Quand j’étais enfant, je jouais aux billes. Et c’était la plus importante des choses. Dans un tout petit village qui est resté un petit village aux maisons délabrées, aux champs immenses, mais côtés, là où le parfum des vaches laissait son parfum partout. On habitait entre la bille et le ciel.
On aurait dit un vase de verre, avec une coupole bleue. C’était un village-nid, bien tranquille. J’allais fouiner, au printemps, dans les mares, pour voir les têtards. Cette vie infime et grouillante me passionnait. Je n’étais pas cloisonné dans une cloche de verre, c’était un lustre strié de nuages, de la beauté des étés brûlants, quand ma mère, ma tante et moi allions aux fraises des champs. Les marguerites ballaient au vent, les bourdons tournoyaient comme des OVNIS, tout bougeait, même les nuages en convoi sur notre ciel. Toute cette vie était réelle. Toute cette vie était comme un village qui aurait pu se nommer « Charming ». Les gens s’aimaient, les gens se haïssaient, et il y en avait qui portaient leur orgueil comme une masse de plomb, d’autres leurs misères noire, mais vraiment noire, avec la faim au ventre, la maigreur, les dents cariées, la peau blanche, la silhouette osseuse.
Cet univers était trop petit pour s’entretuer. Il n’y avait que des guerres de mots, pas d’idéologies. Les batailles se faisaient parfois entre la beauté et les réussites des jardins. Entre les exploits sur le champ de baseball
On pouvait y compter deux ou trois petites industries. Mais on ne pouvait compter les truites dans les rivières.
Le seul terroriste que je connaissais était mon oncle, le mécanicien du village, qui changeait quelques pièces dans les autos, en replaçait des vieilles, battait sa femme et sa barge étai si rugueuse que l’on aurait pu poncer une fenêtre à la peinture craquante, rongée par le temps. Comme son visage…
Et chez les filles, « all of a sudden », apparaissait la beauté à couper le souffle.
On mangeait un frite dans une petit contenant de carton en allant se balancer sur la balançoire des voisins d’en face de la cantine. La balançoire était « communiste ». Elle appartenait à tout le monde.
***
Quand on a peu de passé, on ne peut avoir de nostalgie. Il n’y a pas de nostalgie dans la vie. Du moins, il ne faut pas en avoir. Car le présent ne se nourrit pas des traces du passé. Il est. Bien simplement. Il est. Et il est tout chaud. Tout chaud comme une fournée de pain, l’une après l’autre. La haine était à égalité des avoirs et des ambitions : toute petite, comme des particules d’orgueil qui traînent dans l’âme humaine.
Même avec un long passé, il ne faut pas avoir de nostalgie. Le passé est un cadavre qui nous a nourrit.
Quand l’automne arrivait, se pointait en ses petites gelées frimassant sur les herbes, on le prenait comme un morceau de glace après un été brûlant.
Les gens avaient des armes. Ils chassaient. C’était une question de survie et, - une chose bien normale dans ce monde aride, clos dans une petite vallée.
Personne ne travaillait le dimanche. Ils disaient que c’était jour de repos consacré à « dieu ». Ils s’habillaient de ce qu’ils pouvaient trouver de plus beau dans leur penderie.
Ils devenaient des dieux…
C’était comme ça. Personne n’avalait de pilule pour être « heureux ». Il n’y avait qu’un médecin pour trois villages, et tout ce qu’il faisait était d’arracher des dents. Mais on pouvait trouver un petit hôpital qui coûtait une fortune quand on y allait. Alors, ma mère n’y allait pas. Elle avait des amygdalites à répétitions, mais elle s’enfermait dans sa chambre et souffrait. Quelques jours plus tard elle en ressortait guérie. Elle allait alors jouer aux cartes chez une de mes tantes.
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Un jour, les vendeurs du temple sont arrivés. En fait, ils sont arrivés souvent, pendant des décennies. Ils ont agrandi le ciel, caché les fraises sauvages et les bleuets. Ils étaient tous plus intelligents que les gens du village. Ils disaient que c’était le progrès.
Le village est resté un peu le même, mais tout est devenu compliqué. Même avoir de l’eau…
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Aujourd’hui, les petites industries ont disparu. Les gens sont allés vers la ville. Certains sont revenus pour reprendre leur vie normale, tranquille, semant des tomates, des fèves, des carottes et des pommes de terre.
Alors qu’ils ne travaillaient pas l’hiver, ils durent passer tous leurs hivers à travailler.
Les gens n’ont pas changé. Les gens se sont fait traquer. Comme les lièvres qu’ils tuaient à l’automne lors des premières neiges. Le fil de laiton… Couleur or, mais traître et vicieux quand on savait faire les nœuds.
Ces gens-là vivaient avec la terre. Et avec la Terre. Si simplement, si bellement, malgré les souffrances… Les souffrances se sont élargies, la bulle de verre des ciels bleu d’été a éclaté.
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Les billes, les têtards, les filles, les mariages fous, la délinquance, le travail, et l’économie réelle. Pas un citoyen du village n’aurait pris une poule pour une auto. Ils savaient la valeur d’un œuf, d’une maison, et la patience qu’ils cultivaient étaient leur prière. Ils ne se servaient pas de moules : ils créaient sans moules. Mais quand les moules sont arrivés, ils se sont dit que ça leur faciliterait la tâche. Ils n’avaient pas compris que le travail n’était pas une torture mais une prière à genoux sur une terre à travailler pour la rendre meilleure.
Ils savaient que les enfants n’étaient pas faits pour la guerre. Qui donc voudrait charcuter ce qu’il a créé et qui lui ressemble ? Qui donc veut ses enfants déchiquetés ?
Alors, c’est là que le monde a changé.
J’ai changé de village. Je vis dans un autre village. Mais il n’y a plus cette bulle qui nous protégeait. Les villages se sont faits infiltrés par tous les diables de ce monde. Le malin. Ils parlent avec des papiers. Mais comme c’était compliqué, ils parlent avec des messages électroniques. Quand mon grand-père voulait vendre son coq, il n’allait pas sur Ebay pour en connaître le prix. Coq à Coq. Coq à l’âme.
Vendu.
Mais voilà que le jeu de la bille n’est plus un jeu d’enfants. Il existe des milliers d’organisation à travers cet univers pour jouer au grand pour qui la Terre est une bille. Si intelligents qu’ils ignorent qu’ils vivent sur celle-ci.
Alors ils contrôlent le savoir de nos enfants.
Notre médecine chimifiée.
Notre agriculture chimifiée.
Nos « démocraties » à la x comme je te pousse.
Nos avoirs ( nos poules titrisées )
Ils mensongent à tout vent.
Ils nazéifient nos enfants.
On dit que c’est un village « global ». C’était une formule positive. Il y a longtemps.
Maintenant, le village de plomb, avec les dettes, les manières de faire, les manières de cultiver, les manières de « fabriquer » des citoyens, etc.
Plus personne ne joue aux billes, ni ne regarde les filles de la même façon. Nous sommes OGM sans trop connaître l’amour du prochain. Il est confondu à ce passage entre l’enfance et la puberté.
Au moment où il nous pousse des poils, on ne voit plus l’autre autrement…
Au moment où le savoir fait l’amour à la vanité et à l’orgueil, et qu’il y a un file en attente pour devenir un héros givré au grandiose, prêt à tout, nous sommes cuits dans un four au point de faire fondre toute les billes et la Terre.
Qu’on ne me fasse pas suer avec les grandes idées. Une carotte ne pousse pas avec de grandes idées. Et même si on a un million de grandes idées, et qu’on radote en file sur les médias sociaux, cela ne changera rien.
Le marchand sait bien qu’il faut un miroir au sauvage…
La vanité finira par faire disparaître Alice au pays des merveilles. Car on peut bien utiliser le miroir, mais il est dangereux d’y entrer.
Voire mortel…
La vie est un conte de faits, pas un conte de fée…
Gaëtan Pelletier
26 mai 2013
http://gaetanpelletier.wordpress.com/2013/05/26/la-petite-bille-dans-lespace/
P.S. : Maintenant il n’y a plus de réels villages. Ils sont là physiquement, mais virtuellement ils sont gangrenés par la mondialisation. Et le plus grand exploit des « grands mondialistes » est d’avoir insufflé en chacun de nous le souffle qui nous empêche de respirer. L’horrible salariat fordien, si prometteur, a été vraiment un travail à la chaîne : Des mains au cerveau…
Je ne sais qui nous a donné cette bille, mais nous finirons par perdre la boule.
À force de vouloir être grands, nous finirons par être si petits que la douleur de se s’agenouiller sur un jardin pour faire pousser des rutabagas ne sera rien à celle qui se dessine.
C’est comme les administrations des pays : nous voilà avec plus d’architectes que de menuisiers.