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Le cinéma est un genre d’art martial (Countercurrents)

B Ajithkumar est un des cinéastes indiens les plus talentueux. Il a déjà reçu trois prix internationaux, un pour un long métrage et deux pour des courts métrages. Il a aussi reçu deux prix au Kerala pour des longs métrages. Lauréat de l’Institut du Cinéma et de la Télévision de Poona en Inde, il a aussi réalisé beaucoup de documentaires. Ses nombreuses lectures et ses analyses politiques lui donnent une vision profonde et perspicace du cinéma et de son rôle socio-politique. Il est aussi rédacteur en chef adjoint de www.countercurrents.org. Nous l’avons interviewé quand il a reçu son deuxième prix au Kerala.

Countercurrents : Quel rôle politique le cinéma joue-t-il selon vous ?

B Ajithkumar : Pour moi un film est un artefact créé par l’homme qui a une fonction sociale. C’est une production matérielle qui a une fonction de communication dans un but qu’on qualifie généralement de "culturel". Dans l’état actuel du monde, ces produits culturels jouent un rôle très important. Ils sont diffusés à haute dose dans la société par différents agents pour manipuler et contrôler les gens. Ce sont des outils de contrôle aussi bien que des outils de résistance du peuple, comme l’art l’a toujours été. Je considère le terrain de l’art et du cinéma comme un terrain de bataille où les ooeuvres d’art sont les armes. Le cinéma est donc un art martial, pour reprendre l’expression que Pierre Bourdieu a utilisée dans un contexte similaire.

Les films sont produits et diffusés dans le cadre d’un système social donné et on ne peut les séparer des dynamiques sociales de la société contemporaine. Que ce soit de la fiction ou des documentaires, tout film délivre à mon sens un message politique. C’est un instrument politique. Les documentaires ouvertement, les films de fiction le plus souvent indirectement. Mon expérience de réalisateur de documentaires a influencé la manière dont je vois les films et aussi dont je vois le monde.

Dans la situation actuelle où la liberté d’expression est limitée par l’État (comme on l’a vu avec l’accélération actuelle du filtrage d’URL) et indirectement par les médias contrôlées par les multinationales, tous les cinéastes qui se respectent se sentent une responsabilité politique. Il me semble que les cinéastes qui ont des valeurs doivent combattre la manière dont les médias dominants déforment la réalité dans de domaines comme les violations des droits humains et les luttes populaires. Fermer les yeux sur cette réalité c’est se rendre complice des pouvoirs qui essaient de contrôler les hommes pour maintenir une situation qui leur profite.

Countercurrents : Les documentaires sont ouvertement politiques. Votre expérience dans ce domaine a-t-elle influencé la manière dont vous voyez la fiction ?

B Ajithkumar : Oui elle m’a ouvert les yeux. En parcourant des kilomètres de pellicules montrant des gens victimes du "développement", je me suis souvent émerveillé de l’intelligence de ceux qui avaient inventé ce terme, l’euphémisme le plus courant pour exploitation. Je travaille en ce moment à un film sur les luttes de Koodankulam. Les gens qui se battent contre l’installation d’un réacteur nucléaire sont accusés de s’opposer au développement. Ceux qui sont accusés d’être contre le développement sont aussi accusés de trahir la nation. Le discours dominant n’est qu’une propagande en faveur du développement. "Nous avons besoin d’électricité, de développement, de croissance". (Evidemment quelqu’un doit en payer le prix, pas nous, mais les pauvres pécheurs de Koodankulam). Quand on regarde les prises de vues de villageois en train de vider leur coeur, on n’a pas besoin d’être un grand spécialiste pour se rendre compte qu’ils sont profondément sincères. Mais les autorités prétendent que ces pauvres gens sont manipulés par des forces étrangères.

Pourtant leur robuste bon sens relève du principe de précaution - le fait qu’un intervention inappropriée peut entraîner des dommages irréversibles à la vie et à l’environnement. Ils veulent juste préserver leurs moyens de subsistance et leur style de vie soutenable. Leurs paroles sont beaucoup plus simples et profondes que celles des experts des institutions scientifiques avec leur formules et leurs statistiques. Notre problème c’est de réussir à faire passer dans le public des vérités toutes simples qui vont à contre-courant du flot de mensonges complexes que les médias dominants et la propagande officielle répandent quotidiennement. Le cinéaste n’a pas du tout la tâche facile.

Le film que je viens de finir en est un autre exemple. C’est un film qui parle des cas d’accusations montées de toutes pièces*, et dont le personnage central est Abdul Nasser Maudany. Là non plus, personne ne s’intéresse à la vérité. Ceux qui contrôlent l’opinion publique de toutes sortes de manières veulent se débarrasser de Maudany à tout prix - même au prix de la plus élémentaire justice - parce qu’il a osé dire la vérité sur eux. Cet homme a été emprisonné pendant plus de dix ans sans procès, puis acquitté sans la moindre excuse. Pas un des responsables de ses souffrances n’a été poursuivi. Ses souffrances ont été considérées comme la conséquence d’une défaillance exceptionnelle d’un système judiciaire par ailleurs parfait, le prix que quelqu’un doit payer pour que nous soyons tous "protégés" de l’épouvantail du terrorisme. Pus tard il a été de nouveau emprisonné** à l’appui de preuves fabriquées qu’une journaliste, K.K. Shahina a déjà dénoncées. Maintenant elle est à son tour accusée d’être une terroriste traître à la nation. L’image de terroriste de Maudany a été créée par les médias. Quand des fondamentalistes hindous ont lancé une bombe sur Maudany, les médias ont titré : "Maudany blessé dans l’explosion d’une bombe". Comme si c’était lui qui tenait la bombe ou la fabriquait et qu’elle avait explosé par erreur et qu’il avait perdu une jambe. Voilà comment, en manipulant habilement les mots, ils transforment la victime en terroriste. Pour réaliser ce documentaire il nous a fallu mettre en lumière le calvaire de cet être humain ainsi que la pourriture de notre système légal et des médias. Et c’est très difficile. Ce n’est pas comme de véhiculer des clichés comme le développement,le terrorisme, l’intégration nationale, la croissance, la crise énergétique, les réformes financières, etc, etc. Il faut se frayer un chemin à travers un univers de mensonges abjects, et avec la vérité comme seul outil, forger l’arme que constitue votre cinéma.

On peut joindre B Ajithkumar à l’adresse : epitole@gmail.com

Notes :

* Abdul Nasser Madani ou Abdul Nasser Maudani ou simplement Madani ou Maudany (né en 1965, Sasthamkotta, Kerala) est un leader politique musulman du Kerala en Inde ; il a passé plus de dix ans en prison après avoir été accusé d’avoir participé aux attentats à la bombe de 2008 à Bangalore, Surat et Ahmedabad.

** En août 2010, Madani a été arrêté à nouveau par la police de Karnataka pour son implication supposée dans la série d’attentats de Bangalore et il est actuellement en détention judiciaire.

Pour consulter l’original : http://www.countercurrents.org/ajith240213.htm

Traduction : Dominique Muselet

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