qui sévit au milieu du 19e siècle en Irlande. Le roman de Charles Dickens “Oliver Twist” critique sévèrement la violence institutionnelle des workhouses. Dans la scène où Oliver demande une petite ration supplémentaire, Dickens détaille parfaitement le caractère inhumain des maisons de travail. Dickens commente aussi sarcastiquement la mesure notoire consistant à séparer les couples mariés lors de l’admission à la maison de travail.

Jeremy Bentham : une conception libérale à deux faces

Jeremy Bentham plaide en faveur des libertés individuelles et économiques, de la séparation de l’Église et de l’État, de la liberté d’expression, de l’égalité des droits pour les femmes, de la décriminalisation des actes homosexuels, et il appelle à l’abolition de l’esclavage. L’axiome fondamental de son discours repose sur le principe selon lequel c’est le plus grand bonheur du plus grand nombre qui mesure le bien et le mal. Cependant Losurdo remarque que s’il y a le Bentham aux allures progressistes, il y a également un autre Bentham aux aspirations beaucoup plus anti-sociales qui ne tarit pas d’éloges à l’égard des workhouses. Des manufactures qu’il entend faire évoluer en « maisons d’inspection » de type panoptique. Un concept dont il est à l’origine qui permet le contrôle des détenus par un nombre de surveillants limité. Bentham justifie sa proposition ainsi : « Les soldats portent des uniformes ; pourquoi les pauvres n’en porteraient-ils pas ? Ceux qui défendent le pays les portent ; pourquoi ceux que celui-ci maintient en vie ne devraient-ils pas le faire ? Non seulement la force de travail qui réside en permanence, mais aussi les travailleurs occasionnels, devraient porter l’uniforme quand ils sont dans la maison, pour le bon ordre, pour la facilité d’être distingués et reconnus, et aussi pour la propreté » . Ce court mais explicite extrait résume très bien l’ambiguïté de la philosophie de Bentham qui d’un côté chante les louanges de la liberté et de l’autre argumente par l’entremise d’une autre facette de sa doctrine dite « utilitariste » la nécessité d’embastiller les pauvres avec pour seul motif qu’ils sont pauvres.

La grande famine irlandaise

L’événement est parfois appelé “famine de la pomme de terre irlandaise”. La cause immédiate de cette famine fut une maladie nommée “mildiou”, un parasite microscopique qui infectait les cultures de pommes de terre. Plusieurs sources considérées sérieuses, évaluent entre 1846 et 1851 à un million le nombre total de victimes. A ce chiffre s’ajoutent deux millions de réfugiés qui migrèrent dans des conditions périlleuses vers des pays anglophones. Dans la même période (la seconde moitié du XIX siècle), la Grande-Bretagne est la première puissance économique mondiale. Son PIB progresse de 600% lors du décollage de son économie de 1700 à 1860. Pendant que les gens mouraient de faim en Irlande, les exportations de céréales se poursuivaient partout en Europe.

Pourquoi les anglais ne sont-ils pas vraiment intervenus ?

1/ L’impact du fléau était exacerbé par la politique économique du sacro-saint « laisser-faire » cher à la mouvance libérale. Il n’était pas question pour les capitalistes britanniques de contrarier les flux de capitaux engendrés par l’exportation de denrées alimentaires.

2/ Dans le protestantisme libéral, il y avait un présupposé métaphysique qui affirmait que Dieu voulait punir les irlandais du fait de leur obédience religieuse (catholique). Tout au long de la famine, Charles Edward Trevelyan, secrétaire adjoint au Trésor, était en charge de l’action des pouvoirs publics anglais. Les idées préconçues de l’élite anglaise se révèlent formellement dans une lettre où Trevelyan écrit qu’il voyait dans cette famine le jugement de Dieu qui selon lui infligeait cette calamité afin de donner une leçon aux Irlandais. C’est pourquoi elle ne devait pas être trop atténuée pensait-il.

3/ Du point de vue de la bourgeoisie anglaise, les irlandais étaient des arriérés, des paresseux, abonnés à la sournoiserie sans que l’on puisse faire quelque chose. Entre autres, le journal libéral The Times tirait à boulets rouges sur le peuple irlandais, pour dénoncer : « une oisiveté rusée, calculatrice, cupide, un refus absolu de tout effort personnel et la maladie morale d’une vaste population plongée dans l’agréable bourbier de l’indigence volontaire… ».

Génocide ou pas ?

Le journaliste et historien John Mitchel fut l’un des premiers à accuser les Britanniques de génocide. Il écrit : « Certes le Tout-Puissant nous a frappés du mildiou mais ce sont les Britanniques qui ont provoqué la famine. » The Famine Plot (le complot de la famine) est un essai écrit par l’historien irlandais Tim Pat Coogan publié en 2012. Coogan y accuse ouvertement les Anglais d’avoir commis un « holocauste ». L’historien de l’économie irlandaise Cormac O’Grada pense qu’une attitude moins doctrinaire à l’égard de la lutte contre la famine aurait permis de sauver de nombreuses vies. Professeur d’histoire moderne irlandaise à la Queen’s University Belfast, Peter Gray dans son ouvrage « L’Irlande au temps de la grande famine » conclut que l’attitude britannique peut être qualifiée de « négligence coupable ».

Rappelons que s’abstenir de porter secours à une personne ou à un groupe de personnes en détresse s’appelle en droit la “non-assistance à personne en danger”. Mais il y a plus grave : le laisser-faire coupable motivé par des préjugés raciaux constitue l’une des bases de l’idéologie fasciste. La grande famine accompagnée du scandale de la non-intervention britannique est l’un des premiers indices qui tend à montrer que le libéralisme fut bien le poisson-pilote des idéologies fasciste et nazie.

Du « darwinisme social » au concept de « race aryenne »

Nous savons tous globalement qu’Hitler et les dignitaires du parti nazi étaient obsédés par la « pureté raciale ». Ils ont ainsi utilisé le mot « aryen » pour décrire l’idéal d’une « race allemande pure ». Selon eux, les aryens avaient un sang pur, la peau pâle, les cheveux blonds et les yeux bleus. Et à contrario les non-aryens étaient considérés comme impurs voire même quasi-diaboliques. Hitler croyait que la supériorité aryenne était particulièrement menacée par les Juifs. Alors certes, si le national-socialisme qui conteste comme nous venons de le rappeler le principe universel d’égalité entre les hommes, a développé ses propres spécificités, il fut aussi un réceptacle des théories racistes forgées au cours des décennies précédentes.

Il en va ainsi des idées développées un siècle plus tôt par Herbert Spencer, qui fut la “tête de gondole” du darwinisme social. Spencer était rédacteur en chef de la revue libérale The Economist, l’autre grand journal libéral anti-irlandais avec The Times qui encouragea la non-assistance durant les années de la grande famine. Le darwinisme social, qui n’a pas grand chose à voir avec le darwinisme, donnera naissance à l’eugénisme représenté en premier lieu par Francis Galton. Pour ce dernier, il s’agissait de préserver les élites nationales à tout prix. Des élites qui risquaient bel et bien de disparaître au profit des pauvres dont le nombre augmentait de génération en génération, prévenait Galton.

Le premier Congrès international de “l’eugénique” se déroule à Londres en 1912. Il est organisé par la British Eugenics Society Education qui compte parmi ses membres imminents une collection de hauts responsables politiques britanniques. Nous retrouvons entre autres : Arthur Neville Chamberlain, qui fut Premier ministre du Royaume-Uni de 1937 à 1940. Winston Churchill qui fut Premier ministre du Royaume-Uni de 1940 à 1945 et de 1951 à 1955. Et l’économiste John Keynes qui est considéré comme la figure de proue du « social-libéralisme ». Dans des circonstances où les pays anglo-saxons et en particulier les américains sont fortement représentés, ce congrès est inauguré par Lord Balfour. Le second Congrès aura lieu à New York en 1921. D’ailleurs bien avant l’Allemagne, les Etats-Unis étaient à la pointe dans le domaine de l’eugénisme. Ils furent même les premiers à mettre en place une législation eugénique.

L’Etat de l’Indiana pratique dès 1899 des stérilisations sur des criminels volontaires et sur des arriérés mentaux. Cet Etat vote en 1907 une loi prévoyant la stérilisation des dégénérés. En 1914, trente états promulguent des textes annulant le mariage de ceux qu’on classe en termes d’idiots. (Actuellement dix-neuf Etats ont toujours cette législation dans leurs textes). Le courant eugéniste américain vise également les immigrants, particulièrement ceux venant d’Europe de l’Est et du Sud. Ces derniers sont désignés comme appartenant à une race inférieure à celle des anglo-saxons. Le mouvement eugéniste gagne ensuite petit à petit l’Europe. Les pays scandinaves sont les premiers à voter des lois de stérilisation envers les épileptiques et les retardés mentaux. Les lois de stérilisation furent abrogées tardivement, d’abord au Danemark (1967) et en Finlande (1970), puis en Suède (1976) et en Norvège (1977).

Dans ce contexte, notons deux citations

“Je souhaiterais beaucoup que l’on empêcha entièrement les gens de catégorie inférieure de se reproduire, et quand la nature malfaisante de ces gens est suffisamment manifeste, des mesures devraient être prises en ce sens. Les criminels devraient être stérilisés et il devrait être interdit aux personnes faibles d’esprit d’avoir des descendants”. Théodore Roosevelt

“La multiplication contre nature et de plus en plus rapide des faibles d’esprit et des malades psychiatriques, à laquelle s’ajoute une diminution constante des êtres supérieurs, économes et énergiques, constitue un danger pour la nation et pour la race qu’on ne saurait surestimer… Il me semble que la source qui alimente ce courant de folie devrait être coupée et condamnée avant que ne s’écoule une nouvelle année.” Winston Churchill

Collusion entre l’idéologie pangermanique et l’eugénisme libéral

En popularisant le concept de « race aryenne », Houston Stewart Chamberlain est indéniablement l’idéologue qui servit de trait d’union entre l’eugénisme anglo-saxon et le pangermanisme qui défendait le Volkstum (le rassemblement de tous les hommes de même langue, de même culture). Inspiré par le darwinisme social et la théorie de l’aristocrate français Arthur de Gobineau qui établissait une dichotomie au sein de la même race (d’un côté la noblesse aryenne et de l’autre les citoyens de race inférieure), Chamberlain publie en 1899 “Die Grundlagen des neunzehnten Jahrhunderts” (La Genèse du XIXème siècle). Cet ouvrage constitue une « histoire raciale » pseudo-scientifique de l’humanité, qui annonce la guerre imminente pour la domination mondiale au XXème siècle entre les Aryens d’un côté, contre les Juifs, les Noirs et les Asiatiques de l’autre côté. Très élogieux, l’Empereur allemand Guillaume II lui écrit : « Je sentais d’instinct que nous, les jeunes, avions besoin d’une autre formation, pour servir le nouveau Reich ; notre jeunesse opprimée manquait d’un libérateur tel que vous !… » Pour les pays anglo-saxons, Théodore Roosevelt, le 26e président des États-Unis, dans un article de l’Outlook, souligne avec prudence un parti pris extrême de l’auteur, mais ajoute malgré tout que l’ouvrage « représente une influence avec laquelle il faut désormais compter, et compter sérieusement ». Naturalisé Allemand en 1916, Chamberlain recevra la Croix de fer peu de temps après, et apportera son soutien en 1923 à Adolf Hitler (un admirateur de la première heure). Il convient de noter que l’Institut Kaiser-Wilhelm d’anthropologie, d’hérédité humaine et d’eugénisme qui dans les années 1930 promeut l’eugénisme et l’hygiène raciale en Allemagne nazie, sera jusqu’en 1939 financé par la Fondation Rockefeller qui était également partie prenante dans les programmes américains et scandinaves.

Une concordance idéologique que l’on retrouve en 1905 quand Francis Galton (anobli en 1909) s’associe à Alfred Ploetz le théoricien allemand à l’origine de « l’hygiène raciale ». Les deux hommes créèrent avec d’autres la Société allemande d’hygiène raciale (Deutsche Gesellschaft für Rassenhygiene). Cette organisation sera affiliée à la “British Eugenics Education Society” de Galton. Une coopération qui permettra l’implantation de succursales en Suède, aux États-Unis et aux Pays-Bas. Par la suite, la “Deutsche Gesellschaft für Rassenhygiene” exercera une influence directe sur des lois comme la « Loi pour la prévention de la descendance héréditaire malade », qui faisaient partie intégrante de l’Action T4 « euthanasie », un programme du régime nazi supervisé directement par Adolf Hitler.

Alexis de Tocqueville : une icône de la bourgeoisie libérale française…

Il est la référence incontournable des chantres français (actuels et passés) de l’« anti-antiaméricanisme ». Les mêmes sont aussi les chantres de l’« anti-socialisme ». Parmi eux : Raymond Aron, François Furet, ou plus récemment Bernard-Henri Lévy et Alain Finkielkraut. Né en 1805, Tocqueville, juriste qui fut tour à tour diplomate, homme politique et historien, est surtout connu aux États-Unis pour son œuvre « De la démocratie en Amérique« . Selon ses dires, l’échec de la Révolution française est le fait d’un attachement trop important aux idéaux des lumières définis en grande partie auparavant par Jean-Jacques Rousseau dans son Contrat social dans lequel Rousseau explicite que la démocratie doit maintenir sa pureté. Tocqueville était quant à lui un libéral classique qui en conséquence prônait la nécessité d’un gouvernement parlementaire. En 1835, Tocqueville entreprit un voyage en Irlande. Il y observe les conditions épouvantables dans lesquelles vivaient la plupart des fermiers catholiques. De plus Tocqueville décrit les Workhouses comme « l’aspect le plus hideux et le plus dégoûtant de la misère ».

… pas si bienveillante qu’elle en a l’air

L’indignation à géométrie variable est une constante chez les libéraux. Si Tocqueville a su se montrer souvent très critique envers la politique sociale britannique, Losurdo nous rappelle que « Tocqueville propose d’appliquer le modèle de la colonisation américaine à l’Algérie : il théorise la « guerre juste » faite aux « sauvages » voués à la destruction, qui passe par des exactions à l’encontre des civils, et l’instauration d’un apartheid garantissant la suprématie blanche ». Selon l’aristocrate français « La race européenne a reçu du ciel ou a acquis par ses efforts une si incontestable supériorité sur toutes les autres races qui composent la grande famille humaine, que l’homme placé chez nous, par ses vices et son ignorance au dernier échelon de l’échelle sociale, est encore le premier chez les sauvages ».

Des crimes multiples liés la colonisation française en Algérie que Tocqueville n’a jamais cessé de cautionner : « J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants, ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre », écrivait Tocqueville avant d’ajouter « Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays … ».

Les pratiques esclavagistes et génocidaires du pouvoir américain

Les Anglais ont établi treize colonies de peuplement en Amérique du Nord aux XVIIe et XVIIIe siècles. Elles accèdent à l’indépendance en 1783 et deviennent les États-Unis d’Amérique. Sur les 36 premières années des Etats-Unis, il y a 34 années pendant lesquelles les Présidents sont des propriétaires d’esclave, relate Losurdo. Ce premier point constitue une différence fondamentale avec la conception des protagonistes de la Révolution française à qui il est reproché une approche trop abstraite de la question politique. Losurdo nous dit : « mais c’est pour cela que la Révolution française a débouché sur cette idée abstraite qu’est l’abolition de l’esclavage« . Cette idée abstraite mais surtout universelle ne pouvait évidemment pas être le produit d’une caste d’esclavagistes qui avaient développé leurs fortunes par le biais du trafic des Africains. Car ne l’oublions pas, entre 11 et 12,7 millions d’entre eux ont été arrachés à leurs terres entre le XVe et le XIXe siècle pour être déportés par les grandes puissances européennes : Portugal, Espagne, Angleterre, Hollande et France.

Bien moins connue, la mise en esclavage des Amérindiens est l’une des autres fautes morales du colonialisme européen en Amérique. Dans son premier livre « Colonial North America« , l’historien Brett Rushforth jette un éclairage nouveau sur le bilan total de l’esclavage des populations amérindiennes. Il établi qu’entre 2 et 4 millions d’autochtones ont été réduits en esclavage en Amérique du Nord et du Sud. Dans son second livre, Rushforth réexamine en particulier l’esclavage des Amérindiens par les colons français, aidés en cela par certains de leurs alliés autochtones. Rushforth retrace ainsi l’interaction dynamique qu’il y avait entre les systèmes autochtones déjà existants et l’institution coloniale française basée sur le continent américain. En Nouvelle-France, pas moins de 10 000 Indiens ont été réduits en esclavage entre 1660 et 1760.

Dans « Contre-histoire du libéralisme » , Losurdo revient sur Thomas Jefferson, le 3e président des États-Unis qui dans sa correspondance privée reconnaît volontiers l’horreur de la guerre contre les indiens. Mais Losurdo précise qu’aux yeux de Jefferson, « c’est justement le gouvernement de Londres qui en est responsable car il a excité ces « tribus » sauvages et sanguinaires : cette situation va nous obliger à les poursuivre jusqu’à l’extermination… ». George Washington proposait quant à lui la négociation de l’achat des terres car pour le 1er Président des États-Unis, l’Indien était un « sauvage » qu’il valait mieux éviter de « chasser » de son territoire, car il y reviendrait à un moment ou à un autre. D’un autre côté, en violation d’un traité en 1779 pendant la guerre d’indépendance, George Washington, le commandant de l’armée continentale ordonne que les territoires des Iroquois soient conquis et dévastés. Le non-respect des engagements envers les indiens accompagne la marche de l’Histoire américaine, nous rappelait l’historien américain Howard Zinn qui écrivait : « les gouvernements américains ont signé plus de quatre cents traités avec les Amérindiens et les ont tous violés, sans la moindre exception ».

En 1763, la Grande-Bretagne, par la Proclamation royale, décida de réserver le « Territoire indien » à l’ouest de la Nouvelle-Angleterre aux autochtones et interdit même aux colons de s’y installer. Cette décision est en grande partie à l’origine de la guerre d’indépendance. On dénombre environ 65 conflits armés ayant opposé les peuples Indiens d’Amérique du Nord aux Américains, dans une période allant de 1778 à 1890. La conséquence immédiate de ces guerres fut la politique de déportation des populations indiennes vers des réserves. Guerres, maladies et massacre des bisons pour affamer les indiens débouchèrent sur un résultat sans appel. Entre le XVIème et le XIXème siècle, la population des natifs américains est passée de plus de 20 millions d’individus à seulement 250 000. Alors génocide ou pas ? Sont qualifiées de génocide les atteintes volontaires à la vie, précise l’ONU. Dès lors, il suffit de relire simplement les aveux de Jefferson pour s’en convaincre : « Cette situation va nous obliger à les poursuivre jusqu’à l’extermination ».

Avant de refermer ce chapitre, n’oublions pas qu’il y a peu de temps, les lois ségrégationnistes étaient encore en vigueur : « Les Amérindiens doivent eux attendre 1924 pour bénéficier de la citoyenneté. Quant aux Afro-Américains, malgré l’abolition de l’esclavage en 1865 et le vote dans la foulée des Quatorzième et Quinzième amendements, qui garantissent théoriquement leur citoyenneté, ils voient, au moins jusqu’aux années 1960, leur droit de vote massivement restreint par des astuces juridiques comme les tests d’alphabétisation ou la grandfather clause, qui impose d’avoir eu un grand-père électeur pour être électeur soi-même ». A cela ajoutons que les mariages « interraciaux » étaient interdits entre blancs et noirs dans une majorité des États avant la Seconde Guerre mondiale, et très souvent aussi entre blancs et Asiatiques ou blancs et Amérindiens. (Slate, 25 août 2017)

Vous avez dit un continent pour une seule race…

En 2017, James Q. Whitman écrit : « Hitler American Model » que nous pouvons traduire par « Le modèle américain d’Hitler« . Dans cet ouvrage, Whitman démontre qu’Hitler s’est tout particulièrement inspiré des politiques ségrégationnistes mises en place aux États-Unis pour élaborer la législation du 3e Reich. Même si Whitman souligne que “les États-Unis ne sont pas responsable de la politique allemande entre 1933 et 1945" , cet essai nous aide à comprendre l’influence américaine sur les pratiques racistes dans le monde entier. Whitman note ainsi qu’en 1942 le ministre nazi Hans Frank qualifiait d’« Indiens » les juifs d’Ukraine…

Philippe Burrin, enseignant à l’Institut des hautes études internationales à Genève, rappelait quant à lui en 2001 dans L’Express que dans un plan de recomposition d’une nouvelle Europe « [Hitler affirmait qu’]il y a une race allemande, à laquelle appartiennent non seulement les Autrichiens, les Suisses allemands, les Luxembourgeois mais également tous les individus d’Europe qui ont pu avoir eu des ascendants allemands. […] Ensuite, on agrège à cette masse allemande les populations parentes dites « germaniques » comme les Scandinaves, les Hollandais, les Flamands, pour former un peuple maître de quelque 100 millions de personnes. Pour que celui-ci puisse croître rapidement, il faut un « espace vital » : Hitler a choisi les terres situées à l’est de l’Europe. Que fait-on des « sous-hommes » qui s’y trouvent déjà ? Réponse logique : on les expulse, ou bien on les transforme, comme jadis, en esclaves qui aideront aux grands travaux d’aménagement, ou, pour ceux qui n’ont pas de territoires, comme les Juifs et les Tsiganes, on les extermine « . En bref : une race supérieure, des expulsions, des esclaves et une extermination de masse. Comme un air de déjà-vu ?

Le « droit-de-l’hommisme »

Au fil du temps, la rhétorique libérale a dû évoluer. Tout d’abord parce que les grandes métropoles capitalistes ont vu leur leadership remis en cause par l’autodétermination chinoise qui a inspiré beaucoup d’autres pays du tiers-monde. Ensuite, parce que la narration droitière et racialiste du 18ème siècle est devenue douteuse, voire même obscène après le procès de Nuremberg. Les libéraux ont donc judicieusement abandonné le racialisme désormais trop voyant et mal connoté au profit d’un discours emprunt de bonnes intentions appelé le plus souvent « droit-de-l’hommisme« , qu’il ne faut surtout pas confondre avec la « Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen” de 1789 qui stipule dans son premier article : « Art. 1er. Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits« . Et de facto, le « droit-de-l’hommisme » allait immédiatement se caractériser par son jumelage avec un autre concept qui allait connaître un succès immodéré : “l’ingérence humanitaire« . Cette fausse belle idée venue de la “gauche-caviar” fut popularisée par le “French doctor” Bernard Kouchner dans les années 1980. Un alibi impérialiste qui a permis par exemple à Sarkozy 1/ de s’emparer d’une plus grande part de la production libyenne de pétrole. 2/ d’accroître l’influence française en Afrique du Nord 3/ d’améliorer la situation politique personnelle de Nicolas Sarkozy en France 4/ de permettre à l’armée française de réaffirmer sa position dans le monde, et 5/ de répondre à la volonté de Kadhafi de supplanter la France comme puissance dominante en Afrique francophone. Ces 5 points sont extraits d’un rapport élaboré par les parlementaires britanniques. Pour des raisons quasi identiques, un autre rapport britannique met en cause la façon dont Tony Blair a lancé son pays dans la guerre, et son soutien inconditionnel à George W. Bush.

Le « Choc des civilisations » ?

Le libéralisme est une hydre à deux têtes et avec le temps, les discours sur les bons sentiments n’ont plus satisfaits pleinement les libéraux du style identitaire. Aussi, ces derniers ont préféré entretenir leur paranoïa en se référant depuis 1993 au « Choc des civilisations« . La promotion de ce concept remonte à un article de la revue Foreign Affairs du Council on Foreign Relations, puissant cercle d’influence connu pour ses penchants néoconservateurs et néolibéraux. Le Choc des Civilisations est avant tout une théorie forgée par l’américain Samuel Huntington qui laisse planer l’idée d’une supériorité morale de l’Occident qui serait menacée par une grande partie du Monde. L’un des problèmes avec la thèse d’Huntington est qu’elle oublie les effets néfastes de plus de 300 ans de culture libérale sur la grande majorité des hommes (esclavage et génocide en particulier comme nous venons de le voir). D’autre part, les Etats-Unis, actuel vaisseau amiral de l’Occident, est de loin le pays le plus guerrier des deux cents dernières années. Il convient aussi d’ajouter que les tenants du « Choc des civilisations » pointent du doigt un conflit entre la « civilisation occidentale » et la « civilisation islamique » en omettant de préciser que tout en étant la principale source de financement du terrorisme islamique, les pétromonarchies du Golfe sont des alliés indéfectibles des États-Unis. Compte tenu de cet état de fait, nous retiendrons que pour les libéraux interventionnistes, le « Choc des civilisations” fut à l’origine de la Guerre préventive qui était le point central de la doctrine Bush. Depuis lors, les guerres sont humanitaires mais aussi préventives puisqu’elles sont promues par les adeptes de deux pôles qui appartiennent malgré tout au même entre-soi.

Et en France ?

Sur le plan social, la lutte syndicale a indéniablement poussé le capitalisme à “lâcher du lest”. Aussi nous pouvons constater qu’à travers l’histoire, seul le rapport de force a fait infléchir le libéralisme qui se déclare social uniquement quand il est au pied du mur. De ce fait, rien n’est jamais totalement acquis dans un monde dominé par les libéraux qui, quelle que soit l’étiquette du gouvernement, s’appliquent à déconstruire le modèle social dont les grandes lignes peuvent se résumer à : Droit à une retraite décente pour tous, gratuité des soins, et assurance chômage. Nous avons vu dans les paragraphes précédents que pour des questions internationales, le libéralisme avait deux têtes donc deux discours (droit-de-l’hommisme et Choc des civilisations). Ce faux débat est également présent pour les questions de politique nationale. D’un côté du débat public, il y a ce qu’il convient d’appeler la “gauche mondaine” qui vient de fusionner autour de Macron avec une partie de la droite dite “modérée », donnant lieux à un conglomérat qui a réduit la classe ouvrière à une classe fantôme. De l’autre côté il y a les libéraux qualifiés de « néo-réacs » qui ont pour cœur de cible la communauté musulmane qui, à leurs yeux, représente l’ennemi intérieur, voire même une cinquième colonne. Cette articulation qui peut se résumer à un débat entre Bernard Henri-Lévy et Eric Zemmour, ou encore entre Robert Ménard et Raphaël Enthoven, préfigure dès maintenant un second tour de la présidentielle 2022 qui opposera Macron à Le Pen, que tous les médias nous présentent déjà comme inéluctable. Toutes les cases identifiées par Losurdo, qui déterminent la longue histoire du libéralisme (racisme, spoliations, mépris de classe, exploitation, vanité, cynisme, sexisme…) sont cochées par l’ensemble des personnages publics de la galaxie libérale qui tentent quelques fois de masquer un naturel qui revient toujours au galop.

Recueil de morceaux choisis

« Aujourd’hui, je ne suis pas prêt à faire les concessions que m’impose le Parti socialiste, c’est-à-dire m’excuser d’être un jeune mâle blanc diplômé. En d’autres temps, c’était un avantage compétitif inouï. Un jeune mâle blanc inspecteur des finances, il y a soixante ans, était le maître du monde » avouait Emmanuel Macron – « Une gare, c’est un lieu où on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien, parce que c’est un lieu où on passe, un lieu que l’on partage » confesse Emmanuel Macron le président de « tous les français » – « D’où tu sors ? Qui t’a élu ? » vocifère à l’encontre d’un Gilet jaune le cinéaste Romain Goupil. « Deux millions de musulmans en France, ce sont deux millions d’intégristes potentiels. » prétend Pierre-André Taguieff, la référence de nombreux médias – « A chaque fois que l’Islam s’est installé quelque part, ça s’est toujours mal terminé » explique le ministre Philippe de Villiers – « les-antillais vivent de l’assistance de la métropole » prévient l’académicien Alain Finkielkraut – Jean-François Kahn, fondateur de l’hebdomadaire Marianne, qualifie l’affaire DSK de « troussage de domestique » – « L’ADN explique 50 à 80 % de nos différences intellectuelles pas 100 % heureusement : l’école peut réduire un petit peu les inégalités ! » nous dit Laurent Alexandre, cofondateur du site Doctissimo qui est chroniqueur au journal Huffington Post, au journal Le Monde, et dans le magazine L’Express. Pour Manuel Valls « il y avait trop de noirs sur le marché d’Ivry. » En conséquence il demande à l’homme qui l’accompagne : « Tu me mets quelques blancs, quelques whites, quelques blancos. ». « Si à 50 ans t’as pas une Rolex, t’as raté ta vie » nous explique Jacques Séguéla, le publicitaire mitterrandien qui a voté en 2007 pour Nicolas Sarkozy. Comme vous l’aurez peut-être remarqué, il y a donc trois discriminations qui reviennent à intervalle régulier chez les bourgeois libéraux : 1/ la discrimination sexuelle 2/ la discrimination sociale et 3/ la discrimination ethnique.

Les deux facettes de la même médaille

Si le débat consacré à l’euthanasie entre Eric Zemmour et Laurent Alexandre sur CNews n’a pas de grand intérêt pédagogique, il révèle néanmoins la tendance actuelle qui est de générer des polémiques autour de sujets dits sociétaux qui ont l’avantage de reléguer les problèmes sociaux au second plan. Sur la forme nous pouvons voir cette confrontation comme une sorte de tragi-comédie qui met en scène deux débatteurs qui à eux seuls cumulent l’ensemble des archaïsmes listés ci-dessus.

Zemmour le champion des droites est sexiste, islamophobe et il admire Napoléon qui entre autre a rétabli l’esclavage en 1802. Alexandre qui comme Zemmour a participé à la “convention de la droite”, est depuis quelques années la coqueluche de certains médias prétendument modérés et foncièrement atlantistes comme par exemple L’Express. C’est un horrible élitiste (c’est lui qui le dit) qui trouve que le président versaillais Emmanuel Macron est génial. Son élitisme décomplexé lui fait souligner dans L’Express « l’urgence de favoriser les bébés chez les intellectuelles, ingénieures et chercheuses« , parce que selon lui « Les femmes douées ont moins d’enfants« . Et logiquement il explique devant un auditoire attentionné que « les gilets jaunes sont des êtres substituables ». Une assertion indirectement mais effectivement remise en cause par une enquête de l’institut Montaigne (pro-Macron) qui indique que les actifs sont au cœur du mouvement des Gilets jaunes. Pour l’heure, Laurent Alexandre peut toujours rêver de Gattaca, il n’en reste pas moins que la société a toujours besoin de ses millions d’employés et d’ouvriers. Si Laurent Alexandre dit être opposé au suffrage censitaire, il y a toujours chez lui l’idée d’un droit obtenu en fonctions des capacités. Déjà présent dans l’oeuvre de Locke, le présupposé libéral emprunté à la pensée aristocratique qui veut qu’il y ait une “race” supérieure au sein de la même “race”.

Socialisme – libéralisme : deux modèles que tout oppose

Pour se soustraire à la critique, l’argumentation libérale consiste à dévier du sujet en martelant régulièrement que les révolutions (non libérales) ont fait des millions de victimes. Ce genre d’assertion univoque et souvent dépourvu de contenu factuel a l’avantage de faire oublier qu’il y a deux types d’acteurs dans une révolution. Les révolutionnaires bien sûr, mais aussi les contre révolutionnaires. Rajoutons à cette remarque que contrairement au libéralisme bourgeois qui lui est au service d’une minorité de privilégiés, le socialisme se caractérise par deux axiomes :

1/ la déclaration universelle des droits de l’homme,

2/ le concept de lutte des classes qui fut impulsé par Karl Marx et Friedrich Engels. Ces deux idées ont en commun le non assujettissement à l’influence politique et à la pression institutionnelle. Dès lors, il n’est pas question dans le proto-socialiste et par la suite dans le socialisme d’anéantir ou même de mettre à l’index une partie de la population. Alors, évidemment qu’il y a eu des crimes dans les révolutions mais il s’agit de déviances qui n’étaient pas prévues dans les projets initiaux. Dans le libéralisme, les crimes que l’on découvre à posteriori sont constamment justifiés à priori. Ce dernier point est capital, puisqu’il établit clairement que le projet libéral est historiquement réactionnaire et raciste alors que le socialisme propose un idéal de liberté et de justice.

En conséquence, la convergence des deux lignes, libéralisme et fascisme, se trouve confortée par des points de vue qui peuvent paraître étonnamment similaires. Le rapprochement idéologique est d’autant plus frappant quand l’exemple choisi fait figure de symbole de la résistance à l’Allemagne d’Hitler : Winston Churchill, célèbre pour ses bons mots et la longévité de sa carrière politique. Son caractère opiniâtre face au péril nazi lui a valu le surnom de « Vieux Lion ». Avec ses allures de tonton débonnaire et bienveillant, Churchill, a su se forger une réputation d’excellence par un travail acharné et soutenu.

Churchill, s’adressant au dictateur italien Benito Mussolini à Rome en 1927, déclara : « Votre mouvement a rendu un service au monde entier. Si j’avais été Italien, j’aurais été de tout cœur avec vous, de bout en bout dans votre lutte triomphale contre les passions bestiales du léninisme. ». En 1943, les Indiens sont prêts à soutenir l’effort de guerre contre le nazisme, à condition qu’on leur accorde l’indépendance. Le premier ministre britannique rétorqua : « partir à la demande de quelques macaques ? », « Je hais les Indiens. C’est un peuple bestial, avec une religion bestiale. ». Sans ménagement, Sir Winston réquisitionnera massivement les denrées. Le résultat pour les populations locales fut catastrophique. On dénombra entre 3 et 4,5 millions de victimes au Bengale selon plusieurs estimations considérées sérieuses. Dans le Illustrated Sunday Herald du 8 février 1920, Churchill accuse les Juifs d’être responsables de la révolution russe. A l’instar d’Hitler dénonçant le danger d’une conquête judéo-bolchévique de l’Europe, Churchill expliqua en substance qu’une conjuration mondiale, motivée en grande partie par de la jalousie, visait à renverser la civilisation en empêchant le processus d’évolution traditionnel. En 1937, il déclara à la Chambre des communes être « fortement en faveur de l’utilisation de gaz toxique contre les tribus non civilisées ». Ce jour-là, le futur Premier ministre du Royaume-Uni apporta indiscutablement sa caution au projet d’extermination physique théorisé dans Mein Kampf par Adolf Hitler au milieu des années 1920.

Conclusion

Les promoteurs de cette idéologie qu’est le libéralisme développèrent dans son premier âge une opposition farouche à l’absolutisme monarchique qui régnait jusque là sur toute l’Europe. A l’origine de ce mouvement, nous retrouvons des prétendants à plus de droits qui vont de la grande bourgeoisie à la petite noblesse. Désireuse de bousculer l’ordre établi, cette nouvelle autorité aux allures de méritocratie est parvenue au nom de vertus autoproclamées (travail, effort, compétence et intelligence) à s’émanciper des monarchies héréditaires et élitistes. Cependant, ce simple renversement s’est opéré sans jamais remettre en cause la totalité de l’ordre social.

Dominico Losurdo nous rappelle que sur les traces des royautés ou des aristocraties militaires, les sociétés libérales ont eu recours pour optimiser leurs profits à l’esclavage, à l’« esclavage salarié », au sous-prolétariat, à la traite négrière et à l’élimination de populations autochtones. Ces crimes furent justifiés au nom d’une appartenance à une civilisation supérieure. Un étalage de faits qui nous éclaire sur pourquoi et comment plusieurs siècles de monarchisme combinés à plusieurs décennies de libéralisme ont débouchés dans la première moitié du 20e siècle sur l’émergence du national socialisme et de ses théories raciales. La contre-Histoire de Losurdo nous démontre de manière indiscutable que tous les ingrédients qui façonnèrent l’idéologie nazie existaient déjà bien avant la naissance d’Hitler.

Nous constatons que le fascisme circule toujours dans le réseau de tuyauterie du libéralisme. Cela se traduit d’abord dans les discours paradoxaux d’un « pôle droit-de-l’hommiste mondain » qui d’un côté fustige les revendications des moins favorisés ici en Europe, et d’un autre camoufle ses prétentions néocoloniales et stratégiques sous un verbiage cynique et hypocrite qu’ils appellent “ingérence humanitaire”. Le danger se précise lorsque nous comprenons que de l’autre bord du même camp se trouvent les identitaires, dont l’archaïsme redondant est marqué par le « choc des civilisations », un concept qui ne repose sur aucun fondement scientifique. Cette aliénation, favorisée par des débats hypermédiatisés comme celui du voile a fini par engendrer d’autres théories paranoïaques comme le mythe du « grand remplacement« . C’est que malgré un « relooking » quasi permanent, le libéralisme est avant tout réactionnaire et conservateur. En conséquence cette doctrine met tout en œuvre pour nous faire oublier l’importance de la lutte des classes dans la construction historique. Mais laissons à Jean Jaurès le soin de conclure : « C’est qu’au fond, il n’y a qu’une seule race : l’humanité ».

Anticons - Observatoire du néo-conservatisme

 https://anticons.wordpress.com/2020/01/15/les-theories-liberales-ont-elles-favorise-lemergence-du-nazisme/
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COMMENTAIRES  

16/01/2020 11:29 par Claude

Documentation instructive sur une idéologie de domination et de destruction de la nature humaine.

16/01/2020 12:17 par Christian DELARUE

Il y a plusieurs libéralismes, le libéralisme politique (démocratie et libertés démocratiques avec droits défendus) n’allant pas toujours avec le libéralisme économique. Ce dernier peut être dépourvu de racisme, de sexisme, d’homophobie, de xénophobie (ce que voudrait Macron), à la différence des doctrines identitaires nationalistes (Le Pen) ou religieuses intégristes (secteurs réactionnaires), mais, en tant qu’extrémisme économique (ultra-libéralisme économique) il est naturellement pro patronal, pro-capitalisme étendu sans Etat social, pro-marchés libres sans règles de protections du travail, etc..., et être d’un anti-communisme dur et large pour aboutir et réaliser. On évoque aujourd’hui la "peuplophobie" ou haine du peuple-classe, variante du mépris de classe portant contre les gilets jaunes et les syndicalistes luttes de classe et de masse et débouchant sur de la surpénalisation. Le libéralisme économique va bien depuis 40 ans avec la thatchérisation du monde soit une répression multiforme dans et hors structures d’emplois, du privé ou du public.

16/01/2020 13:39 par Julo

Le père du libéralisme économique c ’ est Locke qui est raciste et religieux ( intégriste ). Au deumerant Locke est également le père du libéralisme politique .

16/01/2020 14:02 par Serge F.

La citation d’Alexis de Tocqueville "Je ne crains pas le suffrage universel, les gens voteront comme on leur dira" me semble apocryphe, ou alors indiquez-moi d’où elle est tirée. En fait, Tocqueville n’était pas favorable au suffrage universel et voici pourquoi :

Pour moi, je dois le dire, ce que j’ai vu en Amérique ne m’autorise point à penser qu’il en soit ainsi. À mon arrivée aux États-Unis, je fus frappé de surprise en découvrant à quel point le mérite était commun parmi les gouvernés, et combien il l’était peu chez les gouvernants. C’est un fait constant que, de nos jours, aux États-Unis, les hommes les plus remarquables sont rarement appelés aux fonctions publiques, et l’on est obligé de reconnaître qu’il en a été ainsi à mesure que la démocratie a dépassé toutes ses anciennes limites. Il est évident que la race des hommes d’État américains s’est singulièrement rapetissée depuis un demi-siècle.

On peut indiquer plusieurs causes de ce phénomène.

Il est impossible, quoi qu’on fasse, d’élever les lumières du peuple au-dessus d’un certain niveau. On aura beau faciliter les abords des connaissances humaines, améliorer les méthodes d’enseignement et mettre la science à bon marché, on ne fera jamais que les hommes s’instruisent et développent leur intelligence sans y consacrer du temps.

Le plus ou moins de facilité que rencontre le peuple à vivre sans travailler, forme donc la limite nécessaire de ses progrès intellectuels. Cette limite est placée plus loin dans certains pays, moins loin dans certains autres ; mais pour qu’elle n’existât point, il faudrait que le peuple n’eût point à s’occuper des soins matériels de la vie, c’est-à-dire qu’il ne fût plus le peuple. Il est donc aussi difficile de concevoir une société où tous les hommes soient très éclairés, qu’un État où tous les citoyens soient riches ; ce sont là deux difficultés corrélatives. J’admettrai sans peine que la masse des citoyens veut très sincèrement le bien du pays ; je vais même plus loin, et je dis que les classes inférieures de la société me semblent mêler, en général, à ce désir moins de combinaisons d’intérêt personnel que les classes élevées ; mais ce qui leur manque toujours, plus ou moins, c’est l’art de juger des moyens tout en voulant sincèrement la fin. Quelle longue étude, que de notions diverses sont nécessaires pour se faire une idée exacte du caractère d’un seul homme ! Les plus grands génies s’y égarent, et la multitude y réussirait ! Le peuple ne trouve jamais le temps et les moyens de se livrer à ce travail. Il lui faut toujours juger à la hâte et s’attacher au plus saillant des objets. De là vient que les charlatans de tous genres savent si bien le secret de lui plaire, tandis que, le plus souvent, ses véritables amis y échouent.

https://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2012/01/De-la-d%C3%A9mocratie-en-Am%C3%A9rique.pdf

16/01/2020 16:21 par Autrement

D’aucuns qui se donnent des airs de penseur politique croient encore en la fiction d’un Churchill anti-nazi, mais :

En conséquence, la convergence des deux lignes, libéralisme et fascisme, se trouve confortée par des points de vue qui peuvent paraître étonnamment similaires. Le rapprochement idéologique est d’autant plus frappant quand l’exemple choisi fait figure de symbole de la résistance à l’Allemagne d’Hitler : Winston Churchill, célèbre pour ses bons mots et la longévité de sa carrière politique. Son caractère opiniâtre face au péril nazi lui a valu le surnom de « Vieux Lion ».

En réalité , voir ci-dessus tout le chapitre résumé de D. Losurdo intitulé : "Socialisme – libéralisme : deux modèles que tout oppose".
Les véritables sympathies de Churchill y apparaissent clairement :

Churchill, s’adressant au dictateur italien Benito Mussolini à Rome en 1927, déclara : « Votre mouvement a rendu un service au monde entier. Si j’avais été Italien, j’aurais été de tout cœur avec vous, de bout en bout dans votre lutte triomphale contre les passions bestiales du léninisme. ».

Churchill n’a fait que défendre les intérêts impérialistes de la Couronne lorsque ceux-ci ont été physiquement menacés par Hitler. Mais sa collusion avec le nazisme et son art d’instrumentaliser celui-ci sont apparus clairement lorsqu’il s’est agi de la Résistance grecque, qu’il a non seulement trahie mais directement combattue.
Voir le récit de l’historienne Joëlle Fontaine dans l’ouvrage qu’elle a consacré à cette période (De la Résistance à la guerre civile en Grèce. 1941- 1946, Paris, La Fabrique, 2012), ouvrage que l’on peut trouver résumé dans l’article référencé ci-dessous :
http://www.fndirp.asso.fr/wp-content/uploads/2016/02/PR904_site-11.pdf
notamment le paragraphe intitulé : "Churchill prépare dès l’automne 1943 l’écrasement de la Résistance grecque".
C’est une preuve de plus de la complicité intrinsèque de l’idéologie dite libérale et du fascisme.
Sujet d’une brûlante actualité...
.

16/01/2020 19:41 par Ch DELARUE

Ce qui est dit ici de Tocqueville ne correspond guère à ce qui est étudié en fac de droit et-ou science po ou il apparait comme un libéral qui annonce le gout populaire pour l’égalité au sein d’un libéralisme défendu . Gros silence sur ce que je lis ici comme colonialiste sans pitié !
Finalement Tocqueville c’est pas mieux que Hayek qui aimait Pinochet ! Thatcher avait raison qui faisait la promo des livres de Hayek et pas ceux de Tocqueville, du moins ceux ordinairement lus !

16/01/2020 21:49 par Fidèle

Merci pour cet article.
Une très bonne lecture également :
Libéral-réac de Jérémy Perrin chez FBé.

17/01/2020 00:12 par Julo

@ Serge F.
" Je ne crains pas le suffrage universel, les gens voteront comme on leur dira. " est attribuée à Tocqueville par https://www.abc-citations.com/citations/je-ne-crains-pas-le-suffrage-universel/
De plus, Alexis de Tocqueville fut membre du parti de l’Ordre qui avait pour chef de file Adolphe Thiers qui disait ouvertement : "les gens voteront comme on leur dira" https://notrehistoire.ch/entries/RL28LvPRYKA

17/01/2020 11:02 par Serge F.

@Julo
Votre page, comme beaucoup d’autres, ne dit pas d’où est tirée cette citation. Il existe une manie avec Internet de recopier les citations sans verifier les sources. Ce n’est pas la première fois que je constate qu’une citation écrite un peu partout se trouve finalement être apocryphe. C’est le cas, par exemple, de la citation suivante attribuée faussement à saint Augustin depuis le début de XXIe siècle :

A force de tout voir, on finit par tout supporter.
A force de tout supporter, on finit par tout tolérer.
A force de tout tolérer, on finit par tout accepter.
A force de tout accepter, on finit par tout approuver.

Cette citation est apocryphe. Elle n’apparaît dans aucun des 17 volumes des Oeuvres complètes du saint publiées par Louis Guérin.

Je suis tombé sur une page qui nous dit que la citation de Tocqueville vient du deuxième volume de son livre "De la démocratie en Amérique". C’est faux. Elle n’apparaît nul part dans tous les tomes de ce livre, pire elle ne correspond pas à l’esprit de cette oeuvre (relisez l’extrait authentique que j’ai donnée).

Cette citation pouvait tout à fait venir d’Aldophe Thiers, mais je ne vois pas pourquoi elle viendrait d’Alexis de Tocqueville qui me paraissait bien plus fin pour avoit dit ou écrit cela.

Les relations entre Tocqueville et Thiers étaient plus complexes que vous croyez. Lisez pour comprendre les Souvenirs de Tocqueville :

Vaincu par les instances de Barrot et par les nôtres, Rémusat, un soir, avait cédé. Il s’était engagé vis-à-vis de nous, mais, dès le lendemain matin, il vint reprendre sa parole. Je sus avec certitude que, dans l’intervalle, il avait vu M. Thiers, et il m’avoua lui-même que M. Thiers, qui pourtant proclamait alors très haut la nécessité de notre entrée aux affaires, l’avait dissuadé d’entrer avec nous. « J’ai bien vu, dit-il, que de devenir votre collègue ce ne serait pas vous donner son concours, mais seulement m’exposer à être moi-même bientôt en guerre avec lui. » Voilà à quels hommes nous allions avoir affaire !

https://fr.wikisource.org/wiki/Souvenirs_(Tocqueville)

17/01/2020 12:11 par Serge F.

Il serait bon de lire l’ouvrage "Tocqueville et Arendt. Une filiation cachée" de Bernard Kabore :

http://www.editions-harmattan.fr/index.asp?navig=catalogue&obj=livre&no=51018

A travers cet ouvrage, l’auteur démontre comment la pensée philosophique, de même que l’engagement politique d’Hannah Arendt contre le nazisme et la barbarie sous toutes ses formes, sont largement héritiers de Tocqueville.

17/01/2020 12:37 par Mario

Merci a LGS pour ce trés bon article.
Il y a beaucoup de choses dans l’article mais les références aussi valent leur détour.

Je recommande la référence sur la thèse "LA PSYCHIATRIE ALLEMANDE SOUS LE IIIÈME REICH : A PROPOS DE L’EUGENISME EN PSYCHIATRIE"
http://dune.univ-angers.fr/fichiers/20106719/2015MDEPS3487/fichier/3487F.pdf

Cette thèse décrit l’histoire de l’eugéniisme, hygienisme et Darwiniste dans les sociétés quand celui-ci associe la médecine et la politique. Puis le document décrit la mise en oeuvre de cette idéologie sur les "malades" sous le III Reich.

La derniere grande partie parle de la résurgence de l’eugénisme avec les progrès de la médecine dans la génétique, et les pratiques comme la PMA,dépistage pré-natal, etc ...

17/01/2020 14:06 par Julo

Cette maxime est issue de "de la démocratie en amérique tome 2"
Elle est en exergue dans " Le Nouveau Fascisme " de Loïc Chaigneau
https://books.google.fr/books/about/Le_Nouveau_Fascisme.html?id=O8kVBgAAQBAJ&redir_esc=y
https://www.youtube.com/watch?v=kkFhYA7wOXI

Loïc Chaigneau est un professeur de philosophie et le président de l’IHT (Institut Homme Total), institut de formation philosophique et politique. Il est l’auteur de "Le nouveau fascisme" (2013), "Faucons rouges" (2016), "L’imposture présidentielle" (2017) et "Pourquoi je suis communiste", publié en 2019 aux éditions Delga.

17/01/2020 16:08 par Julo

" travers cet ouvrage, l’auteur démontre comment la pensée philosophique, de même que l’engagement politique d’Hannah Arendt contre le nazisme et la barbarie sous toutes ses formes, sont largement héritiers de Tocqueville".

Ah bon « J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre », écrit Alexis de Tocqueville avant d’ajouter : « Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en (...)
https://www.monde-diplomatique.fr/2001/06/LE_COUR_GRANDMAISON/1706

17/01/2020 18:55 par Serge F.

@Julo
Non, elle est introuvable dans les 4 tomes de l’ouvrage de Tocqueville "De la démocratie en Amérique". Vérifiez par vous même :

https://www.institutcoppet.org/wp-content/uploads/2012/01/De-la-d%C3%A9mocratie-en-Am%C3%A9rique.pdf

17/01/2020 19:10 par AF30

Je lirai ce bouquin. Cependant c’est faire au libéralisme un honneur qu’il ne mérite pas et qu’il ne possède pas d’ailleurs que de laisser croire, comme on le fait continuellement, que le libéralisme politique et économique est le fruit d’une théorie. En quelque sorte que la théorie a précédé sa mise en œuvre politique. Il s’agit de laisser croire que ses théoriciens proposaient une autre société, plus efficace, selon leurs critères et partant un mieux vivre pour la majorité des citoyens.
C’est bien évidemment d’une toute autre chronologie dont Il s’agit. Les théoriciens en question prennent le monde tel qu’il est, avec leurs injustices insupportables et pour le justifier et par conséquent pour le perpétuer le pare de théories qui permettent à certains de prétendre qu’il y a derrière leur système un projet organisationnel.
Ils ne désirent pas changer le monde. Ils ne proposent que le statu quo social. Tel qu’ils le constate et tel qu’il doit rester.
Si nous débarrassons leurs discours de tout le fatras théorique que reste-il ? Une pensée sans projet, un laisser-faire. Par le fait une régression.
Il faut leur refuser même cette prétention à une théorie, à un projet. Ce sont des mots pour maquiller les injustices.

18/01/2020 08:19 par cunegonde godot

Cœur de cet article, la conférence de Domenico Losurdo. Pas un mot à retirer.

18/01/2020 10:02 par Julo

@ Serge F,
vous pensez que je vais vraiment m’embêter pour une petite phrase sans grand intérêt . D’ailleurs cette maxime serait assurément débunkée par les spécialistes des contre fake news si elle était fausse . Dés lors, qu’elle est reprise par l’ensemble de la communauté internet.
Si Tocqueville n’avait dit que ça ( ...) . Ci-dessous un article de la revue (pourtant bourgeoise ) Slate revient sur la monstruosité du juriste français .
http://www.slate.fr/story/97761/esclavagisme-racisme-massacres-autre-visage-liberalisme

Apocryphe ou pas ?

18/01/2020 13:07 par Flabu

Les liens qui conduisent à des pages wikipedia anéantissent la crédibilité de l’article. J’ai cessé la lecture avant la fin.

18/01/2020 17:02 par Julo

@ Flabu
c’est du trollage votre méthode

Ecoutez ça plutôt

L’historien Johann Chapoutot publie "Libres d’obéir : le management, du nazisme à la RFA" chez Gallimard, dans lequel il explore les techniques de management du régime nazi.
https://www.franceculture.fr/emissions/la-grande-table-idees/du-crime-nazi-au-management-moderne-une-histoire-commune

18/01/2020 19:00 par Serge F.

@Julo
Argument d’autorité et sophisme ad populum. Je vous signale que Loïc Chaigneau reprend cette citation sans se préoccuper de savoir doù elle est tirée.

Avec de tels arguments, on a pu faire dire n’importe quoi au sujet de Robespierre. Au sujet du racisme et du colonialisme, on pourrait aussi faire un procès à Victor Hugo, ce que je m’abstiens de faire :

http://www.education-racisme.fr/les-racines-du-racisme/la-seconde-colonisation/victor-hugo-victime-des-ideaux-colonialistes/

Ne faites pas comme Michel Onfray dans son ouvrage "Tocqueville et les Apaches". Par exemple, il extrait sournoisement du chapitre traitant des “trois races aux Etats-Unis”, une phrase dont il fait le pilier fondateur d’une pensée perverse : “parmi ces hommes si divers, le premier qui attire le regard, le premier en lumière, en puissance, en bonheur, c’est l’homme blanc, l’Européen, l’homme par excellence ; au dessous de lui paraissent le nègre et l’Indien.” Il se garde bien de citer ce qui suit et qui donne tout son sens à l’ensemble, attestant notamment de l’absence de complaisance de l’auteur pour ce qu’il voit de ses propres yeux : “Ces deux races infortunées n’ont de commun ni la naissance, ni la figure, ni le langage, ni les mœurs. Leurs malheurs seuls se ressemblent. Toutes deux occupent une position également inférieure dans le pays qu’elles habitent ; toutes deux éprouvent les effets pervers de la tyrannie ; et si leurs misères sont différentes, elles peuvent en accuser les mêmes auteurs…”.

Si je souhaite savoir d’où est tirée cette citation, c’est pour la replacer dans son contexte. Quand je tombe sur une citation, j’essaye en général de le faire.

Tocqueville a dit des choses intéressantes et réduire sa pensée est un procédé malhonnête.

18/01/2020 21:08 par Serge F.

@Julo
Voici l’article entier du Monde diplomatique :

http://1libertaire.free.fr/OLCGrandMaison08.html

L’extrait de Tocqueville vient de son document "Travail surl’Algérie", dont voici la version intégrale :

http://classiques.uqac.ca/classiques/De_tocqueville_alexis/de_la_colonie_algerie/travail_sur_algerie/travail_sur_algerie.pdf

Tocqueville était un islamophobe, comme beaucoup d’intellectuels de son époque et d’avant (Bossuet, Montesquieu, Voltaire, Alfred de Vigny, Flaubert ou Schopenhauer).

« Qu’est-ce que la tolérance ? C’est l’apanage de l’humanité. Nous sommes tous pétris de faiblesses et d’erreurs ; pardonnons-nous réciproquement nos sottises, c’est la première loi de la nature. » Voltaire, Dictionnaire philosophique, 1764

18/01/2020 21:33 par Julo

@ Serge F
Cela ci-dessous
c’est un argument qui fait autorité

« J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre », écrit Alexis de Tocqueville avant d’ajouter : « Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en (...)
Du Le Pen puissance 1000
Tocqueville est un vrai réac au service de sa caste
Il n’y a rien à rajouter

19/01/2020 10:14 par Serge F.

@Julo
Vous ne faites que vous répétez. Vous n’avez donc rien à ajouter à ce que je vous ai répondu.

Je vais vous parlez cette fois-ci d’Albert Einstein. Dans ses carnets de voyage, qui n’auraient jamais dû être publiés (documents intimes), lors de son voyage en Chine, il a décrit les Chinois comme « industrieux, sales, obtus » et les a critiqués parce qu’ils « ne s’asseyent pas sur des bancs en mangeant mais s’accroupissent comme les Européens quand ils se soulagent dans les bois feuillus », qu’is sont « une nation bizarre semblable à un troupeau », « souvent plus comme des automates que comme des gens ». Il a aussi écrit qu’« il serait dommage que ces Chinois supplantent toutes les autres races. Pour les gens comme nous, cette seule pensée est indiciblement triste. » Einstein a aussi écrit que les habitants de Port-Saïd, en Égypte, étaient comme des « Levantins criards et gesticulants de toutes les nuances, qui se jettent sur notre navire. Comme s’ils étaient vomis de l’enfer. » Mais il a aussi écrit que les Chinois comme étant « le peuple le plus désolant de la terre, cruellement maltraité et mis au travail jusqu’à la mort en échange de sa modestie, sa délicatesse et sa frugalité ». Puis à Colombo, transporté en pousse-pousse, il écrit : « J’avais très honte de moi de participer ainsi à un si méprisable traitement d’êtres humains, mais je n’y pouvais rien faire. »

Einstein n’avait pas d’idéologie raciste, loin de là, mais des préjugés. Ceux d’un bourgeois occidental élitiste de la charnière des XIXe et XXe siècles, habitué à juger les autres peuples à l’aune de ses propres valeurs culturelles. Et qui plus est en voyage, écrivant des impressions quotidiennes dans un journal privé.

https://www.pourlascience.fr/sr/histoire-scienceseinstein-newton-pasteur-netaient-pas-des-saints-14539.php

Dans une interview accordée au Saturday Evening Post le 26 octobre 1929, Albert Einstein déclara : « Je ne crois pas à la race en tant que telle. La race est une imposture. Tous les peuples modernes sont l’agglomération de tant de mélanges ethniques qu’il ne reste aucune race pure. » Il est clair que par cette déclaration, on ne peut en aucun cas dire qu’Albert Einstein était raciste. Et rendez-vous compte qu’il a dit cela en 1929, pendant que le racisme et l’eugénisme étaient florissants !

http://www.saturdayeveningpost.com/wp-content/uploads/satevepost/what_life_means_to_einstein.pdf

C’est aussi le même homme qui a écrit en 1949 l’article célèbre intitulé « Pourquoi le socialisme ? » qui lui a valu d’être qualifié d’« ennemi de l’Amérique » par Joseph McCarthy au Congrès.

https://www.marxists.org/francais/general/einstein/1949/00/einstein.htm

Autre exemple, Julian Sorell Huxley :

« L’esprit du nègre est aussi différent de l’esprit du Blanc que le corps du nègre est différent du corps du Blanc ». C’est ainsi, dans les colonnes du magazine The Spectator, que le jeune naturaliste britannique Julian Sorell Huxley résumait en 1924 les observations faites lors de son voyage dans le sud des États-Unis d’Amérique. Vingt-deux ans plus tard, en 1946, ce même homme sera élu premier Directeur général de l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture (Unesco), chargée de lutter contre le racisme.

Ce sera certes le même homme, mais cet homme ne sera plus le même. Et le monde autour de lui aura changé tout aussi radicalement. Il y eut d’abord les persécutions des Juifs au cœur de l’Europe ; vint ensuite la guerre avec son vaste cortège de cruautés ; lorsque l’Allemagne capitula, le monde incrédule découvrit la Shoah. Les conceptions raciales qui semblaient auparavant sinon sensées et convaincantes, du moins anodines, finirent par dévoiler toute leur abomination.

https://journals.openedition.org/lhomme/29406

Comme écrivit Tocqueville dans son ouvrage « De la démocratie en Amérique » :

Quelle longue étude, que de notions diverses sont nécessaires pour se faire une idée exacte du caractère d’un seul homme ! Les plus grands génies s’y égarent, et la multitude y réussirait ! Le peuple ne trouve jamais le temps et les moyens de se livrer à ce travail. Il lui faut toujours juger à la hâte et s’attacher au plus saillant des objets. De là vient que les charlatans de tous genres savent si bien le secret de lui plaire, tandis que, le plus souvent, ses véritables amis y échouent.

19/01/2020 10:34 par Philippe

Merci à Anticons pour mettre à l’honneur ce grand penseur que fut Domenico Losurdo.
Pour aller plus loin (outre lire ses ouvrages...) :
http://www.librairie-tropiques.fr/2016/12/domenico-losurdo-avec-bernard-bourgeois-extension-du-domaine-de-la-lutte-des-classes.html

Pour en revenir à Tocqueville, Losurdo met bien en évidence les contradictions douloureuses qui traversent l’ensemble de ses écrits - le Tocqueville d’avant 1848 fait de la "démocratie" le meilleur des systèmes, mais lors des journées de Juin il soutien sans réserve l’attribution de pouvoirs étendus à Cavaignac pour massacrer les ouvriers.

19/01/2020 11:35 par Assimbonanga

C’est la condition obligée de la colonisation. J’ai récemment écoutée une douce jeune femme, mère poule, juive, tenir sur les Palestiniens des propos exactement similaires à ceux que tenaient les colons en Algérie, haine, racisme, désir de vengeance, mépris, mais surtout haine. C’était pour moi un immense étonnement.
"Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre  ». Si vraiment ce Tocqueville a dit cela, hé bien, ce n’est qu’une conception, certes dominante, celle qui s’est produite. Il y aurait eu d’autres méthodes pour se garantir des débouchés, échanges, commerce. La conception qui a triomphé est belliqueuse, viriliste, arrogante, hâtive et gaspilleuse. La haine et la bêtise s’y incrustent et conduisent toujours au pire. Se croire supérieur aux autres est la pire des tares.
C’est cette marque de fabrique de l’espèce humaine qui nous mène irrémédiablement au désastre final, très bientôt.

19/01/2020 23:22 par Julo

@ Serge F,

je vous conseille ce bouquin Emmanuel Faye
" Arendt et Heidegger "

N’y a-t-il pas une contradiction dans l’œuvre d’Arendt ? On y trouve une description critique du totalitarisme national-socialiste, mais aussi l’apologie de Heidegger érigé, malgré son éloge de la « vérité interne et grandeur » du mouvement nazi, en roi secret de la pensée.
L’étude des Origines du totalitarisme montre qu’Arendt développe une vision heideggérienne de la modernité. Dans Condition de l’homme moderne, la conception déshumanisée de l’humanité au travail et le discrédit jeté sur nos sociétés égalitaires procèdent également de Heidegger.
En outre, des lettres inédites montrent qu’Arendt a décidé de marcher sur les pas de Heidegger avant leurs retrouvailles de l’année 1950. Il s’agit d’une adhésion intellectuelle, irréductible à la seule passion amoureuse, et qui mérite d’être prise au sérieux.
Certes, Arendt ne partage pas l’antisémitisme exterminateur de Heidegger confirmé par ses Cahiers noirs. Que devient cependant la pensée, lorsqu’elle se voit instrumentalisée dans l’opposition – nouveau mythe moderne – entre Heidegger, le « penseur » retiré sur les hauteurs neigeuses de sa hutte de Todtnauberg, et Eichmann, l’exécutant sans pensée, le « clown » muré dans sa cage de verre ?

20/01/2020 17:48 par Ben

Je voudrais faire une petite remarque concernant l’indépendance des ex. colonies britanniques qui formeront les USA . il me semble que la date est le 04 juillet 1776.

21/01/2020 00:01 par Dominique

La situation idéologique de l’occident est encore pire que ça et ses racines sont bien plus anciennes. Dés Gilgamesh, ce tyran de Mésopotamie qui a tué le gardien de la forêt des dieux pour pouvoir la raser et construire une ville avec des troncs d’arbres morts, nous nageons en plein matérialisme : alors que la nature est notre seule source de vie, nous la contraignons à s’adapter à des modes de vie qui la massacre et qui, suite à la globalisation de ce concept suprématiste de civilisation et son industrialisation, a transformé notre mode de vie en une véritable guerre contre le vivant, guerre que la civilisation est en train de gagner. Hitler ne tuait que les juifs et ceux qui s’opposaient à lui, notre mode de vie ne donne pas dans ce genre de détail, il extermine tout. Le résultat est qu’au moins 60% du vivant de notre seule source de vie a disparu à jamais et que le rythme de cette solution finale, comme dés le premier jour de la catastrophe industrielle, continue d’accélérer avec chaque nouvelle technologie industrielle.

Les différentes révolutions qui ont parsemé l’histoire occidentale n’ont rien changer à cela, bien au contraire. Les chrétiens se sont lancés à la conquête du monde lors des colonisations au nom de leur dieu : "Tu domineras la terre et toutes ses créatures" - Bible p.2, le mythe de Gilgamesh prouve que même sur ce point, les hébreux n’ont rien inventer. Après les révolutions bourgeoises, les colonisations ont continué et l’industrialisation a été imposée par la force à tous les peuples de la planète, même à ceux qui n’en voulaient pas. Quand aux économistes marxistes, comme leurs collègues capitalistes, ils considèrent la nature comme une variable externe, c’est à dire qu’elle n’est bonne pour eux qu’à s’adapter à l’industrialisation. Ce qui suffit à démontrer qu’ils n’ont aucune réelle solution à proposer, notre rapport à la nature demeurant inchangé et comme c’est la base de l’ontologie de toute société, ce ne sont pas eux qui vont stopper le désastre mortifère qu’est la civilisation industrielle.

Le comble de tout ça est qu’avec l’industrialisation, les peuples ont adopté la morale et les attentes des bourgeois, comme dans la publicité, cet abominable évangile des temps modernes au messages unique "consommons plus", ils en veulent toujours plus et se fichent pas bien mal de savoir que c’est le meilleur moyen de finir cette solution finale par extermination du vivant.

La conséquence de tout ça est que d’une part, en tant qu’individus, nous sommes totalement impuissant à changer quoi-que-ce soit, sauf à envisager que des gains passagers sur des points de détails puissent être considérés comme victoire, pas que les politiques de tous bords n’hésitent pas à franchir. D’autre part, la seule alternative qui nous reste est, comme du temps des nazis et de leur solution finale, de former un véritable mouvement de résistance capable d’arrêter la civilisation industrielle est d’organiser les gens afin de leur permettre de développer des sociétés alternatives multiples basées sur le local.

Vive la résistance, notre seule alternative réaliste !
Vie la vie et le vivant, nos seuls alliés !

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