Lors du sommet de jeudi et vendredi, les dirigeants européens ont décidé de travailler à la création d’une union bancaire. La première pierre de cette dernière a été posée mercredi, par la décision des ministres de l’Économie de confier à la Banque centrale européenne (BCE) la supervision des banques, aujourd’hui contrôlées par des autorités nationales.
L’accord trouvé est censé, selon les dirigeants européens, « préserver
la stabilité financière ». Est-ce le cas ?
Denis Durand. L’une des raisons principales de la crise a été que les banques ont été incitées, par la politique monétaire et leurs actionnaires, à utiliser leur pouvoir de création monétaire pour injecter de l’argent dans les marchés financiers. C’est pour cela que, ces trente dernières années, la masse des actifs financiers a une croissance trois fois supérieure à celle des richesses effectivement créées.
De temps en temps, ça craque : cela donne des crises financières comme celle des subprimes. La logique de la réglementation, depuis les années 1990, est de veiller au respect des ratios de Bâle.
Ceux-ci mesurent si les fonds propres des banques sont assez élevés en comparaison du montant des prêts accordés. Leur logique est donc de demander aux banques d’être toujours plus rentables... donc de prendre toujours plus de risques ! Elle n’est pas remise en cause aujourd’hui. Depuis le début de la crise, les dirigeants européens n’ont eu d’autre volonté que d’apporter la preuve que leurs politiques sont conformes aux exigences des marchés financiers.
Quelles ont été les conséquences des pressions du Royaume-Uni ?
Denis Durand. Cette supervision concerne l’ensemble de l’Union européenne (UE) et pas seulement dans la zone euro. Les pays non membres de la zone euro ont donc leur mot à dire. Or, la place de Londres est le principal centre financier européen. Au sein de la BCE, un organisme spécial dédié à la supervision bancaire sera donc créé pour y faire entrer le Royaume-Uni.
On a dans les conclusions du sommet une référence obsessionnelle à la préservation du marché unique. En clair, les Britanniques se sont battus pour que la zone euro n’impose pas une réglementation bancaire qui ne préserverait pas les intérêts de la City et sa réglementation particulièrement libérale.
Qu’est-ce qui doit changer dans le système bancaire ?
Denis Durand. Il faudrait pousser les banques à financer le développement des services publics, les investissements qui créent de l’emploi dans les territoires et préservent l’environnement. Outre la question d’une autre réglementation bancaire, avec d’autres normes de crédits et de ressources, cela pose celle d’une autre politique monétaire.
La BCE a le pouvoir d’imposer les conditions auxquelles elle prête aux banques, en fixant le niveau des taux d’intérêt sur le marché monétaire, en changeant les conditions auxquelles les banques peuvent emprunter auprès d’elle. Cela suppose de la démocratie au sein de la BCE, qui passe par un changement de ses statuts, de ses missions et de sa gouvernance.
Au niveau national, on aurait besoin de pôles publics financiers qui seraient des instruments pour réorienter l’ensemble du système financier.
Au niveau local et régional, les citoyens devraient pouvoir interpeller les banques sur leur comportement, obtenir la mobilisation du crédit bancaire en fonction d’objectifs sociaux, économiques et environnementaux.
Le fait que la supervision passe au niveau européen rend-il plus difficile l’intervention citoyenne ?
Denis Durand. Dans l’état actuel, transférer le pouvoir à la BCE n’est pas un progrès pour la démocratie. En 2009, quand a été créée l’Autorité de contrôle prudentiel (ACP), qui supervise les banques en France, la CGT et la CFDT avaient demandé qu’y siègent des représentants des syndicats. Cela n’a pas été le cas. D’où une consanguinité entre l’ACP et le milieu de la finance. Au niveau européen, rien n’a jamais été prévu pour que des représentants des citoyens disposent de pouvoirs au sein de la BCE.
Entretien réalisé par Gaël De Santis