Publié en 2016, Jacques Michel Gourgues, dans les manuels scolaires en Haiti ; outils de la colonialité, converge une somme de critiques objectives et constructives dans le but de dénoncer la domination du savoir et les rapports de vérité et contre vérité dont ils sont porteurs. L’auteur, à travers ces réflexions, nous pousse à se questionner sur le contenu des ouvrages utilisés dans le systèmes scolaires haïtiens comme outils de colonialité. Quels sont les conséquences d’une éducation construite sur une telle controverse ? Peut-on encore parler d’éducation relatif au sentiment d’identité à la culture nationale et au patrimoine historique du pays ? Sont les interrogations auxquelles l’auteur tente d’y réfléchir.
Ces réflexions sont basées, d’une part, sur des travaux d’un groupe Latino-Americain Moderne/Colonialité (MC), qui dénoncent de nouvelles formes de dominations dans les pays (dits) périphériques, dans la lutte contre le colonialisme moderne telle que la colonialité de l’être, du savoir et du pouvoir. D’autre part, sur des Théories Critiques de la Race (CRT) consacrées à la notion de race et de racisme dans la construction des savoirs. Ainsi, l’auteur souligne dans son texte ces traits caractéristiques du colonialisme moderne fondés sur les notions de race, sexe et couleur qui sont quasi présentes dans les manuels scolaires comme une « contre-vérité » pour asseoir leur domination.
Cette étude peut s’inscrire dans l’ensemble des réflexions actuelles engagées sur la réforme du système scolaire haïtien et précisément de l’école fondamentale. L’auteur est loin de penser les institutions scolaires comme des institutions closes qui interviennent uniquement dans le domaine du savoir. Pour lui, reformer l’école implique la réforme du citoyen (être), son rapport à l’autre, à la cité (pouvoir) et à la connaissance (savoir). La première partie de l’ouvrage consiste à analyser les caractéristiques redondantes de cet exercice de violence épistémique traversée par les outils scolaires haïtiens. Celle-ci, se manifeste par la « dépréciation identitaire » et « ébranlement des repères », d’où la colonialité du savoir, qui, a son tour influence les expériences vécues par le dominé, d’ou la colonialité de l’être. Enfin, la colonialité du pouvoir n’est autre que cette force qui empêche au dominé de se manifester comme sujet pensant et comme producteur de savoir.
Jacques-Michel GOURGUES ne se contente pas de décrire les formes d’inégalités et de dominations reproduites dans les manuels scolaires haïtien. Il propose aussi une méthodologie afin d’apprécier d’un œil nouveau ces outils de la colonialité. Se basant sur les propositions de Granda Merchan (2003), de Christine E. Sleeter et Carl Grant (1991) et du California State Département of Education (1998), l’auteur s’accentue sur deux points fondamentaux. Le premier concerne les modes de présentation des textes et les types d’interactions qui dominent les écrits. Le deuxième sur les types de relations qui existent entre les groupes de représentation et les places qu’ils occupent. En somme, l’auteur dénonce ces « stéréotypes » qui font des manuels scolaires en Haïti « un repère mentaux radicalisés chez les apprenants ».
On relève en effet l’existence d’ « une domination essentiellement colonial » traversant les manuels scolaires édités par les Frères de l’Instruction Chrétienne (FIC) en matière des sciences sociales en Haïti. Cette forme de domination participe à la construction des sujets coloniaux tout en défavorisant l’émergence de citoyens haïtiens « civilisés » et « modernes », pour reprendre les termes de Beatriz González Stephan. Il démontre en même temps l’existence d’une suprématie de l’épistémologie Européo-Nord-Américain en termes de référence sur les épistémès locales. Ainsi, les manuels scolaires en Haiti sont en inadéquation aux objectifs visés par l’école haïtienne dans ses enseignements.
L’auteur cherche à combattre les rapports colonialistes, qui existent entre les pays (dits) périphériques des puissances coloniales impériales comme la France, l’Angleterre ou en encore les Etats-unis d’Amériques dans les pratiques enseignantes. Ainsi, il propose une réforme radicale du système mettant en phase une revalorisation de l’épistémologie locale et autochtone, afin de rapprocher l’apprenant à sa culture et à ces valeurs propres. Le système éducatif haïtien, notamment l’institution scolaire, ne constitue qu’un moyen de domination capable de se renouveler en permanence. Ce qui requiert de véritables révisions.
Saul JACINTHE
saul_jacinthe@yahoo.fr
Doctorant en Sciences de l’éducation.
Jacques-Michel GOURGUES, 2016. Les manuels scolaires en Haiti ; Outils de la colonialité. Harmattan, Paris.