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Le capitalisme ne va pas s’effondrer tout seul, il faut s’en préoccuper !

La crise sanitaire actuelle pousse à interroger la régulation capitaliste du monde, par quelque bout qu’on la prenne. La soi-disant « main invisible du marché », selon laquelle les actes de chacun, guidés par son seul intérêt personnel, conduisent au bien commun, apparaît comme une triste fable. En réalité, cette « main invisible » n’est qu’un artifice idéologique qui masque les intérêts d’une classe dominante qui ne cesse d’étendre son emprise sur le monde, d’une manière qui devient chaque jour plus mortifère.

De quelque bout qu’on la prenne : l’origine de la crise actuelle est liée à l’irruption dans la communauté humaine d’un virus jusqu’à présent hébergé par un animal, le pangolin. Cette épidémie, comme d’autres qui l’ont précédée, est liée à la raréfaction des ressources sauvages, au rapprochement des humains et d’espèces animales. Ceci impose une gestion rationnelle et solidaire des ressources naturelles, aux antipodes de la « main invisible » qui conduit aux grands chantiers, aux grandes exploitations qui doivent satisfaire les exigences de rentabilité sans se préoccuper de considérations écologiques.

Au niveau de ses conséquences, on ne peut encore prévoir l’impact des ondes de choc qui vont bouleverser toutes les fragilités des constructions économiques et politiques qui assurent jusqu’à présent la marche du monde. Tout ce que les pouvoirs en place envoient comme message la poursuite de la même logique, en profitant de la désorganisation généralisée, du confinement, pour en accélérer le cours.

A l’étage de la vie quotidienne, la réponse aux besoins des citoyens et de l’économie du pays requerrait une intervention forte de l’Etat, pour faire face à l’immédiat et repartir. En pleine acceptation des règles du jeu libérales, l’Etat a depuis longtemps réduit ses ressources propres, s’est désengagé des services publics, du soutien des citoyens, et d’une façon générale de la conduite de politiques cohérentes avec la poursuite du bien commun. Depuis longtemps cette cohérence est mise au service de la classe dominante, dont il exécute soigneusement les tâches à l’agenda de « libéralisation » du monde. Plus crispée que jamais, l’équipe politique au pouvoir continue sans concession sa trajectoire antérieure, en se préparant à faire payer la crise aux mêmes et à faire face à la colère sociale qu’il anticipe par les méthodes musclées que l’on connaît.

Descendre dans la rue ne suffira pas. Outre que nous pouvons anticiper une violence d’Etat qui n’aura rien à envier à celle qui a précédé et accompagné le confinement, ne servira à rien si les manifestations ne portent pas un projet global, à opposer à la course folle du capitalisme.

Il ne s’agit plus de revendiquer. Revendiquer, c’est placer un autre pouvoir, au-dessus de soi, qui possède les moyens et qui pourra céder, sous la pression, des concessions plus ou moins importantes sur lesquelles il n’aura de cesse de revenir. Le capitalisme n’existe que traversé par une pulsion prédatrice ; il s’arrête devant l’obstacle, recule parfois, mais pour mieux reprendre la main.

Le dernier recul important du capital date des lendemains de la Deuxième Guerre mondiale. Un ensemble de facteurs historiques, au centre duquel la rivalité Est-Ouest a joué un rôle, a conduit à l’instauration d’un compromis entre le capital et travail. La mise en place d’une protection sociale qui garantit à chacun la sécurité de ses moyens d’existence tout au long de la vie, un meilleur partage de la plus-value procurant de meilleurs salaires, l’avenir ouvert grâce à « l’ascenseur social » ont formé la base de ce compromis. Mais le capital gardait en main ses armes essentielles : la propriété du capital, d’une part ; et de l’autre, découlant de cette propriété, les finalités et l’organisation de la production.

Ce compromis a tenu tant que le capital y a trouvé son compte : l’augmentation des salaires soutenait l’expansion économique et les profits. Mais le mécanisme s’est grippé progressivement au cours des années soixante-dix, et la « révolution libérale » s’est mise en marche. Elle s’est mise en place concrètement grâce à des mesures mises en place par les différents gouvernements, Etats-Unis et Grande-Bretagne en tête, bientôt suivi de nombreux autres. La chute de l’URSS a accéléré le processus. La Chine s’ouvre au monde capitaliste dès 1978 et intègre l’OMC en 2001 devenant depuis une pièce maitresse de la mondialisation capitaliste.

Cette mise en place de la révolution libérale s’est accompagnée d’un intense discours idéologique destiné à faire accepter tous les reculs sociaux et l’austérité pour les classes populaires. Ce discours tend à faire de la réaction capitaliste une évolution en quelque sorte naturelle de l’économie, face à laquelle on ne pourrait rien faire que de s’adapter, au prix bien sûr de sacrifices imposés par la concurrence. Ceux qui tirent leur épingle du jeu dans le monde actuel le sont parce qu’ils sont les meilleurs, et les autres n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes.

Cette idéologie a d’autant mieux été intériorisée qu’elle ne s’est pas heurtée à un autre discours qui aurait remis le monde sur ses pieds et démonté les mécanismes de la domination capitaliste. La gauche de « gouvernement », celle qui se prétend réaliste et raisonnable, a enfourché tous les thèmes de l’idéologie libérale et l’a très largement mise en œuvre. Les autres forces de gauche et les syndicats combatifs ont certes mené une salutaire ligne de résistance, mais en prenant comme repère les acquis (ou conquis) de la période du compromis historique, compromis répudié depuis belle lurette par le capital qui s’est acharné à détruire méthodiquement les bases de la force de résistance du monde du travail.

Il est temps de prendre conscience de la façon dont le capital a construit son emprise sur le monde, parce que c’est là que nous devons porter notre attention pour construire notre offensive. Cette emprise du capital repose sur des mesures politiques, prises par des gouvernements, élus démocratiquement ou non, et qui ont sacrifié l’intérêt de leurs peuples aux intérêts de la classe capitaliste. Le mouvement du monde n’a rien d’inéluctable ou de naturel : il est dû à des décisions conscientes de politiques un peu trop liés à la classe des possédants.

Et ce que des hommes ont fait, d’autres hommes et femmes peuvent le défaire. Les dénonciations des diktats du capitalisme existent déjà dans la globalité et dans l’abstrait ; ou bien de manière concrète mais éparpillée et sectorisée dans les différents domaines où ils s’exercent, sans être reliée à tout l’échafaudage de pouvoir qui les rendent possibles.

Entre la dénonciation globale et abstraite du capitalisme, qui ne donne prise sur rien, et les luttes spécifiques qui ne permettent pas d’aborder la cohérence d’ensemble et la racine des problèmes, il faut dégager le cœur du pouvoir capitaliste.

Une des mesures initiales du libéralisme concerne la liberté de circulation des capitaux. Les gros détenteurs de capitaux acquièrent de ce fait la liberté de se désengager de l’activité économique dans les pays où ils sont implantés et celle de s’installer là où ils veulent, en fonction des profits escomptés. Donc une pression importante (pour ne pas dire un chantage...) est exercée sur les gouvernements, qui n’ont aucun intérêt à voir leurs entreprises mettre la clef sous la porte en contrariant « les investisseurs » ; et de fait, dans le discours des politiques, il n’est question que « d’attractivité » des territoires, c’est-à-dire de dérouler le tapis rouge pour les multinationales qui voudraient bien s’implanter. La libéralisation des échanges, qui ne met aucune condition ni sociale ni écologique à la libre circulation des marchandises, complète cette mise en concurrence.

Un autre angle d’attaque majeur du capitalisme est l’appauvrissement de l’Etat, en le privant de ressources fiscales : il n’a qu’à se dégager des politiques sociales et du financement des services publics, pour laisser place à une marchandisation accessible à ceux qui auront les moyens de payer.

La limitation du déficit des Etats et l’obligation de faire re-financer ces déficits publics par des capitaux privés créé pour les détenteurs de ces capitaux l’occasion de prélever une rente sur des fonds publics déjà anémié par l’évasion fiscale organisée. Mais elle met ces mêmes Etats dans la dépendance de ces détenteurs de capitaux, qui peuvent faire varier les taux de leurs prêts au gré de leurs intérêts. A cet égard tous les pays ne sont pas logés à la même enseigne : les Etats-Unis profitent du statut de monnaie internationale du dollar pour accumuler leurs déficits de manière vertigineuse.

Dépendance des Etats vis-à-vis de la finance et mise en concurrence des travailleurs et des pays sur la base de leurs politiques plus ou moins conciliantes sont les deux principales armes du capital pour exercer sa domination, exploiter sans limites les hommes et la nature. La crise sanitaire rend cette situation intenable et aiguise la confrontation : l’heure est moins que jamais à la recherche d’accommodements mais de faire face à un choix décisif : prendre les problèmes à bras le corps en visant les causes du désordre actuel du monde ou bien le voir étendre ses ravages : dans un premier temps, un recul grave de nos droits économiques, sociaux, démocratiques ; et à plus ou moins brève échéance subir les effets imprévisibles dans leurs modalités mais certains dans leur survenue des futurs bouleversements écologiques, accompagnés de drames humains qui mettront la sécurité de la planète en péril.

Face à cette situation, des propositions sont émises, par le biais d’articles, de pétitions... dont il importe de voir leur portée, et de comparer afin de voir jusqu’à quel point elles se recoupent (ce qui fera l’objet d’un autre article). La fameuse « convergence des luttes » davantage prônée de manière incantatoire que mise en pratique, a besoin d’un socle solide, qui ne peut se constituer qu’en s’attaquant aux fondements de la domination capitaliste sur le monde. Cette convergence passe au moins autant par la confrontation des analyses que par le regroupement dans les mêmes cortèges. On a du pain sur la planche....

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Viktor DEDAJ

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