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La Syrie et l’histoire de l’interventionnisme américain (Cato Institute)

Le désir de s’ingérer un peu partout dans le monde reste fort à Washington.

La seule certitude est que presque toutes les interventions finissent en conséquences inattendues négatives, qui elles-mêmes génèrent une pression pour davantage d’ingérence pour y remédier.

Ce phénomène se manifeste clairement en Syrie. Les demandes d’intervention contre le président Bachar El Assad vont crescendo. Nageant à contre-courant, Daniel Pipes, président du Middle Eastern Forum, a récemment affirmé que « les « États occidentaux doivent soutenir la dictature pernicieuse de Bachar al-Assad ». En fait, Pipes a proposé de soutenir à peu près tout le monde.

Non qu’il veuille qu’Assad gagne. Il préférerait que ni le régime ni l’opposition ne gagne. Selon Pipes « une victoire des rebelles accroîtrait considérablement l’influence d’un gouvernement turc de plus en plus voyou, tout en mettant au pouvoir des djihadistes qui prendraient la place du gouvernement Assad. La poursuite des combats cause moins de dommages aux intérêts occidentaux que le fait de laisser les islamistes prendre le pouvoir ».

Mais ce n’est pas tout : « quand Assad et Téhéran auront combattu les rebelles et Ankara jusqu’à l’épuisement mutuel, le soutien occidental pourra alors se diriger vers des éléments non-baathistes et non-islamistes ». Ainsi, Pipes espère-t-il que soutenir le régime mènerait en fin de compte à un gouvernement modéré et à « un avenir meilleur ».

Pipes a pu rappeler le « modèle » du soutien américain à l’Union soviétique de Staline, contre l’Allemagne nazie d’Adolf Hitler pendant la Seconde Guerre mondiale. De deux puissances totalitaires qui cherchaient à prendre le contrôle de l’Eurasie, Washington croyait devoir choisir le moindre des deux maux - l’URSS à l’époque. Après la fin de ce conflit, les États-Unis décidèrent qu’ils devaient désormais contenir Moscou.

Pipes a également rappelé qu’en 1987 il appelait l’Occident à soutenir l’Irak de Saddam Hussein, qui était sur la défensive depuis 1982 après avoir déclenché la guerre deux ans auparavant. Cependant, « en regardant vers l’avenir, si l’Irak une fois de plus prenait l’offensive, un changement peu probable mais pas impossible, les États-Unis devraient de nouveau changer d’allié et envisager d’accorder une aide à l’Iran ».

Sa politique de « soutien au côté qui bat en retraite » trouve son fondement dans une froide Realpolitik. Mais Pipes surestime grandement la capacité de Washington à manipuler les événements internationaux. Les décideurs américains n’ont pas une connaissance suffisante des conflits et des acteurs internationaux, ni la capacité suffisante pour faire usage de la connaissance dont ils disposent afin de mettre en œuvre efficacement une telle stratégie.

Imaginez les politiciens de Washington tentant de calibrer soigneusement leur soutien à Assad pour qu’il soit suffisant pour empêcher sa défaite, mais pas assez pour permettre sa victoire… Ensuite, pour coordonner parfaitement dans le temps un changement d’alliance, non plus avec le gouvernement mais avec l’opposition, afin de maintenir l’équilibre du pouvoir si Assad recouvrait ses forces ; et ensuite, pour décider du moment où les deux parties seront suffisamment équilibrées pour trouver de nouveaux combattants à soutenir. Tout cela défie l’entendement.

Même si cela était possible, comment Washington s’adapterait-il aux événements imprévus ? L’ancien procureur international Carla Del Ponte a annoncé au début du mois de mai qu’il y avait des « soupçons concrets, solides mais pas encore la preuve irréfutable » que l’opposition syrienne a utilisé du gaz Sarin. Comment Washington devrait-il alors changer l’équation interventionniste ? Peut-être que Washington devrait bombarder les deux côtés en même temps !?

La politique américaine durant la Seconde Guerre mondiale a « marché », dans la mesure où le soutien à l’Union soviétique peut être appelé un succès, car elle ne prétendait pas faire dans la nuance. Washington et les autres alliés ont choisi de s’allier avec Moscou. Il y avait quelques partisans de la stratégie de Pipes - par exemple, le général George Patton suggéra d’armer d’anciens soldats nazis pour attaquer l’URSS. Mais la plupart des Américains croyaient qu’une grande guerre mondiale au milieu du siècle avait suffi.

Par ailleurs, aucune politique interventionniste ne peut éviter les inévitables conséquences involontaires. Un exemple majeur : la politique américaine dans le golfe Persique, elle-même en grande partie une conséquence de mesures prises au mépris presque frivole de leurs conséquences, il y a six décennies de cela.

En 1953, Washington fomentait un coup d’État contre le Premier ministre iranien de gauche, Mohammed Mossadegh. Son remplaçant, le Shah, était sans doute un allié américain fiable, mais c’était un voyou. En réprimant brutalement des éléments politiques plus modérés et en modernisant par la force une société traditionnelle, il contribua à déclencher la révolution islamique de 1979 qui mit l’ayatollah Khomeiny au pouvoir.

La peur de la subversion iranienne et l’agressivité dans le Golfe a conduit l’administration Reagan à soutenir Saddam Hussein après qu’il a attaqué l’Iran. Ce dernier, croyant qu’il avait le soutien au moins tacite des USA, tenta alors d’absorber le Koweït voisin. Mais Washington est alors intervenu contre lui. Cependant, les États-Unis l’ont laissé au pouvoir car ils craignaient de créer un vide de pouvoir qui serait rempli par l’Iran. Dans le même temps, Washington maintenait ses troupes en Arabie Saoudite, ce qui créa l’un des griefs qui ont poussé Oussama Ben Laden à frapper l’Amérique le 11 septembre.

Par la suite, l’administration Bush a envahi l’Irak pour « assécher le marais », créant le vide tant craint auparavant, ce qui a renforcé la position géopolitique de Téhéran. Si Washington finit par attaquer l’Iran, l’impact pourrait être aussi extraordinaire qu’imprévisible. Car malheureusement, le potentiel des conséquences imprévues du coup de 1953 n’est pas encore épuisé.

L’ingénierie sociale est déjà assez difficile - en fait, presque impossible – en matière d’affaires intérieures. Elle est encore plus difficile à l’étranger. Il n’est pas facile de transcender l’histoire, les traditions, les religions, les origines ethniques, la géographie etc. C’est la raison évidente pour laquelle l’intervention échoue si souvent, produisant des effets contreproductifs jamais imaginés par ses partisans.

La Syrie fait partie des affaires les plus difficiles pour les USA. Les demi-mesures américaines, comme une zone d’exclusion aérienne, empêtreraient l’Amérique dans une impasse sans générer de résultat décisif. Se saisir des stocks d’armes chimiques de la Syrie assurerait leur utilisation - contre les troupes alliées - et exigerait beaucoup d’hommes sur le terrain. Un force d’occupation encore plus importante serait nécessaire pour vaincre le régime, rétablir l’ordre et faire respecter la paix. Avec un public las de la guerre et un État au bord de la faillite, une telle politique serait une folie pour les USA.

Il faut résister à la pression croissante d’intervenir en Syrie et dans d’autres conflits inutiles. Le fait que l’on puisse trouver un argument pour soutenir presque chaque partie dans la guerre civile syrienne est sans doute la meilleure preuve que la seule solution raisonnable est de rester en dehors de ce tragique conflit.

Doug Bandow

Doug Bandow est analyste au Cato Institute. Le 8 mai 2013.

http://www.libreafrique.org/Bandow_Syrie_USA_080513

Cet article a été publié en anglais sur le site du Cato Institute. http://www.cato.org/publications/commentary/perils-intervention-syria

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« Je pense que l’un des grands défis des Occidentaux, c’est d’être capables de mettre le curseur sur des forces politiques que l’on va considérer comme fréquentables, ou dont on va accepter qu’elles font partie de ce lot de forces politiques parmi lesquelles les Syriennes et les Syriens choisiront, le jour venu. Et je pense que oui, l’ex-Front al-Nosra [Al-Qaeda en Syrie - NDR] devrait faire partie des forces politiques considérées comme fréquentables »

François Burgat sur RFI le 9 août 2016.

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