Le juge d’instruction, Marc Trévidic vient de publié un ouvrage où il dénonce notamment les limites démocratiques, lorsque les parlementaires, de même que les juges, n’exercent pas leur rôle de contre-pouvoir, dans le cadre de la séparation entre le pouvoir exécutif d’un côté et le pouvoir législatif et judiciaire de l’autre. Ce qui engendre des dérives inexorables, en particulier avec l’argument du « secret défense » et de la « raison d’Etat » utilisé par l’exécutif (gouvernement, service secret, armée...) [1].
Le juge Trévidic dénonce le fait que « le dispositif sur le secret défense n’est pas constitutionnel » [2]. Il estime ainsi que « le Parlement a abdiqué ses responsabilités sur la question du secret défense. La mission parlementaire sur l’attentat de Karachi s’est ainsi vu refuser des documents classifiés sans s’indigner outre mesure, excepté l’un des membres de cette mission. Je suis sidéré par cette situation ! Quant à la commission chargée d’examiner les demandes des juges, elle donne un simple avis. Elle ne dispose d’aucun pouvoir d’investigation, ni d’injonction. La décision relève du seul ministre. La création d’une ’juridiction du secret défense’ est plus que jamais nécessaire. Composée de magistrats extérieurs au dossier, elle serait chargée de déterminer la pertinence de la demande des juges » [3].
Le « secret défense » de la raison d’Etat est la boite de Pandore contre la transparence démocratique. Le fait qu’il faille parfois, pour des raisons de défense nationale invoquer le « secret d’Etat », ou « le secret défense » engendre un biais très préjudiciable dans la transparence de la démocratie. Si au départ, les motifs sont légitimes, ensuite, la pratique se développe et les élus, ou les administrateurs de l’Etat utilisent le motif de la raison d’Etat pour dissimuler des éléments dont leurs citoyens devraient légitimement être informés. En 1989, par exemple, sous les motifs officiels de ne pas inquiéter la population, les français n’ont pas été informés à temps des retombées du nuage radioactif de Tchernobyl. En réalité, on peut supposer que le lobby militaro-industriel du nucléaire n’avait pas intérêt à laisser se développer une psychose autour du danger des centrales nucléaires.
Concernant le rôle du juge d’instruction Marc Trévidic souligne : « La police qui interpelle et le parquet qui poursuit dépendent du même pouvoir exécutif. S’il y a un attentat demain en France, il faudra à tout prix des résultats... et vite. Moi, quand j’étais au parquet et que ma hiérarchie me donnait l’ordre de déférer quelqu’un, j’obéissais, et ce n’était que l’application logique du système hiérarchique légalement prévu. La loi m’interdit de donner ma position et d’argumenter. Les parties civiles, elles, ont le droit de s’exprimer et de rapporter ce que leur a dit le juge. Le seul à pouvoir communiquer reste le parquet, hiérarchiquement dépendant du pouvoir. Mais cette communication officielle s’apparente parfois à une communication à la soviétique » [4]. On ne compte d’ailleurs plus le nombre d’affaires impliquant les élites politiques et économiques, classées sans suite, par le parquet.
Il y a souvent de fortes collusions entre les intérêts des industriels de l’armement, l’armée et les services secrets. CS est une firme spéciale, où ont "pantouflé" d’anciens hauts responsables de la DST (l’ancien n° 2 Raymond Nart et son adjoint Jacky Debain) (Verschave, 2001 : 145) [5]. C’est-à -dire que des anciens membres des pouvoirs publics continuent leur carrière dans le secteur privé, avec le risque d’une perte de l’indépendance de l’Etat et donc de l’intérêt général.
Le brillant stratège du Secrétariat général de la Défense nationale, le général de division Claude Mouton deviendra en juillet 2000, directeur général de Brenco-France, l’entreprise de l’entrepreneur Pierre Falcone. « Quand il était au sein de Communication et systèmes, a expliqué Falcone aux policiers, il recevait les Angolais qui étaient en formation chez CS, je proposais des espèces pour s’occuper [d’eux] ». L’intitulé du compte de Mouton ? "Panurge" (Lhomme, 24/01/2001) [6]. A Pékin, Brenco est représentée par Thierry Imbot, il est un ancien membre des services secrèts, le fils de l’ancien patron de la DGSE et fournit des équipements militaires d’Europe de l’Est au Vietnam et en Birmanie. « Imbot était durant la fin des années 90, chargé d’opérations de change - de francs CFA en dollars - pour des chefs d’État africains comme le président congolais Sassou II, grand ami du président angolais » (LDC, 14/12/2000) [7]. Grâce à ses « appuis au sein de la DST ou dans des groupes comme Thomson, le Giat ou la Compagnie des Signaux », Falcone est devenu « l’un des plus grands marchands d’armes du monde » (Routier, 28/12/2000) [8].
En 1997, les sociétés Simportex et Kopelipa ont acheté en Europe de l’Est pour quelque 3 milliards de francs d’armes, munitions et fournitures diverses. Heureux courtiers : Pierre Falcone et Arcadi Gaydamak ( ce qui conduit le fisc français à leur réclamer 1,25 milliards de francs. [9] (Verschave, 2001 : 143). Brenco en avait déjà équipé la narcodictature birmane, en affaires avec Total. Le tout « a été vendu au moins quatre fois le prix habituel du marché pour de tels matériels ! (Demonpion, 05/01/2001) [10].
Un article de M. Karl Laske dans ’Libération’ du 21 juillet 1998 intitulé ’La chute d’une barbouze’, évoque l’existence de documents saisis par la justice, lors d’une perquisition au siège d’Elf, par la juge Eva Joly, le 15 mai 1998. Les documents démontreraient les liens entre les services de sécurité d’Elf, des membres de réseaux et le président Sassou N’Guesso.
Trois ONG françaises, ’Agir ici’, ’Frères des Hommes’ et ’Survie’ ont écrit aux membres de la mission parlementaire, le 10 septembre 1999 « En effet, les Transall de l’armée française n’ont cessé de livrer des armes à la faction au pouvoir, - à savoir le président Sassou N’Guesso (Aubert, 1999) [11].
On observe donc de nombreux points communs entre les dessous du procès Elf et celui de l’Angolagate et d’autres affaires. Il y a, dans les deux cas, un lien fort entre le marché du pétrole et de l’armement, car ce dernier sert aussi à préserver les intérêts pétroliers. Mais aussi, on relève aussi une collusion entre les services secrets et les intérêts économiques privés, en particulier l’industrie privée de l’armemement. Maurice robert, était chef de la sécurité d’Elf et ancien chef des services secret français en Afrique, pivot du reseau Foccart-Chirac (Verschave, 2001, 32). Ainsi, à l’exception de Gaydamak ,ex-colonel des services secrets russes (KGB), tous les personnages clés suivants ont été aussi membres des services secrets français : Étienne Leandri, Alfred Sirven, Pierre Lethier, Jean-Yves Ollivier. Certains protagonistes clés, tels le général Mouton, ou l’agent secret Thierry Imbot passant du service de l’Etat à celui des entreprises privées d’armement. Finalement, les intérêts des membres de l’appareil répressif d’Etat (l’armée) et des grandes entreprises convergent, car fondamentalement, elles visent assurer les profits des élites au pouvoir, fussent-ils au détriment des peuples.
Par ailleurs, certains présidents africains ont été chaperonnés par un colonel de la DGSE, soi"‘disant chargé de sa sécurité, et de multiples conseillers français. Par exemple, tous les conseillers du « président » ivoirien Houphouët"‘Boigny étaient français (Verschave, 2000) [12].
Les services secrets de l’Etat luttent parfois entre eux pour protéger les corrupteurs influents. Le 6 décembre 1998, le fisc perquisitionnait chez Brenco ( 6 jours avant la police). Mais quelques heures plus tard, une visite inattendue dans leurs locaux, celle de plusieurs hommes se présentant comme des fonctionnaires de la DST.Ceux-ci sélectionnent certains des documents saisis et les emportent » ( Guisnel, 12/01/2001) [13], afin de protéger Falcone et Gaydamak. Ce dernier a été « protégé au-delà de toute prudence par la DST, en raison des portes qu’il lui ouvrait en Russie (Guisnel, 22/12/2000) [14] ». « Falcone fut longtemps intouchable ». « Le fait que la DGSE ait pu communiquer à la justice ses synthèses sur Gaydamak et Falcone, traduit le lâchage conjoint de Charles Pasqua par l’Élysée et Matignon » (Verschave, 2001 : 149).