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Le Débat Public sur les nanotechnologies adémocratique.

Face aux inquiétudes des citoyens français quant aux conséquences nocives du développement massif des nanotechnologies, le gouvernement français, en accord avec le Grenelle de l’environnement a décidé d’organiser un grand débat public sur les nanotechnologies. Ce débat, initié le 15 Octobre à Strasbourg, se terminera le 23 février 2010 à Paris. Au programme, 17 villes françaises accueilleront cette consultation populaire censée ouvrir la voie à un examen démocratique et indépendant. Mais, le cadre de cette analyse de l’opinion publique, ne semble pas être aussi impartial que le prétend la Commission Nationale du Débat Public (CNDP). Le collectif grenoblois Pièces et Main d’Oeuvre (1) et des citoyens appellent au boycott du débat en avançant de nombreux arguments. Parmi ceux-ci, ils reprochent au gouvernement d’avoir dores et déjà pris les décisions relatives au développement des nanotechnologies en France. Dans cette perspective et, afin d’en dénoncer l’imposture, le collectif Pièces et Mains d’Oeuvre a mis en ligne un site alternatif à celui du débat public : « Aujourd’hui le Nanomonde », éponyme de leur dernier ouvrage. (2)

1. Historique du débat public faussé et Nucléaire.

A la demande de huit ministères dont celui de l’Ecologie, de l’Energie, du Développement durable et de l’Aménagement du territoire, la Commission particulière des débats publics (CPDP) a fait appel à I & E Consultants pour porter le sujet des nanotechnologies à la connaissance des Français et leur demander leur avis. (3) Cette agence de relations publiques a déjà organisé plusieurs débats publics dont ceux portants sur l’EPR (le réacteur nucléaire de troisième génération). Ces débats avaient débutés en septembre 2005 alors que la décision concernant le réacteur ITER (fusion nucléaire, construction annoncée à Cadarache, Bouches-du-Rhône) avait été signée par la France avec ses partenaires étrangers (USA, Russie, Chine, Japon, Corée) le 25 juin 2005. De la même manière, le réacteur EPR (fission nucléaire), dont la construction était annoncée à Flamanville dans la Manche avait été votée le 13 juillet 2005 par les parlementaires.(4) Le débat public était donc un événement qui intervenait après les prises de décisions officielles.

Patrick Legrand, alors président de France Nature Environnement (FNE) avait été chargé de présider le débat. Le jeudi 26 janvier 2006 se tenait à Aix-en-Provence, la séance d’ouverture du débat public sur ITER. En analogie avec le présent débat sur les nanotechnologies, une centaine de manifestants ont dénoncé un débat public qui intervenait après les prises de décisions puis en avaient empêché la tenue.

Suite à cet incident, il fut décidé de ne plus organiser de débat dans les universités, la seconde étape du débat eut donc lieu dans un centre EDF. Et, la police « filtrait » les participants à l’entrée. Ainsi, le président de la Ligue des Droits de L’homme (LDH) de Haute Provence, François Sueur, s’était vu refuser l’entrée par les forces policières. (5) Cela n’empêcha pas Patrick Legrand de déclarer plus tard dans un communiqué AFP daté du 7 mars 2006 :

« Le débat engagé autour du projet ITER n’a pas fait apparaître une opposition structurée à ce centre international de recherche sur la fusion nucléaire, a estimé mardi Patrick Legrand, président de la commission du débat public sur ITER. "Moi, je n’ai pas entendu grand chose. Il n’y a pas de mouvement constitué, ouvertement hostile à ITER", a indiqué M. Legrand, ancien président de la fédération écologiste France Nature Environnement, en attribuant les tensions ayant entouré l’ouverture du débat à quelques individualités. » (6) Le principe de démocratie, cher aux organisateurs du débat avait donc été largement mis en doute par plusieurs événements et, malgré les interventions critiques de citoyens, la censure l’emporta.

2. Veille de l’opinion et stratégies industrielles.

Pour l’occasion du débat public sur les nanotechnologies, I & E Consultants s’est cette fois associée à l’agence S-Cape Evénements pour monter, d’octobre 2009 à février 2010, une vingtaine de réunions en France réunissant experts, grand public et associations.(7) I & E Consultants a eu de nombreux clients : Agence de la biomédecine, Assurance maladie, Banque du Luxembourg, Boeing, Coca-Cola, Collective de la Pomme de terre, EDF, Motorola, mais aussi les géants Sanofi Aventis et Pfizer. (8)

« Depuis deux ans, nous avons entrepris, avec I&E, de développer notre communication corporate auprès des leaders d’opinion »,expliquait le docteur Sylvia Cukier, responsable des relations médias et associations chez Pfizer en 2003. I&E Consultants se présente comme une agence « aidant les entreprises à optimiser leurs relations avec les publics utiles dans le cadre de leur stratégie d’image et de valorisation de leurs marques ». (9) Alors que le débat public nous est présenté comme étant indépendant et démocratique, son prestataire direct n’est autre qu’une agence de relations publiques qui travaille parallèlement pour des entreprises liées aux nanotechnologies.

Mais I&E Consultants est aussi le titulaire d’un marché dont l’appel d’offres, émanant de deux ministères, avait fait le tour des agences de relations publiques, attisant la controverse. Son cahier des clauses particulières, alors publié sur des sites d’information (10), désignait ouvertement l’objet de l’offre : Une "Veille de l’opinion". Les objectifs eux aussi, y étaient explicitement décrits : « Identifier les thèmes stratégiques (pérennes, prévisibles ou émergents). Identifier et analyser les sources stratégiques ou structurant l’opinion. Repérer les leaders d’opinion, les lanceurs d’alerte et analyser leur potentiel d’influence et leur capacité à se constituer en réseau. Décrypter les sources des débats et leurs modes de propagation. Repérer les informations signifiantes (en particulier les signaux faibles). Suivre les informations signifiantes dans le temps. Relever des indicateurs quantitatifs (volume des contributions, nombre de commentaires, audience, etc.). Rapprocher ces informations et les interpréter. Anticiper et évaluer les risques de contagion et de crise et préconiser en conséquence » (11)

Les ministères de l’Education Nationale (MEN) et celui de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MESR), avaient retenus I&E pour mettre en place cette veille comme le révèle l’article de Vincent Delfau publié le 12 novembre 2008 par le site internet « le monde informatique » (12)

3. Contestations à Toulouse

Le débat du 20 octobre à Toulouse a fait parler de lui : Des individus ont déversés de l’ammoniaque après une intervention improvisée et un discours. Cet acte de contestation, invitait par la contrainte tous les participants à quitter la salle du débat. Cette action attribuée plus tard par les policiers présents à l’extrême gauche a permis à la Dépêche du Midi de sous-titrer son article relatant la soirée par « l’ultra-gauche suspectée ». (13) Pourtant, seuls trois individus, dont deux à l’origine du déversement d’ammoniaque, prirent la parole spontanément lors de l’ouverture du débat. Ils ne revendiquèrent aucunement l’appartenance à un courant ou un groupe politique, ni même associatif. Après l’évacuation forcée de la salle, il fut possible de la réinvestir et le débat commença. Rose Fraysinnet, membre des Amis de la Terre Toulouse (14), a indiqué que la nanomédecine, premier thème du débat, était le « cheval de Troie » des nanotechnologies alors qu’elle ne représente que 2% du secteur, faisant ainsi oublier que déjà plus de 800 produits de consommation en contiennent (alimentaire, soin du corps, lessives, pneumatiques, etc.) (15). Elle conclut en invitant les participants à exiger un moratoire sur les nanotechnologies. "Il n’est pas responsable d’arrêter la recherche", lui a répondu Christophe Vieu (CNRS/LAAS) : "La recherche, c’est la connaissance, et la refuser, c’est ouvrir la porte à l’ignorance, et donc aux dérives et aux manipulations". Face à la rhétorique des intervenants du débat, s’opposèrent les faits, dont la plupart sont connus. Ainsi il serait irresponsable pour Mr Vieu d’arrêter la recherche, ouvrant la porte à l’ignorance alors que le principe même d’ignorance est ce qui est reproché à des industries qui s’empressent de développer une technologie dont ils ne peuvent aucunement mesurer les conséquences nuisibles. Les faits parlent d’eux-mêmes lorsqu’un citoyen révèle que les assurances n’acceptent plus d’assurer les fabricants de nanotubes de carbone, ce que Jean Bergougnoux, président du débat reconnaît péniblement. Car, c’est précisément ce genre d’arguments qui se devraient de motiver un moratoire, et l’arrêt de la recherche comme le souhaite le collectif pièces et mains d’oeuvres. En outre, Christophe Vieu n’a pas mentionné sa participation au séminaire « NBI to life » organisé par la Chambre de Commerce France Israël (CCFI) les 19 et 20 Janvier 2009 à Toulouse. Ce séminaire avait pour objet le renforcement des relations académiques, industrielles et économiques entre la région Midi-Pyrénées et l’Etat d’Israël. Il fut organisé avec le support du conseil régional, de la Mairie de Toulouse, de la Communauté d’agglomération du Grand Toulouse et de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Toulouse. C’est donc après la session portant sur les nanotechnologies que Christophe Vieu est intervenu pour dresser un « panorama des activités de formation et de recherche Nanobiotechnologies » en Midi-Pyrénées, suivi par son homologue Israélien le Professeur Uri Sivan (Président du Russel Berri Nanotechnology Institut du Technion) qui en fit de même pour Israël. Encore une preuve de l’impartialité des animateurs du débat. (16)

Après l’incident, le président du débat Jean Bergougnoux, ancien directeur général d’EDF (17), s’est employé à décrédibiliser les interventions spontanées des opposants au débat. Il leur reprocha de ne pas adhérer au principe de démocratie. Cet argument, déplacé de la part d’un président censé être neutre, est plus que discutable. Il aurait été utile de préciser que Jean Bergougnoux n’est pas en mesure de donner une leçon de démocratie. Son parcours au sein d’EDF est remarquable, il y officie pendant 24 ans jusqu’à devenir directeur général de 1987 à 1994. C’est en 1994 que Dominique Strauss Kahn (DSK), signe un contrat avec EDF qui met en évidence les liens entre un ancien ministre de l’économie et le lobby nucléaire. La Cour des comptes a même sévèrement critiqué DSK pour les honoraires de consultant qu’il a perçus d’EDF entre 1994 et 1996 (1,5 millions de francs). La Cour a souligné « l’insuffisance des termes du contrat d’origine, qui ne donne aucune indication sur le contenu de la prestation assurée ». Mais c’est aussi cette année-là que Gilles Ménage succède à Jean Bergougnoux. Ce dernier devenant son second est amené à signer le contrat de « conseil en relations internationales » pour 30 000 francs par mois avec Dominique Strauss-Kahn. « DSK vient passer deux ou trois heures avec moi tous les quinze jours pour des discussions de stratégie d’entreprise et pour préparer des missions à l’étranger », précise alors Gilles Ménage. Des missions pour le moins suspectes qui, en réalité, consistent à obtenir de nouveaux marchés pour EDF dans divers pays, et surtout à convaincre l’Allemagne de l’importance du développement conjoint de l’ETR auquel les Verts allemands sont alors de farouches opposants. (18)

4. Idéologies et Dogmes.

L’intervention des personnes hostiles à la tenue du débat fut une occasion pour Jean Bergougnoux de les reléguer au rôle d’individus investis d’une idéologie technophobe. Pourtant, face au développement d’une technologie dont les conséquences sont largement méconnues, les opposants n’ont souhaité que la mise en place d’un principe de précaution et l’arrêt de la recherche, ce qui inclut la fermeture, du moins provisoire, de Minatec. En ce qui concerne le refus du débat, seul son caractère adémocratique et son avènement après les prises de décisions furent évoqués. On ne peut pas dire de ces constats qu’ils participent à un processus démocratique. D’autre part, Jean Bergougnoux fit l’impasse sur une autre idéologie, bien réelle quant à elle.

Le CEA-Grenoble reçoit chaque année au "Minatec Crossroad", des personnalités influentes du secteur des nanotechnologies. En 2008 les invités comptaient parmi eux l’américain Mihaïl Roco, "Senior Advisor Nanotechnology" à la National Science Foundation (NSF) et fondateur de la National Nanotechnology Initiative (NNI). Mihaïl Roco n’est pas seulement l’homme qui, en 1999, convainquit Bill Clinton et le Congrès américain d’investir dans les nanotechnologies, après des années d’un intense lobbying. (19)

Roco est aussi le co-auteur du rapport "Converging Technologies for improving human performance" ("Technologies convergentes pour améliorer les performances humaines"), publié en 2002 avec William S. Bainbridge, son collègue de la NSF. Ce dernier milite avec les Transhumanistes pour le dépassement de l’humanité par une post-humanité "augmentée", via implants corporels, hybridation homme-machine et autre téléchargement de la conscience sur ordinateur.(2O) Une idéologie que Rose Fraysinnet des Amis de la Terre avait ensuite évoquée. On la retrouve d’ailleurs citée dans la lettre du débat public numéro 2 : « Il convient donc de s’interroger sur les usages potentiels (question du transhumanisme, par exemple) ». Rien de plus au sujet de l’idéologie qui choque les détracteurs des nanos. Nous verrons ce qu’il en sera dans les conclusions que l’Etat fera du débat et qui seront rendues 3 mois après la remise du rapport.(21)

5. Un débat pour l’assentiment.

Une fois les catégories mises en jeu distinctement tracées, et les voix dissidentes neutralisées, l’abolition des principes d’identité et de démocratie produiront sans doute le comportement escompté de la part du public : son consentement. Dans notre cas, l’illusion projetée puise sa légitimité collective dans une vision manichéenne des choses : c’est à dire à travers l’hypothétique opposition entre technophiles et technophobes, ces derniers étant instantanément écartés du débat et confinés dans la case spécialement créée pour l’occasion . Il n’y aurait donc pas de personnes prudentes qui proposent à la fois l’arrêt des recherches et qui, constatant ces inepties appelleraient au boycott du débat.

Au pouvoir performatif des mots, source éventuelle d’une nouvelle puissance d’agir, s’ajoute donc le débat instauré pour provoquer l’assentiment du peuple et son adhésion par principe. Car bien qu’il soit convoqué à donner son avis, le peuple n’est que consulté. Les décisions quant à elles ont été prises depuis 2006 avec l’ouverture de Minatec. Et, plus récemment, le 5 mai 2009, Valérie Pécresse, Ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, a présenté le plan Nano-INNOV. Son objectif ? « Donner à l’industrie française les moyens de réussir le virage des nanotechnologies. C’est l’objectif du plan Nano-INNOV qui repose, entre autres, sur la création de centres d’intégration des nanotechnologies à Grenoble, Saclay et Toulouse. 70 M€ seront consacrés à ce plan dès 2009. » Une décision survenue avant que le débat public n’ait eu lieu.

La mise en place de ce débat n’est donc pas un préalable à une concertation populaire. Il semble obéir à d’autres attentes, et n’être qu’un moyen d’obtenir habilement le consentement de la population : seuls les mécanismes de gouvernance peuvent être discutés. L’avis du peuple concernant le développement des nanotechnologies a certes droit de cité mais est en revanche mis à l’écart par l’encadrement inéquitable du débat. Car les nanotechnologies sont déjà là , et le resteront. Il nous est simplement proposé de donner notre avis sur le mode de régulation le plus adapté ainsi que sur les lois qui en découleront. Autrement dit, quel seuil de pollution sommes-nous prêts à accepter ? Quels moyens désirons-nous voir être mis en place afin de pouvoir pénaliser ceux qui ne respecteront pas ce seuil ? Quels types de recherches sont prioritaires ? Quelles conséquences humaines, sociales et environnementales sommes-nous prêts à tolérer pour que la « révolution nano » advienne ?

Julien TEIL

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