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La Vie d’Adèle : après Masculin/Masculin, voici Féminin/Féminin.

Maintenant que le film sort sur les écrans, on commence à mettre des bémols à l’enthousiasme initial : "Pas un chef-d’oeuvre, mais...", lit-on dans le Nouvel Obs. Il faut reconnaître que La Vie... ne tombe pas dans les abîmes de grotesque de La Graine et le mulet  ; c’est plutôt un film insipide, insignifiant. Et comme on ne voit pas quel pourrait être le message du réalisateur, force est de conclure que le film ne fait que remplir un cahier des charges (comme on l’avait subodoré au moment du Festival de Cannes) : faire la promotion de l’homosexualité et du mariage pour tous.

C’est ainsi que Kechiche nous soûle d’images de baisers de couples féminins et masculins, en de véritables catalogues où tous les styles gays et lesbiens sont représentés. Ou bien, il établit un parallèle entre une scène de sexe lesbien suivie d’une manif lycéenne pour l’école, et une autre scène de sexe lesbien suivie d’images de la Gay Pride, pour bien nous persuader qu’être gay ou lesbien c’est être révolutionnaire. Et dans sa promotion du Mariage pour tous, il fera sacrifier à Emma son idylle avec Adèle, à laquelle elle préfère une vie de famille avec une femme qui, grâce à la PMA, lui a "donné" une petite Aude (tout en reconnaissant, selon les pires poncifs, qu’avec la mère de ladite petite Aude, sur le plan sexuel, ce n’est pas top !).

Quant aux scènes de sexe, qui s’annonçaient torrides, et sur lesquelles les polémiques entre Kechiche et ses actrices attiraient encore plus l’attention, elles sont bien décevantes, non pas qu’on n’ait pas notre compte de nus suggestifs, ou plutôt explicites ; mais, étonnamment, Kechiche réussit à neutraliser toute charge érotique, de sorte que les fesses en gros plan des actrices ne communiquent aucune sensualité.

Il est d’ailleurs curieux de voir à quel point il transporte, d’un film à l’autre, les mêmes faiblesses, sans aucune amélioration. Dans La Graine..., la séquence de la danse du ventre était pénible à voir, tant Hefsia Herzi se déhanchait grossièrement, en mouvements saccadés de bûcheronne. Ici, c’est le sexe lesbien qui apparaît comme pénible, difficultueux, tant les gestes ont un caractère technique et appliqué, de sorte que les personnages, en désespoir de cause, se donnent de grandes claques sur le postérieur pour accélérer l’orgasme.

N’est pas Chéreau qui veut : les images de L’Homme blessé, où Jean-Hugues Anglade caresse le corps de Vittorio Mezzogiorno inconscient, transmettent une intensité de désir bouleversante ; dans Intimité, il avait pleinement réussi son pari de filmer une séquence de sexe de 20 minutes : là aussi, la force du désir écartait toute idée de voyeurisme et sublimait le sexe en un acte d’amour.

Kechiche, par contre, illustre bien l’aphorisme de Lacan : "Il n’y a pas de rapport sexuel" : les contorsions et suçages, les "Han" et les "Mouac" qui émaillent les coucheries d’Adèle et Emma (qui ne sont pas plus subtilement représentées dans le "roman graphique" de Julie Maroh, on aurait envie de leur ajouter l’onomatopée "Slurp") n’apportent aucune émotion. Pour cela, il faudrait au moins que les personnages expriment quelque chose ressemblant à de l’amour : mais rien de tel, la juxtaposition d’Adèle et Emma ne produit rien, malgré les coquetteries de caméra de Kechiche qui les fait s’embrasser devant le soleil, pour qu’il brille entre leurs bouches chaque fois qu’elles s’écartent. La seule chose qui semble justifier le coup de foudre d’Adèle, c’est la teinture bleue des cheveux d’Emma.

Kechiche croit pouvoir suppléer à cette absence d’émotion par une surenchère de naturalisme : ses personnages, surtout Adèle, qui est définie comme une "gourmande" (!), mangent les spaghettis salement, et, en ouvrant la bouche, Adèle montre même des résidus de nourriture sur sa langue. La scène de rupture est aussi froide et plate que le reste (on n’ira pas au-delà de : "J’te jure que je t’ai jamais prise pour une conne") ; en revanche, la morve d’Adèle coule en abondance, traduisant l’intensité de son désespoir, et, lors des retrouvailles ratées, on verra la morve se mêler au vin blanc qu’elle sirote, et pénétrer dans sa bouche (on n’a alors qu’une envie, c’est qu’elle sorte un kleenex !).

Mais, si, dans cette histoire d’amour, on ne sent aucune relation affective, si les scènes de sexe elles-mêmes sont insipides, comment remplir les trois heures de film ?

D’abord, en étirant chaque scène : si Adèle marche, dans la rue, ou dans un couloir, on la suit interminablement ; si ses camarades s’interrogent sur son évolution sexuelle, on a droit à la séquence de tchatche qui avait fait déjà remarquer Sarah Forestier, dans L’Esquive, ou Hafsia Herzi, dans La Graine... : "Non, j’te jure, je suis pas une gouine. Mais puisque j’te dis que j’suis pas une gouine. - Si, t’es une gouine. - Non...". Ce sont des scènes élastiques, on peut les étirer ad libitum, et sur n’importe quel sujet.

Et puis, Kechiche se rappelle le succès de L’Esquive, et il nous refait le coup de Marivaux, passant du collège au lycée, et du Jeu de l’amour et du hasard à La Vie de Marianne (dont la vie d’Adèle, chapitres 1 et 2, est censée être le reflet moderne) ; après, il redescendra à la maternelle (une fois qu’Adèle a eu son bac et est devenue institutrice), pour remonter au CP (Adèle a eu une promotion) – on se demande combien de rentrées il va nous infliger !

Enfin, profitant du statut de lycéenne d’Adèle, il nous inflige tout un cycle de cours : cours de littérature, où un garçon féru des Liaisons dangereuses, de ChoderloSS (sic) de Laclos, évoque le Vicomte de Valmont, écrivant sur le cul d’une pute une lettre destinée à la Marquise de Merteuil (re-sic : c’est parce qu’elle est en réalité destinée à la Présidente de Tourvel, une honnête femme, que la scène est piquante. On se demande d’ailleurs comment les professeurs de lettres peuvent s’obstiner à infliger à des ados un roman libertin aussi cynique) ; cours de peinture, où deux étudiantes des Beaux-Arts discutent pour savoir qui, d’Egon Schiele ou Klimt, est le plus torturé (alors que les tableaux d’Emma sont pitoyablement pompier : son portrait d’Adèle est du même acabit que le nu de Rose qu’exécute Jack dans Le Titanic) ; cours de philo, où Emma fait de Sartre le précurseur de la théorie du genre : "Sartre a libéré ma génération, en nous enseignant qu’on naît indéterminé, et qu’on se construit en existant"... Kechiche pensait peut-être inciter les profs à envoyer leurs élèves voir La Vie... pour réviser leur bac !

Tout le film est rempli de ces poncifs et platitudes, qu’il s’agisse des goûts d’Adèle ("j’adore le cinéma américain") ou des conversations à table, où Kechiche s’amuse à mettre dans la bouche des parents d’Adèle tous les lieux communs imaginables : mais le plus amusant, c’est qu’ils ne nous changent pas du niveau habituel des dialogues dans ce film.

Lors de la cérémonie du Palmarès, Kechiche, au milieu de pitoyables bégaiements, avait dédié son film "à la belle jeunesse française", ainsi qu’aux révolutionnaires tunisiens : on se demande ce que ceux-ci pourraient bien trouver dans ce film bobo qui réponde à leurs préoccupations, quant aux premiers, on se demande s’ils se reconnaîtraient dans le film (tout en espérant qu’ils ne soient pas nombreux à y aller, car, même au-delà de 12 ans – interdiction bien indulgente – ils risqueraient d’être choqués). Imposer la théorie du genre à des ados qui cherchent à affirmer leur identité n’est en tout cas pas leur rendre service.

Rosa Llorens

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Noam Chomsky, in "What Uncle Sam Really Wants"

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