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La lutte contre la contrefaçon va t-elle nier les droits des agriculteurs ?

Le Sénat doit examiner le 20 novembre 2013 en procédure accélérée une proposition de loi destinée à renforcer la lutte contre les contrefaçons.
Cette loi va condamner tout agriculteur qui produit à la ferme ses semences, ses plants, ses animaux reproducteurs ou ses préparations naturelles à base de micro-organismes ou d’autres éléments naturels issus de sa ferme ou de l’environnement naturel et destinés à ses productions fermières ou aux soins de ses cultures et de ses animaux.

Le Sénat doit examiner le 20 novembre 2013 en procédure accélérée une proposition de loi destinée à renforcer la lutte contre les contrefaçons. Cette loi vise à mettre l’État, sa justice et sa police, au service direct des entreprises privées détentrices de Droits de Propriété Intellectuelle (DPI). Tous ces dispositifs renforceraient le contrôle exercé par les détenteurs des marques commerciales, des brevets, y compris les brevets sur les plantes, les animaux et les micro organismes. Ils sont en outre étendus sans restrictions aux Certificats d’Obtention Végétale (COV).

L’acte millénaire de sélectionner et de ressemer une partie de sa récolte sera considéré comme une contrefaçon, c’est à dire sera mis sur le même plan que la reproduction frauduleuse d’un objet ou d’une monnaie.

Sous prétexte de lutter contre les contrefaçons, cette proposition de loi ouvre la porte d’une appropriation généralisée du vivant à un secteur industriel qui n’en est pas à ses premières actions de bio-piratage. Ainsi, cette appropriation ne relèverait pas seulement d’un hold-up légalisé sur des ressources et savoir-faire communs, mais mettrait aussi en péril toutes les formes de biodiversité que seuls de multiples acteurs qui ne s’enferment pas dans des stratégies d’économie d’échelle et de standardisation, sont à même de préserver et de renouveler.

Cette loi, qui s’ajoute à tout un arsenal juridique d’appropriation du vivant, criminalisera les agriculteurs qui ne payeraient pas tous les ans pour acheter ou reproduire eux-mêmes leurs semences et animaux reproducteurs et interdira de facto la sélection paysanne telle qu’elle existe depuis l’invention de l’agriculture. Il en sera de même des paysans-boulangers qui élaborent leurs propres levains pour faire leur pain, des fromagers fermiers qui utilisent leurs propres ferments, des vignerons utilisant leurs levures indigènes ou encore des agriculteurs qui élaborent avec les ressources de leur ferme et de l’environnement naturel d’autres préparations pour soigner leurs cultures ou leurs animaux. En effet, tout agriculteur qui ne disposera pas de factures d’achat de ses semences, de ses animaux reproducteurs ou de ses préparations naturelles sera considéré a priori comme contrefacteur, ce qui est la négation des fondamentaux de l’agriculture... et des libertés individuelles.

Comment ne pas considérer comme inique une loi qui transforme en contrefaçon la production à la ferme par l’agriculteur de ses semences, de ses animaux ou de ses préparations naturelles ? Cet acte fondateur de l’agriculture est un droit immémorial et inaliénable. Il ne saurait être ainsi dévoyé pour satisfaire l’appétit financier d’industriels qui, pour développer leurs produits, ont puisé gratuitement dans l’immense diversité des ressources et savoir-faire développés depuis des générations par les paysans. Ainsi pour l’exemple des semences, ce sont en fait ces semenciers industriels qui devraient être redevables de cette sélection paysanne pluri-millénaire qui sert aujourd’hui de base à toute la sélection contemporaine.

Il est donc urgent de se mobiliser et de mettre le législateur devant sa responsabilité d’interdire formellement ce dévoiement de la loi en encadrant avec suffisamment de clarté cette nouvelle proposition législative.

Les implications concrètes de cette proposition de loi sont développées dans la suite de l’argumentaire. Le collectif Semons la Biodiversité et ses partenaires défendront auprès des parlementaires l’amendement suivant afin d’éviter que la lutte conte la contrefaçon n’ait comme conséquence de transformer l’agriculteur en délinquant.

Proposition d’amendement à l’attention des sénateurs français :

« La production à la ferme par un agriculteur de ses semences, de ses plants ou de ses animaux pour les besoins de son exploitation agricole, ne constitue pas une contrefaçon, et ce quelle que soit l’origine de ces semences, de ces plants ou de ces animaux.

La production à la ferme par un agriculteur de ses ferments, levains, levures et autres préparations naturelles à base de micro-organismes ou d’autres éléments naturels issus de sa ferme ou de l’environnement naturel et destinés à ses productions fermières ou aux soins de ses cultures ou de ses animaux, ne constitue pas une contrefaçon.

La rémunération de la sélection des végétaux et des animaux destinée à l’alimentation et à l’agriculture fait l’objet de dispositifs particuliers qui ne rentrent pas dans le champ d’application des lois générales de lutte contre les contrefaçons ».

La dénonciation des débordements abusifs de cette proposition de loi contre les contrefaçons s’inscrit dans une campagne plus large pour que « vivent les semences paysannes »1. Dans ce contexte, elle s’articule avec un autre combat concernant le projet de loi autorisant la ratification de l’accord relatif à une juridiction unifiée du brevet, que le gouvernement a examiné le 23 octobre et qui doit être voté par le Parlement avant la fin 2013. Cet accord instaure un nouveau tribunal international des brevets qui échappera au contrôle parlementaire, tout comme l’Office européen des Brevets qui accorde des brevets sur des gènes ou caractères naturellement présents dans les plantes et les animaux en opposition totale à la résolution du Parlement européen du 10 mai 2012. Ce tribunal pourrait poursuivre en contrefaçon tout agriculteur victime de la présence fortuite d’un gène ou d’un caractère brevetés dans ses récoltes ou ses animaux. En effet, alors que l’accord international a pris soin de protéger les sélectionneurs victimes d’une telle présence fortuite, il ne prévoit rien pour la protection des agriculteurs qui ne pourraient fournir la facture d’achat de semences ou d’animaux brevetés.

Il faut agir maintenant pour informer les sénateurs avant le vote du 20 novembre !
Chacun doit porter ce combat à la connaissance de son sénateur et de son député.

Vous trouverez notamment ici la lettre ouverte envoyée aux sénateurs, que nous vous invitons à renvoyer à vos sénateurs et députés locaux dont vous trouverez les contacts ici et ici.

Une proposition de loi de lutte contre les contrefaçons criminalisant l’agriculteur.

Tout agriculteur qui produit et reproduit lui-même ses semences, ses animaux, ou encore ses ferments, levains, levures et autres préparations naturelles à base de micro-organismes ou d’autres éléments naturels issus de sa ferme ou de son environnement naturel et destinés à ses productions fermières de fromages, pains, charcuterie, vins, cidres... ou à soigner ses cultures ou ses animaux, est présumé contrefacteur. Sa récolte, ses animaux, ses productions fermières, ses vins et autres boissons fermentées... pourront être saisis à l’initiative des services de police ou sur simple demande du détenteur d’un brevet, d’un COV ou d’une marque commerciale qui n’aura pas besoin pour cela d’apporter au préalable la preuve de l’existence d’une contrefaçon.

Pour faciliter les saisies, ou menaces de saisies, l’État disposera de la liste de ces agriculteurs qu’il pourra communiquer aux détenteurs de DPI. Cette liste sera constituée en application de l’obligation d’enregistrement de tous les producteurs de semences de ferme découlant de la loi sur les COV de 2011, de l’obligation de certification des semences animales et des animaux reproducteurs découlant de la loi d’orientation agricole de 2006, de l’obligation de déclaration sanitaire de tous les ateliers de transformation fermière, de l’obligation de déclaration de toute production de vin...

Cette liste constituera une présomption de contrefaçon suffisante pour obliger l’agriculteur qui ne voudra pas prendre le risque d’être poursuivi à prouver lui-même qu’il n’a reproduit aucun organisme vivant protégé par un droit de propriété intellectuelle. Mais il ne pourra pas amener cette preuve en cas de contamination par des gènes brevetés amenés dans ses champs ou ses produits par des pollen ou des graines transportés par le vent, les insectes, les oiseaux ou des mélanges au sein des filières de fabrication ou de livraison d’intrants, en cas de brevet sur des gènes natifs ou des caractères naturellement présents dans ses plantes, ses animaux ou ses micro-organismes, en encore si ses semences ou ses animaux sont issus d’échanges avec ses voisins déclarés illégaux par les réglementation du catalogue et les obligations d’achats de reproducteurs mâles certifiés. Et il pourra encore moins se défendre devant les tribunaux en cas de litige face à des multinationales disposant de multiples cabinets d’avocats capables de faire durer des procédures judiciaires très onéreuses pendant plusieurs années.

Pour piéger les agriculteurs présumés contrefacteurs, ou ceux ayant oublié de remplir leurs obligations d’enregistrement ou de certification, la compétence des services des douanes sera élargie pour agir au niveau national.

Ces derniers seront autorisés à se déguiser en délinquants selon deux techniques ainsi décrites dans la proposition de loi :

  • "L’infiltration" :

"cette procédure, qui requiert l’autorisation préalable du procureur de la République, consiste, pour un douanier doté d’une fausse identité, à s’installer dans le rôle de trafiquant pour collecter des renseignements utiles à la réalisation d’investigations fondées sur le code des douanes (visite domiciliaire, placement en retenue douanière des personnes ayant commis un flagrant délit douanier puni d’une peine d’emprisonnement) afin de notifier des infractions douanières et de procéder à la saisie des marchandises de fraude."

  • "Les coups d’achat" :

"cette procédure consiste, pour un douanier, à procéder à l’acquisition d’une certaine quantité de produits soupçonnés de constituer des contrefaçons afin de vérifier si la contrefaçon est ou non avérée."

En cas de condamnation, les dommages et intérêts devront être supérieurs aux frais engagés par les détenteurs de DPI et aux bénéfices potentiels découlant de la contrefaçon.

Quelles conséquences concrètes pour les agriculteurs ?

La première conséquence sera une atteinte inadmissible à la vie sociale agricole basée sur l’entraide et la confiance. Tout le monde devra se méfier de tout le monde, notamment de toute personne demandant d’échanger des semences, des animaux, des préparations naturelles... et susceptible d’être un agent de la lutte contre les contre-façons déguisé en délinquant, ou plus exactement en pousse-au-crime.

La deuxième conséquence sera un enfermement bureaucratique répressif si l’agriculteur souhaite rester maître de ses choix de sélection (tant pour les semences que pour les animaux) ou dans l’utilisation de micro-organismes et des préparations naturelles peu préoccupantes sans risquer des poursuites en contrefaçon.

Cet enfermement bureaucratique ne laissera aux agriculteurs que le choix entre :

  • acheter des semences commerciales, ou payer des royalties pour l’utilisation de semences de ferme ; que ce soit pour les utiliser ou pour ne pas les utiliser afin de rester maître de ses choix de sélection,
  • acheter des animaux reproducteurs certifiés pour les utiliser, ou acheter des animaux reproducteurs certifiés sans s’en servir afin de pouvoir rester maîtres de ses choix de sélection
  • acheter des ferments, des levains, levures, des produits de bio-contrôles et autres produits commerciaux issus des micro-organismes et des préparations naturelles peu préoccupantes utilisées dans les fermes mais protégés par des marques commerciales ou des brevets, ou risquer des poursuites en contrefaçon.

Concrètement :

S’il a reproduit ses propres semences de ferme d’une des 21 espèces « dérogatoires » sur lesquelles l’État lui a accordé « le privilège de ressemer » selon la loi sur les obtentions végétales de 2011, l’agriculteur devra prouver qu’il a payé les royalties dues ou qu’il a reproduit une des dernières variétés non protégées par un COV et non hybride F1 encore enregistrées au catalogue. Dans tous les autres cas, il sera condamné.

S’il a reproduit à la ferme ses propres semences ou plants de légumes, soja, maïs, arbres fruitiers, vignes ou autres espèces non dérogatoires, il devra apporter la preuve qu’il a reproduit une variété non protégée par un COV et non hybride F1. Dans tous les autres cas, il sera condamné.

S’il sélectionne et conserve des variétés locales non enregistrées au catalogue, il devra prouver l’origine légale de l’échantillon de semences de base qui lui a permis de sélectionner lui même sa propre variété. Sinon, il pourra choisir entre une condamnation pour échanges de semences illégaux ou le paiement de royalties non dues.

Si un gène ou un caractère breveté est détecté dans sa récolte, l’agriculteur ne pourra échapper à une condamnation pour contrefaçon que dans deux cas très délimités :

  • soit il peut apporter la preuve qu’il a acheté des semences brevetées
  • soit, lorsqu’il a reproduit des semences de ferme d’une des 21 espèces dérogatoires", il peut apporter la preuve qu’il a acheté des semences brevetées dans les années précédentes et qu’il a depuis payé toutes les royalties dues à l’obtenteur.

Dans tous les autres cas, et notamment s’il a produit ses propres semences ou plants d’espèces non dérogatoires, ou bien en cas de contamination "fortuite" venant des champs voisins ou des filières d’approvisionnement, ou suite au dépôt d’un brevet sur un caractère ou un gène dits "natifs" car naturellement présent dans ses propres semences..., il sera condamné.

Si un gène ou un caractère breveté est détecté dans ses animaux, il devra apporter la preuve qu’il a acheté un animal reproducteur breveté et qu’il n’a jamais vendu un de ses descendants pour une autre destination que l’abattage, et qu’il n’en a jamais échangé avec d’autres agriculteurs. Dans tous les autres cas, notamment suite à une contamination fortuite des filières de production de reproducteurs ou de semences de reproducteurs, ou suite au dépôt d’un brevet sur un caractère ou un gène dits "natifs" car naturellement présent dans ses propres animaux, il sera condamné.

Si un droit de marque ou un brevet a été déposé sur une préparation naturelle ou un des constituants ou ingrédients d’une préparation naturelle qu’il produit et utilise pour ses transformations fermières ou le soin de ses cultures et de ses animaux, il sera condamné.

Collectif Semons la Biodiversité, 13 nov 2013.

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