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La « découverte », par un processus divinatoire, du futur dalaï-lama dans le corps d’un enfant

Le dalaï-lama plus catholique que le pape

« La Chine n’a aucune légitimité à choisir le prochain Dalaï-Lama », tel est le titre d’une longue interview donnée à « La Libre Belgique » du 18 octobre 2019 (1) par Lobsang Sangay, « Premier ministre » du « gouvernement tibétain en exil ». Nous ne relèverons pas ici les accusations et autres procès d’intention, émaillant cette interview, que lui et son mentor répètent en boucle à l’encontre de la Chine. Nous ne commenterons pas non plus ses aveux assez pathétiques de la détérioration des soutiens à la « cause tibétaine », ni l’accusation de despotisme formulée par ses troupes, ni la perte du procès en diffamation intenté contre l’« Administration centrale tibétaine » par Penpa Tsering, son ancien représentant à Washington (2). Limitons-nous à la question évoquée dans le titre et aux comparaisons qu’elle inspire avec d’autres religions, notamment le catholicisme.

Ce que dit Lobsang Sangay

« En 2007, le gouvernement chinois a décrété que toutes les réincarnations devaient être certifiées par le Parti communiste chinois. Vous n’êtes un lama authentique que quand le PCC vous a émis le certificat. Il a ainsi reconnu 1 300 lamas réincarnés. Récemment, en juillet, des journalistes indiens sont allés au Tibet et sont revenus avec le même gros titre : la Chine sélectionnera le prochain Dalaï-Lama et l’Inde ne doit pas interférer sous peine de conséquences. Nous avons donc adopté une résolution unanime. Premièrement, nous voulons le retour de notre maître spirituel. Deuxièmement, les leaders religieux sélectionnent leur propre réincarnation, leur propre successeur. La Chine ne peut pas interférer, il s’agit d’une question de liberté religieuse. Troisièmement, la Chine, qui a détruit nos monastères et découragé le bouddhisme ces 60 dernières années, n’a aucune légitimité ni aptitude à choisir le prochain Dalaï-Lama. »

Tolérance sous contrôle

Ainsi donc, d’après Lobsang Sangay en personne, le Parti communiste chinois aurait reconnu 1 300 lamas réincarnés, soit autant de personnalités religieuses considérées comme des émanations de Bodhisattva, revenu sur terre pour aider les êtres. Plutôt étonnant − non ? − de la part d’une « dictature athée »... N’est-il pas révélateur de la pensée unique antichinoise que cette information soit très largement ignorée chez nous, de même d’ailleurs que l’annonce d’accorder une (modeste) pension de retraite aux moines tibétains âgés (3) ?

Telle est pourtant la réalité : dans la mesure où il reste une religion et où il ne s’érige pas en État dans l’État, le bouddhisme est admis et reconnu en Chine, comme le sont aussi le taoïsme, l’islam, le protestantisme et le catholicisme (4). Cette tolérance – qui n’exclut pas le contrôle ni la sévérité à l’égard des sectes ou superstitions – est profondément inscrite dans l’histoire de la Chine : sous l’Ancien Régime, les cultes étaient tolérés dans la mesure où ils respectaient le pouvoir de l’Empereur ; aujourd’hui ils sont toujours tolérés, dans la mesure où ils respectent le pouvoir de la République populaire de Chine.

Rejet des sectes

Bien évidemment, la distinction entre « sectes » et « religions » n’a rien de très objectif. Il est difficile de contester la définition d’Ernest Renan : « L’Église est une secte qui a réussi. » Comme l’a brillamment démontré l’historienne belge Anne Morelli, ce qui distingue fondamentalement les sectes et les religions, c’est une ligne fixée par le pouvoir politique, une ligne arbitraire, sinon imaginaire, comme l’équateur qui divise l’hémisphère nord et l’hémisphère sud (5). C’est vrai pour l’Europe et pour l’Amérique. C’est encore plus vrai pour la Chine, un pays qui n’a jamais connu, comme chez nous, une Église investie d’un quelconque monopole de gestion des préoccupations spirituelles dans une promesse de salut hors du monde, « mais bien une combinaison locale et globale de différents enseignements reconnus par l’État ou rejetés par lui » (6).

Par enseignements rejetés par l’État chinois, il faut entendre les prédications risquant d’ébranler les fondements de la société. Parmi les différents millénarismes qui ont secoué périodiquement la Chine impériale, il faut accorder une mention spéciale au mouvement Taiping (1851-1864) déclenchant ce que le Guinness Book of World Records appelle « la guerre civile la plus sanglante de l’histoire, avec de 20 à 30 millions de morts. »

Ce souci constant du pouvoir chinois de ne pas voir se déchirer le tissu social est toujours d’actualité et c’est sûrement ce qui a conduit le Président Jiang Zemin à combattre le mouvement Falun Gong, désigné comme une secte, dont, d’après certaines sources, le nombre d’adhérents atteignait plus ou moins le nombre de membres du PCC et qui de ce fait a été ressentie comme une menace pour la sécurité publique.

Cohabitation avec les religions

Quant aux religions reconnues, il faut distinguer :
 celles qui ont eu des siècles sinon des millénaires pour se modeler sur la vision chinoise, non dichotomique, de l’univers, impliquant le respect de l’autorité impériale, le culte des ancêtres, la vénération des montagnes, etc., comme le taoïsme et le bouddhisme mahayana (ou Grand Véhicule),
– celles qui résultent de l’extension vers l’ouest de la continuité territoriale de l’Empire chinois, comme l’islam (notamment au Xinjiang) et le bouddhisme vajrayana (principalement au Tibet)
 celles qui ont été importées plus récemment, comme le protestantisme et le catholicisme.

Du taoïsme et du bouddhisme mahayana en Chine, nous nous contenterons de remarquer qu’ils connaissent actuellement un incontestable renouveau, que n’importe quel touriste peut constater.

La question que tout le monde se pose : une telle cohabitation est-elle envisageable avec l’islam, le christianisme et le bouddhisme tibétain vajrayana ?

Le croissant parmi les étoiles : l’islam en Chine

Quand on pense islam en Chine, ce qui vient immédiatement à l’esprit, c’est la Région autonome du Xinjiang dont la minorité la plus importante, les Ouïghours (8,3 millions), est musulmane et turcophone. Cette région du Far West de la Chine, que d’aucuns s’ingénient à appeler Turkestan oriental, est actuellement travaillée par des revendications linguistiques et religieuses alimentant des mouvements séparatistes, ayant parfois recours au terrorisme meurtrier, que ce soit au Xinjiang même, ou ailleurs en Chine (à Pékin et Kunming), ou encore à l’étranger (à Bangkok) (7). Il s’agit là d’une forme d’islam qui pose incontestablement un problème sérieux à la Chine (8).

Mais il est un autre islam en Chine, tout à fait pacifique : les Huis (9,8 millions), présents non seulement dans la petite Région autonome hui du Ningxia, mais aussi dans de nombreuses provinces de Chine (dont le Tibet). Les Huis sont des musulmans qui ont réussi, depuis plus de treize siècles, à maintenir leur culte en épousant la langue chinoise, les coutumes chinoises et même, ici et là, l’architecture chinoise, comme en témoigne la mosquée de Xi’an. Bel exemple de cohabitation pacifique entre une religion et un État laïc ! On n’oublie pas non plus l’extraordinaire périple maritime de l’eunuque musulman chinois Zheng He (1371-1433) jusqu’au Moyen-Orient et en Afrique de l’Est.

Le Vatican, combien de divisions ? Le catholicisme en Chine

Passons au christianisme (que ce soit sous sa forme protestante ou sous sa forme catholique) : il est évidemment contrôlé par les autorités, d’autant plus qu’il est arrivé en Chine dans les bagages des colonisateurs et qu’il continue à être généralement perçu comme un corps étranger.

Difficultés supplémentaires dans le chef de l’Église catholique : non seulement le Vatican est un État, et la Chine ne tolère aucune ingérence d’un autre État, mais encore le Vatican est un des rares États au monde à entretenir des relations diplomatiques avec Taïwan.

Cette situation n’a pourtant pas empêché la conclusion, le 22 septembre 2018, d’un « accord provisoire » entre le Vatican et la Chine sur la nomination d’évêques (9), qui pourrait à terme réduire la fracture entre l’Église officielle avec ses sept évêques non reconnus par le Vatican et une Église « souterraine » avec sa trentaine d’évêques non reconnus par Pékin.

Si tel était le cas − l’avenir nous le dira – on assisterait peut-être à un nouveau tournant de la « querelle des rites », née de la confrontation entre les partisans d’une adaptation de l’enseignement de la religion catholique, aux coutumes et usages locaux (10) et les tenants de la seule transmission d’un christianisme orthodoxe à vocation universelle. Cette querelle a été tranchée en 1744 par la bulle Omnium sollicitudinum du pape Benoît XIV proscrivant définitivement (?) les « rites non chrétiens ».

L’accord provisoire entre la RPC et le Vatican constitue de toute manière un étonnant exploit diplomatique, à mettre au crédit des deux parties.

Le lamaïsme : secte ou religion ?

Pourquoi ce qui vaut pour le taoïsme, le bouddhisme mahayana, l’islam et le catholicisme ne vaudrait-il pas également pour le bouddhisme tibétain (qu’on l’appelle bouddhisme vajrayana, Véhicule du Diamant, bouddhisme tantrique ou simplement lamaïsme) ? Cela voudrait-il dire que le lamaïsme en serait venu à ressembler à une secte impossible à intégrer dans l’État chinois ? Poser la question, c’est sans doute y répondre.

Dans son interview à La Libre Belgique, Lobsang Sangay affirme : « Les envoyés du Dalaï-Lama devraient rencontrer leurs homologues chinois mais les négociations n’ont plus lieu par manque de confiance du côté du gouvernement chinois. » On ne peut pas mieux dire : la confiance ne renaîtra que le jour où, cessant de manier le double langage, le dalaï-lama affirmera haut et clair que le Tibet est inséparable de la RPC et où sera démantelé le « gouvernement tibétain en exil ».

Le dalaï-lama a beau affirmer avoir renoncé en 2011 à son pouvoir politique ; bizarrement, il n’a jamais été plus présent depuis lors sur la scène politique, multipliant les contacts avec des personnalités politiques et diffusant ses prises de position politiques − sur les cinq continents (11). Par ailleurs, la remise des clés à son lieutenant, Lobsang Sangay, n’a pas fait changer d’un iota la ligne définie à Dharamsala.

Si l’Administration centrale Tibétaine cessait de se comporter en organe politique et se transformait en simple consistoire, le gouvernement chinois n’aurait plus aucune raison de contrôler la nomination du futur dalaï-lama. Tout au plus se contenterait-il de procéder comme en France : depuis la réconciliation, en mai 1921, entre la République et les Saint-Siège, « c’est au cardinal secrétaire d’État qu’il appartient d’interroger l’ambassadeur français si le gouvernement a quelque chose à dire au point de vue politique contre le candidat choisi » (12).

Les responsables chinois s’accommodent bien de coutumes étranges comme la polyandrie ou les « funérailles célestes » qui n’ont pas disparu au Tibet ; ils pourraient faire preuve de la même tolérance à propos d’une autre coutume étrange : la « découverte », par un processus divinatoire remontant au 15e siècle, d’un enfant destiné à devenir un futur dalaï-lama.

Mais s’il s’agit de choisir une personnalité dont le leadership pourrait symboliser des aspirations séparatistes, la légitimité de la Chine est incontestable.

André LACROIX

Notes :
(1) Interview retranscrite par Sabine Verhest, « Journaliste / reporter, de l’Europe du Nord à l’Asie du Sud en passant par la Russie et les cimes himalayennes ».
(2) Lire : « Les Tibétains en mode zizanie » par Arnaud Vaulerin dans Libé du 27/01/2018.
(3) In Le Soir du 25 novembre 2011.
(4) Il est intéressant de noter que le confucianisme échappe à la catégorie du religieux (même si des temples confucéens existent en Chine, comme aussi en Corée, au Japon, au Vietnam et en Indonésie). Pas étonnant dès lors que le communisme athée ait trouvé dans le confucianisme moral et areligieux un terreau prêt à l’accueillir. Comme le note Claude Meyer, « En continuité avec cette pensée, Xi Jinping s’inscrit dans la tradition de Confucius « dont il invoque le patronage pour prôner l’harmonie sociale et le respect des valeurs morales, notamment par les cadres du Parti », in L’Occident face à la renaissance de la Chine, Odile Jacob, 2018, p. 197.
(5) Voir, entre autres, le n° 283 d’octobre 2008 de l’AFIS (Association française pour l’information scientifique).
(6) Bernard De Backer, dans La Revue Nouvelle de juillet-août 2013, recensant l’ouvrage magistral de Vincent Gossaert et David Palmer, intitulé La question religieuse en Chine, CNRS Éditions, 2013.
(7) Relire : http://tibetdoc.org/index.php/politique/mediatisation/284-pourquoi-ursula-gauthier-de-l-obs-a-du-quitter-la-chine-et-pourquoi-on-s-en-f.
Note du GS L’article référencé ci-dessus est une article de Maxime Vivas pour Le Grand Soir repris avec notre accord par Tibetdoc : http://legrandsoir.info/pourquoi-ursula-gauthier-de-l-obs-a-du-quitter-la-chine-et-pourquoi-on-s-en-f.html
(8) Que la réponse des autorités chinoises, soucieuses de maintenir l’intégrité du territoire, ne soit pas toujours la meilleure et s’avère contre-productive, c’est sans doute vrai ; mais cela autorise-t-il les Occidentaux à se tromper d’ennemi ? Au lieu de faire la leçon à la Chine, nos gouvernements ne devraient-ils pas coordonner leurs efforts avec la Chine pour lutter contre le fléau du terrorisme islamiste international ? Ignoreraient-ils la présence dans les rangs de Daech de centaines de combattants ouïghours ?
(9) Titre de l’article de Frédéric Lemaître et Cécile Chambraud publié sur le site du Monde le 24/09/2018.
(10) Dans son livre cité plus haut, Claude Meyer consacre tout un chapitre à l’épopée des jésuites en Chine entre 1583 et 1775, donnant naissance à un étonnant dialogue de civilisations, se fécondant l’une l’autre, entre la sagesse chinoise millénaire et la jeune science européenne en pleine éclosion.
(11) En Amérique du Nord : États-Unis (9 fois) et Canada. En Amérique du Sud : Argentine et Mexique (2 fois). En Europe : Allemagne (3 fois), Irlande, Royaume-Uni (2 fois), Estonie, Lettonie, Lituanie, Norvège, Pologne, République tchèque (3 fois), Slovaquie, Autriche, Suisse (2 fois), France, Italie. En Asie : Japon, Mongolie. En Océanie : Australie.
(12) Voir Nicolas Senèze, La nomination des évêques dans « La Croix » du 06/12/2008.

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