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La Résistance Palestinienne. Un droit légitime et un devoir moral, par Samah Jabr.


MIFTAH 10 novembre 2003.


Samah Jabr

Les atrocités incessantes et insupportables perpétrées par le gouvernement d’Israël nous laissent peu de choix pour réfléchir sur l’aspect moral de notre résistance. Le plus souvent, nos réactions liées aux évènements sont immédiates, instinctives et émotionnelles. Le peu qui parviennent encore à réfléchir sur les aspects moraux, politiques et stratégiques de notre lutte se retrouvent confrontés au manque de perspectives et aux dégâts causés par le conflit sur la raison et la conscience.

Comment évaluer la résistance palestinienne avec le plus de justesse, et le respect qui lui est dû, dans le cadre de la longue histoire du conflit palestino-israélien ? L’occupation de la Palestine a pour fondement une idéologie du 19ème siècle qui nie l’existence d’un peuple. Elle a poursuivi un agenda colonial faisant valoir des droits divins à " une terre sans peuple ". En réponse à cette agression théo-coloniale, la résistance palestinienne a adopté la stratégie " de la guerre d’un peuple " aux fins d’imposer la reconnaissance de la Palestine comme une nation dépossédée plutôt qu’en qualité de nation " non existante ".

A ce jour, les Palestiniens ne disposent toujours pas d’Etat, ni de forces armées. Nos occupants nous soumettent à des couvre-feu, expulsions, démolitions de maisons, torture légalisée et toute une panoplie hautement élaborée de violations de droits de l’homme. Rien ne peut justifier une comparaison entre le niveau de responsabilité officielle à laquelle les Palestiniens sont tenus pour les actions de quelques individus et la responsabilité de violence systématique et intense contre une population entière, pratiquée en toute impunité par l’Etat d’Israël. Les médias américains nomment notre quête de liberté " terrorisme ", ainsi le Palestinien endosse-t-il le rôle du prototype international du terroriste. Cette politique a façonné l’opinion publique occidentale avec pour conséquence un parti pris international concrétisé dans la tendance à décrire les violences commises contre des civils palestiniens dans un langage neutre. Les victimes palestiniennes se trouvent réduites à de simples statistiques anonymes alors que les victimes israéliennes sont dépeintes avec force mots et images.

Cette distorsion de la résistance palestinienne a étouffé tout dialogue raisonnable. Beaucoup de nos efforts pour défier le règne arbitraire de l’occupant sont renvoyés à la menace du " terrorisme " comme si nous devions nous excuser en permance et condamner la résistance palestinienne - en dépit de l’absence d’accord sur la définition du terme " terrorisme " et le fait que le droit à l’autodétermination par la lutte armée est autorisé par l’article 51 de la Charte des Nations Unies, concernant l’auto défense.

Comment se fait-il que le mot " terrorisme " est si volontiers appliqué aux individus ou aux groupes qui utilisent des bombes artisanales, et non aux Etats employant l’arme nucléaire et autres armes prohibées assurant la domination de l’oppresseur ? Israel , les USA et la Grande Bretagne se retrouveraient en toute logique en tête de la liste des Etats exportateurs de terrorisme en raison de leur agressions militaires contre la population civile en Palestine, en Irak, au Soudan et ailleurs. Mais, " terrorisme " est un terme politique dont se sert le colonisateur pour discréditer ceux qui résistent - de la même façon que les Afrikaaners et les Nazis qualifiaient de " terroristes " les combattants noirs sud africains et les résistants français.

Il y a aussi la tendance chez ceux qui s’opposent à la résistance palestinienne, à faire usage du terme " Jihad ", employé comme synonyme de " terrorisme ". En fait, ils réduisent la signification de ce terme à la notion de mort. Jihad est un concept beaucoup plus riche qui signifie lutter contre nos bas instincts, s’efforcer de faire de bonnes actions, s’opposer activement à l’injustice et faire preuve de patience en périodes difficiles. Jihad ne signifie pas faire usage de violence envers les créatures de Dieu, ni le courage de mourir en défendant les droits des créations de Dieu. Cependant, la violence peut être un moyen de défense d’un être humain rationnel. C’est ainsi que, par exemple, lorsqu’une femme réagit violemment à une menace de viol, c’est une forme de Jihad.

De plus, le Jihad est une valeur islamique et tous les combattants palestiniens ne sont pas musulmans. Que de jeunes Palestiniens sincères et généreux se fassent exploser est un secret qu’ils emportent avec eux. Peut être est-ce le fruit mystérieux de la vengeance poussant dans un sol fertile d’oppression et d’occupation ou la manière profonde de protester contre une cruauté impitoyable ; ou bien une tentative désespérée d’atteindre l’égalité avec les Israéliens dans la mort, vu qu’il leur est impossible d’y parvenir dans la vie. Les gens qui vivent dans des conditions inhumaines toute leur vie sont, malheureusement, capables d’actes inhumains. Que reste-t-il aux milliers de sans abris à Rafah, sinon leur résistance ? Ce n’est pas l’Islam, c’est la nature humaine commune à des hommes et des femmes religieux, séculaires et agnostiques. Nos femmes kamikazes ne meurent certainement pas dans l’espoir de rejoindre les 70 vierges les attendant au Paradis.

Un autre facteur décisif dans la résistance palestinienne est l’histoire affligeante des successifs négociations de paix et l’absence de soutien international. Les négociations avec Israël ne nous ont apporté que des promesses d’autonomie sur notre appauvrissement, tout en renforçant la volonté du puissant et en consolidant les inégalités, en tant que bases d’une occupation conçue pour durer. L’absence d’un négociateur honnête dans les négociations de paix est la chose la plus flagrante. Les Nations Unies ont été incapables de prendre des mesures pour défendre les droits des Palestiniens. Le monde entier n’a proposé aucun remède aux innombrables blessures qui accablent les Palestiniens. A maintes reprises, Washington a utilisé son droit de veto au Conseil de sécurité pour s’opposer au consensus mondial appelant à la présence d’observateurs internationaux en Cisjordanie et Gaza.

Le déni implacable de nos droits conjugué à l’absence de solution internationale efficace nous a amenés à prendre conscience que l’auto-défense était notre seul espoir.

Le droit international accorde à toute population combattant une occupation illégale, le droit d’utiliser " tous les moyens à sa disposition " pour se libérer et les occupés " ont le droit de chercher et de recevoir du soutien " (je cite ici plusieurs résolutions onusiennes). La résistance armée a été mis en oeuvre par la révolution américaine, la résistance afghane contre l’Union Soviétique, la résistance française contre les Nazis et les juifs résistants dans les camps de concentrations nazis, notamment le célèbre ghetto de Varsovie. De même, La résistance palestinienne est le résultat d’une situation d’occupation illégale et d’oppression d’un peuple dans son ensemble. Le degré de violence peut varier- en effet, il arrive que la résistance soit essentiellement non violente. En dépit de toutes les injustices dont ils font l’objet, les gens continuent résolument à vivre, étudier, prier et exploiter leurs terres dans un pays occupé. Dans quelques cas, ils résistent activement et ont recours à des actes violents. Cette résistance violente peut soit être défensive (et, donc, dans mon esprit, moralement acceptable), par exemple la défense du camp de réfugiés de Jenin par les combattants face à l’avancée des machines de mort israéliennes ; soit prendre la forme d’actes offensifs inacceptables, tel que le bombardement de civils israéliens fêtant la pâque juive. Cependant, dans tous les cas, ce sont des individus qui choisissent la forme de résistance et le choix qu’ils font n’est pas forcément celui de l’ensemble du peuple palestinien. Toutefois, comme nous l’avons constaté, que la résistance soit violente ou non violente, elle est également contrée par une violence d’Etat délibérée de la part du gouvernement israélien libre et démocratique et de son armée . La mort de la militante pacifiste américaine Rachel Corrie en est la preuve évidente.

" Où est le Gandhi palestinien ? " s’étonnent quelques uns. Nos " Gandhis " sont soit en prison, soit en exil soit enterrés. Nous ne sommes pas non plus des centaines de millions. Un peuple de 3,3 millions sans armes reste vulnérable face à 6 millions d’Israéliens, tous virtuellement soldats ou réservistes. Il ne s’agit pas d’une colonisation économique ; les Israéliens pratiquent l’épuration ethnique afin de s’emparer de la terre des Palestiniens au seul profit des Juifs.

Il est ironique de constater que peu de personnes parmi celles qui exhortent les Palestiniens à imiter Gandhi, se posent des questions sur le sionisme, la cause première de l’occupation. Pourtant, en 1938, Gandhi mettait déjà en doute les arguments du sionisme politique. " Ma sympathie ne me fait pas oublier les exigences de justice, le cri pour un foyer national pour les Juifs ne me séduit pas particulièrement. Le principe de ce foyer est à chercher dans la Bible et dans la ténacité avec laquelle les Juifs ont convoité leur retour en Palestine. Pourquoi ne peuventt-ils pas, comme les autres peuples de la terre, établir leur foyer dans le pays où ils sont nés et où ils gagnent leur vie ? "

Gandhi a clairement rejeté l’idée d’un Etat juif sur la " terre promise " en notant que " la Palestine de conception biblique n’est pas un tract géographique ".

La résistance violente est le résultat d’une occupation militaire inhumaine ; qui inflige arbitrairement des châtiments quotidiennement et sans autre forme de jugement, qui nie la possibilité de l’existence-même des moyens d’existence et détruit systématiquement toute perspective d’avenir du peuple palestinien. Les Palestiniens ne sont pas allés sur la terre d’un autre peuple pour le détruire ou le déposséder de ses biens. Notre ambition n’est pas de nous faire exploser pour terrifier les autres. Nous voulons que tout le monde puisse avoir, à juste titre, une vie décente sur notre terre natale.

Le plus troublant en ce qui concerne les critiques exprimées contre notre résistance est qu’elles font peu de cas de nos souffrances, de nos dépossessions et de la violation de nos droits les plus élémentaires. Lorsque nous sommes assassinés, ces critiques demeurent insensibles. Notre lutte pacifique quotidienne pour mener une vie normale reste largement ignorée. Lorsque quelques uns parmi nous succombent à la revanche et à la vengeance, les indignations et condamnations rejaillissent sur l’ensemble de notre société. La sécurité israélienne est jugée plus importante que nos droits élémentaires d’existence ; les enfants israéliens sont considérés plus humains que les nôtres ; et la douleur israélienne plus inacceptable que la nôtre. Lorsque nous nous rebellons contre les conditions inhumaines qui nous écrasent, nos critiques nous comparent à des terroristes, ennemis de la vie et de la civilisation.

Mais ce n’est pas pour les apaiser que nous devons revisiter notre résistance. C’est parce que nous nous soucions du moral des Palestiniens et de leur morale.

Les lois internationales et le précédent historique de nombreuses nations reconnaissent le droit d’une population lorsqu’elle se trouve sous le joug d’une oppression coloniale à prendre les armes dans sa lutte de libération. Pourquoi la situation serait-elle différent dans le cas des Palestiniens ? N’est ce pas le point de vue d’une règle de droit international et donc d’application universelle ? Les Américains ont établi dans leur constitution les droits à la vie, à la liberté et à quête du bonheur. Il est essentiel que le droit à la vie soit mentionné en premier. Après tout, sans le droit à rester en vie, à se protéger des attaques, à se défendre, les autres droits se videraient de leur sens. La conséquence de ce droit, c’est le droit à l’auto-défense.

Nous autres Palestiniens continuons à affronter une occupation brutale en exposant nos poitrines désarmées et nos mains nues. Je crois au dialogue entre Palestiniens et Israéliens mais les négociations ne suffisent pas à elles seules ; elles doivent s’accompagner de la résistance à l’occupation. Pendant que les Israéliens nous parlent, ils continuent à construire des colonies et à ériger un mur qui nous enserrera davantage et violera encore plus nos droits. Pourquoi devrions-nous abandonner nos droits à résister et continuer à vivre dans le royaume de l’absurde meurtrier ?

Vivre sous l’oppression et se soumettre à l’injustice est incompatible avec la santé psychologique. La résistance n’est pas seulement un droit et un devoir mais aussi un remède pour les oppressés. Indépendamment de toute option stratégique ou pragmatique, notre résistance demeur l’expression de notre dignité humaine. La résistance violente doit toujours être défensive et utilisée en dernier ressort. Cependant, il est important de distinguer les cibles acceptables (militaires) des cibles inacceptables (civils) et établir des limites à l’usage de nos armes. L’oppresseur ne doit pas à son tour être exempt de ces mêmes principes.

L’histoire de notre résistance doit être explorée et évaluée du point de vue du droit international , de la moralité, de l’expérience et de l’aspect politique, en tenant compte des événements chronologiques et du contexte et en accordant leur juste place aux droits de l’homme, aux règles internationales et aux normes de comportement largement admises par la communauté internationale. Les Palestiniens doivent être créatifs en fournissant des alternatives non violentes et efficaces comme formes de résistance. Elles pourront inviter les progressistes du monde entier à rejoindre notre combat.

En fin de compte, la force du Palestinien réside dans son moral, ses caractéristiques humaines ; à nous de trouver des ressources morales et humanitaires afin de protéger cette force.

Samah Jabr


 Source : The Palestinian resistance : Its Legitimate Right and the Moral Duty
http://miftah.org/Display.cfm?DocId=2663&CategoryId=5

 Traduit de l’ anglais par Eric. Colonna.



Samah Jabr est palestinienne, médecin et vit dans Jérusalem occupée. Fille d’un professeur d’université et d’une directrice de collège, elle est chroniqueuse pour le Palestine Report en 1999-2000, sa rubrique s’intitulait " Fingerprints " ("Empreintes digitales"). Depuis le début de l’Intifada, elle contribue régulièrement au Washington Report on Middle East Affairs et au Palestine Times of London. Elle est lauréate du Media Monitor’s Network pour sa contribution sur l’Intifada et un certain nombre de ses articles ont été publiés dans le International Herald Tribune, le Philadelphia Inquirer, Haaretz, Australian Options, The New Internationalists et autres publications internationales. Elle a donné plusieurs séries de conférences à l’étranger pour essayer de faire partager la vision palestinienne de ce conflit. Elle a tenu des conférences à l’Université Fordham et au St. Peter’s College à New York, à Helsinki et dans plusieurs universités, mosquées et églises en Afrique du Sud.




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