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Nihilisme et cynisme post-Oslo : une génération trahie (Middle East Monitor)

Des manifestantes palestiniennes défilent lors d’affrontements avec les forces israéliennes à Bethléem, en Cisjordanie, le 14 octobre 2015 - Photo : Activestills.org

Plus de 55% des Palestiniens vivant dans les territoires occupés sont nés après la signature des accords d’Oslo il y a 25 ans. A qui s’apparente la vie de cette génération, maintenant que leurs espoirs d’indépendance et de prospérité ont été réduits à un cauchemar par l’occupation [israélienne] ininterrompue des terres palestiniennes et la destruction de notre tissu social par des factions politiques rivales ?

Les jeunes en Palestine sont confrontés à une double vulnérabilité : la vulnérabilité universelle de la phase de développement de l’adolescent, qui passe rapidement de la dépendance à la responsabilité et aboutit à la formation d’une identité individuelle façonnée par les acquis cognitifs et émotionnels de chacun ; et la vulnérabilité découlant du contexte de l’occupation, qui limite les possibilités et les chances, compromet l’indépendance personnelle, fragmente l’identité et submerge les ressources cognitives et émotionnelles.

Aucun Palestinien ne peut célébrer Oslo après tout ce qu’Israël a fait pour tourner le dos à ses engagements. Washington, le prétendu courtier de paix, a pris une position extrêmement préjudiciable à l’égard des Palestiniens en déplaçant l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem, en fermant le bureau de l’OLP dans la capitale américaine (la seule réalisation concrète d’Oslo), en coupant les fonds à l’UNRWA, aux hôpitaux palestiniens dans Jérusalem-Est occupée et à d’autres programmes humanitaires.

Oslo avait préparé notre jeunesse à une illusion qui aboutit à une terrible désillusion, avec une disparité encore plus grande entre Israéliens et Palestiniens et une dépendance accrue de ces derniers à l’égard des premiers. Ces résultats ont semé la confusion dans les espoirs, les valeurs et la raison d’être du peuple palestinien. Ces échecs ont entraîné une ambivalence dans les relations entre les personnes. Le résultat est que beaucoup de jeunes Palestiniens sont tombés dans le nihilisme ou le cynisme.

Les statistiques le démontrent. En 2013, l’Association pour les droits civils en Israël (ACRI) a publié un rapport indiquant que le taux d’abandon des élèves palestiniens dans les écoles administrées par Israël à Jérusalem était de 13% pour les élèves de tous âges et de 36% pour les élèves de 12ème, alors que le taux cumulé d’abandon des élèves dans les écoles juives israéliennes de Jérusalem-Est n’était que de 1%.

Une étude récente menée par l’Institut national palestinien de santé publique a estimé que la prévalence de la consommation de drogues en Palestine était de 1,8% chez les hommes âgés de 15 ans et plus. Les données disponibles indiquent que la consommation de drogues commence à l’âge moyen de 17 ans, avec une majorité de 80% de la consommation de drogues entre 18 et 28 ans. Les médias, quant à eux, montrent comment la police israélienne ferme les yeux sur le trafic de drogue, en particulier à Jérusalem-Est, où l’addiction est au moins du double par rapport à celle de Cisjordanie, et comment les trafiquants de drogue sont protégés par le système israélien, à distance de la communauté juive.

L’utilisation de drogues en Palestine rappelle les guerres de l’opium du XIXe siècle entre l’Empire britannique et la Chine, ainsi que les accusations plus contemporaines selon lesquelles la CIA aurait participé au trafic de cocaïne au Nicaragua et le FBI aurait inondé des communautés noires aux États-Unis avec des drogues bon marché qui ont abouti à la narcotisation de la jeunesse de ces communautés et à l’abandon de leurs espoirs de révolution sociale.

Les rapports du procureur général montrent une augmentation des tentatives de suicide en Palestine, en particulier chez les jeunes. Au cours des neuf premiers mois de 2017, la police a signalé 237 tentatives de suicide en Cisjordanie, un chiffre qui, nous le savons, n’est que le sommet de l’iceberg. Le suicide est également en hausse à Gaza. Dans une étude publiée l’année dernière par l’International Journal of Pediatric and Adolescent Medicine, Taha Itani et ses collègues ont constaté que la prévalence des idées suicidaires était de 25,6% chez les collégiens palestiniens. Ce taux est supérieur aux taux observés dans les écoles similaires à l’échelle internationale – qui vont de 15,6 à 23% – sur la base d’enquêtes menées dans les pays participants.

Outre le rôle important que jouent les facteurs individuels dans l’abandon scolaire, l’abus de drogues et les tendances suicidaires, il existe des déterminants sociaux et politiques puissants qui favorisent la pensée nihiliste et servent facilement à annihiler la résilience individuelle face aux problèmes personnels.

En Palestine, il existe une expérience répandue et courante de la mort traumatique, des deuils et des blessures graves provoquées par la violence politique. En outre, avec des taux de chômage et de pauvreté très élevés, les sombres perspectives d’avenir contribueront probablement à accroître les craintes et les inquiétudes chez les jeunes Palestiniens. Cet état d’esprit favorise une attitude à l’égard de la mort qui met l’accent sur son caractère inévitable, ce qui conduit à prendre des risques et à négliger une planification constructive [de sa vie]. De toute évidence, lorsqu’une personne se sent sans valeur aux yeux de l’État et de la société, elle perd facilement espoir et tombe dans un retrait régressif tel que la dépendance et la passivité.

La crise existentielle et le vide moral vécus en Palestine à travers le mirage d’Oslo jouent un rôle important dans la perte de désirs et de saines motivations envers la vie elle-même. À une certaine époque, la société palestinienne était rendue plus forte par la foi dans sa cause collective. Les Palestiniens ressentaient une plus grande unité nationale et un sentiment de confiance dans leur capacité à différencier un ami d’un ennemi. Oslo a sapé ces certitudes. Il n’est pas surprenant que les jeunes, en particulier, souffrent de la désintégration de nos idéaux nationaux et de notre [absence de] vision cohérente de l’avenir.

Les jeunes de Palestine aujourd’hui sont trompés dans leur droit à la résistance par leurs propres hommes d’État et par autant de projets en trompe-l’œil « de paix ». Ils sont privés des possibilités d’un engagement social et politique significatif. L’Indice de développement de la jeunesse de 2016 classe la Palestine, parmi 183 pays, en position 175 en « participation civique » et en position 148 en « participation politique ». Il n’est pas surprenant que l’on trouve la jeunesse de Palestine – celle qui a été la plus trahie au cours des générations – aux premières lignes de la lutte, concédant des sacrifices douloureux sans fin. Les jeunes en Palestine composent la majorité de ceux qui ont été tués, blessés, mutilés, et arrêtés dans notre contexte politique violent.

Dans le même temps, dans les instances politiques palestiniennes officielles, personne n’a moins que l’âge de la retraite. Nous n’avons pas réussi à impliquer nos jeunes, bien que leur participation soit essentielle au bon fonctionnement des institutions de l’État et des partis politiques. Cette situation est non seulement omniprésente dans les plaisanterie qui circulent sur les réseaux sociaux, mais également dans les sondages. Une étude récente menée par la Fondation FAFO dans le cadre de l’initiative Power2Youth financée par l’UE, a révélé que les Palestiniens âgés de 18 à 29 ans avaient peu confiance dans leurs institutions : seuls 30% ont confiance dans les forces de sécurité de l’État, 35% en la police et 39% en la justice. Selon l’Observatoire mondial, seuls 27% des jeunes Palestiniens ont exprimé leur confiance dans le gouvernement central, 12% dans le Parlement et, ce qui est particulièrement grave, 8% seulement dans les partis politiques. Cette méfiance massive à l’égard des institutions sociales, politiques et juridiques peut expliquer pourquoi les actions individuelles du type « loup solitaire » sont devenue une pratique habituelle de la résistance en Cisjordanie.

Nous sommes maintenant sur le point d’observer la Journée mondiale de la santé mentale pour 2018, un événement qui a choisi de mettre en avant le thème : « Les jeunes et la santé mentale dans un monde en mutation ». Cela m’a incité à rappeler au monde les déterminants politiques de la santé mentale en Palestine, en particulier pour nos jeunes. En plus des interventions médicales et thérapeutiques individuelles qui doivent être réalisées pour améliorer la santé de certains de nos jeunes, il convient de prêter attention à l’image plus large de la société. Nous devons élaborer les politiques nécessaires pour créer la solidarité sociale, réduire le chômage et la pauvreté et apporter de la qualité et du sens à la vie des jeunes en Palestine. Ce n’est qu’à ce moment-là que nous pourrons donner à nos jeunes la possibilité d’assumer des responsabilités de manière constructive, en les incitant à espérer, et en les protégeants.

Samah Jabr

1er octobre 2018 – Middle East Monitor

Traduction : Chronique de Palestine – Lotfallah

Samah Jabr est psychiatre et psychothérapeute à Jérusalem. Elle milite pour le bien-être de sa communauté, allant au-delà des problèmes de santé mentale. Elle écrit régulièrement sur la santé mentale en Palestine occupée.

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