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La face cachée de la laine

Quoi ? Mais qu'est ce qu'il y a avec la laine ? Quand on parle de souffrance animale, peu imaginent qu'on puisse y inclure l'activité de production de laine. Tondre les moutons, on fait ça depuis la nuit des temps. Et puis, les animaux ne souffrent pas, on leur enlève juste leur toison. C'est même salutaire pour eux, ça leur évite d'avoir trop chaud en été. Malheureusement, derrière cette description champêtre, se cache une réalité bien plus sordide ...

Un mot sur la laine

La laine possède de nombreuses atouts : excellent isolant thermique, dotée de capacités hydro-régulatrices, c’est aussi une matière peu inflammable, qui résiste bien à la tension et offre une bonne isolation phonique. Utilisée dans l’habillement (pull-overs, bonnets ...), la construction (moquettes, parois d’isolation) ou encore l’ameublement (tapis, matelas), la laine est aujourd’hui produite en très grande quantité à travers le monde. Trois pays concentrent l’essentiel de cette production : l’Australie (350.000 tonnes/an), la Chine (330.000 tonnes/an) et La Nouvelle-Zélande (150.000). Avec une production bien inférieure, on trouve ensuite l’Iran (50.000), l’Angleterre, l’Argentine (1)(2) ...

Une matière naturelle ?

Dans l’industrie lainière, les moutons ne sont pas pris au hasard. Il s’agit essentiellement de Mérinos, une race dont la particularité est de présenter une peau très plissée avec une surabondance de laine. En cause, la mise en place de programmes de sélection génétique poussés et un résultat obtenu sur plusieurs décennies de croisements. Sans cela, les moutons s’adapteraient naturellement aux saisons en produisant juste ce qu’il faut de laine. Notons que le mouton est lui même une vieille création humaine : il est issu de la domestication du mouflon, une espèce sauvage très ancienne (encore présente aujourd’hui) dont la toison est beaucoup plus fine (elle s’apparente à celle de la chèvre).

Des monstres génétiques ...

Le grand malheur des Mérinos, c’est qu’ils ne perdent pas leur laine. Celle-ci s’accumule au fil des saisons, ce qui les rend complètement dépendant de l’intervention humaine (la tonte). Il suffit de se pencher sur les quelques cas de Mérinos qui se sont enfuis et ont vécu plusieurs années dans la nature (Shrek, le Mérinos Néo-Zélandais, retrouvé après 6 années d’errance avec une toison de 27 kilos et de 40 cm d’épaisseur ; Chris, le Mérinos Australien a qui on a dû enlever 40 kilos de laine ; Cecil et Big Ben avec leur 38 et 29 kilos de laine respectifs ...) pour se rendre compte de la monstruosité génétique ainsi créée.

... destinés à produire ...

Dans ces circonstances, on pourrait presque défendre les élevages ... après tout, les moutons y sont tondus régulièrement, non ? Ce serait oublier que la tonte répond à des objectifs économiques et pas de bien-être animal. Ainsi, même s’il est communément admis que la tonte devrait normalement avoir lieu au printemps (avant l’arrivée des grosses chaleurs), chaque élevage agit en réalité selon ses propres impératifs. Selon les objectifs de production (qualité et/ou quantité attendue), la disponibilité des tondeurs (et autres intervenants : trieurs, cardeurs ...), les calendriers de vente (marchés, événements ...) ou encore les problèmes à éviter (infestation par les mouches, contamination de la laine par des matières végétales ...), certains éleveurs choisissent ainsi de tondre après l’été, d’autres deux fois dans l’année ...

... ou à mourir

De fait, certains moutons meurent de chaud (en été, à cause du surplus de laine), d’autres de froid (en hiver, à cause du manque de laine) ..., des "problèmes thermiques" qui représentent à eux seuls plus de 15 % de la mortalité en élevage. Parmi les autres causes de mortalité, on trouve principalement la famine (21 %), les problèmes périnataux (morts-nés, prématurés : 20%), la dystocie (15 %), le mismothering (12 %), les infections ..., soit des problèmes qui découlent plus ou moins directement de la vie en élevage (génétique des performances, manque d’hygiène et/ou de nourriture appropriée ...)(3).

Des troupeaux gigantesques

Certaines maladies sont également responsables d’une dégradation importante de la qualité de vie : la toxémie de gestation (déséquilibre entre les besoins et les apports énergétiques de la brebis gestante), le parasitisme intestinal (vers), la dermatose des sabots ("footrot"), la dermaphilose (infection de la peau) ..., autant de maladies qu’un environnement misérable, associé à une concentration trop importante d’animaux, ne fait qu’aggraver. Et pour l’image de l’éleveur qui bichonne ses animaux, il faudra repasser. En Australie et Nouvelle-Zélande, les exploitations, généralement familiales (avec parfois un ou deux salariés en plus), gèrent des troupeaux gigantesques (plusieurs milliers de têtes). Il est donc impossible d’apporter un soin individuel à chaque animal.

Le mulesing ...

Parmi les "soins" de groupe, l’un d’eux s’avère particulièrement barbare : le mulesing (4). Explication. A cause des replis de peau et du surplus de laine, les Mérinos sont particulièrement vulnérables aux attaques de mouches. Et pour cause : leur région périanale, constamment humidifiée par l’urine, constitue un terrain idéal pour les mouches qui veulent pondre ; ainsi que pour pour leurs larves, qui se nourrissent ensuite de la chair environnante. Les moutons peuvent alors mourir à petit feu, à moins ... qu’on ne les aide à se débarrasser de leurs hôtes. Comment ? En leur coupant de larges bandes de peau sur l’arrière train. Une opération généralement très douloureuse (car effectuée à vif), et potentiellement source de nouvelles infections.

... et autres mutilations

Le mulesing n’est pas la seule douleur aiguë infligée aux moutons. Dès les premières semaines de la vie, ceux-ci sont en effet déjà soumis à rude épreuve. Castration, coupe de la queue (caudectomie), perforation des oreilles : des mutilations là encore effectuées sans le moindre anti-douleur. Et souvent de la façon la plus cruelle qui soit. Qu’il s’agisse de castration ou de caudectomie, la méthode la plus fréquemment employée est celle dite de striction (pose d’une élastique dans le but de bloquer l’afflux sanguin). Or, si cette méthode présente un avantage pour les éleveurs (gain de temps, absence de complications), elle est aussi réputée pour être particulièrement longue et douloureuse pour les animaux (pire que la pince, le couteau ...).

Tontes brutales

Productivité oblige, la maltraitance s’invite jusque dans la tonte. Payé au volume (et non à l’heure), un professionnel tond en moyenne entre 100 et 150 moutons par jour. Une activité sportive (5), dont les animaux ne sortent pas indemnes. De fin 2012 à mars 2014, des militants de Peta ont infiltré une vingtaine d’ateliers Australiens et y ont filmé (en caméra cachée) les maltraitances perpétrées par quelques 70 employés. Les images sont effrayantes. On y voit des tondeurs frapper les moutons à coups de poings ou de tondeuse, leur cogner la tête contre le sol, les piétiner ; certains moutons saignent du nez ou des yeux, d’autres présentent des plaies ouvertes, plaies qui sont ensuite recousues sans le moindre anti-douleur ... D’autres enquêtes de Peta révéleront ensuite le même genre d’abus aux Etats-Unis (14 ranchs visités sur 25), en Argentine, au Chili ...

Fin de vie hallal

Avec l’âge, les moutons produisent moins de laine. Arrive alors un moment où ceux-ci sont moins intéressants pour leur laine que pour leur viande. Le plus souvent, ils sont alors expédiés vers le proche-orient ou l’Afrique du nord pour y être abattus. Chaque année, ce sont ainsi plusieurs millions d’animaux qui doivent endurer de de longues traversées (plusieurs semaines) dans des conditions souvent insupportables. Entassés dans des bateaux à plusieurs étages, certains d’entre eux (entre 1 et 28 % selon le Meat and Livestock Australia) meurent de faim ou de soif, d’autres d’étouffement ou de maladies. Quant aux survivants, ils finiront probablement égorgés sans le moindre étourdissement préalable (rituel musulman).

Victimes collatérales

En Australie, l’industrie lainière fait d’autres victimes. Il s’agit essentiellement de prédateurs (renards, chiens sauvages, dingos)(6) et d’animaux qui entrent en concurrence avec les moutons pour l’herbe (kangourous). Des espèces dites "nuisibles", et qu’il faut donc éliminer à tout prix. Concernant les kangourous, les éleveurs peuvent obtenir des quotas d’abattage (ils sont alors obligés de laisser les animaux sur place), ou bien faire appel à des arborigènes (qui peuvent quant à eux emporter les animaux). Quant aux chiens sauvages et aux renards, ils sont "régulés" en masse. Des plans d’extermination sont même prévus au niveau national. La méthode choisie ? Le largage par avion/hélicoptère d’appâts empoisonnés.

Problèmes écologiques

Les élevages ovins sont par ailleurs responsables d’importants problèmes environnementaux : l’émission de gaz à effet de serre (GES) tout d’abord, puisque la production d’1 kg d’agneau engendre le rejet de près de 40 kg de GES (equ CO2) dans l’atmosphère (soit près de 50 % de plus que le boeuf, lui même gros émetteur)(7) ; la pollution des eaux et des nappes phréatiques ensuite, à cause des excréments et des produits chimiques (traitements anti-parasitaires ...)(8) ; la destruction de la végétation et de la terre enfin, avec pour conséquence une érosion des sols. Des problèmes avec toujours le même type de réponse, celui d’une fuite en avant technologique (bidouiller les estomacs des animaux pour qu’ils rejettent moins de gaz ...).

De la sélection génétique ...

Pendant que l’industrie lainière continue de vanter les mérites de la nature (en présentant son produit comme 100 % naturel et écologique), force est de constater qu’elle s’en éloigne de plus en plus. Autre exemple significatif, celui de la sélection génétique (9). Là où la sélection naturelle a toujours généré des "races à (sur)vivre", cette pratique (avec son lot de génotypage, de contrôle de performances ...), fournit désormais des "races à produire" (10), affaiblies et inaptes à la survie sans l’homme (11). Entre autres problèmes spécifiques, on constate ainsi chez le mérinos une sensibilité accrue aux maladies, des problèmes de mismothering (comportement maternel déficient), de cryptorchidie (non-descente des testicules chez le bélier), ... et une mortalité en élevage qui reste notablement élevée (20-25 % des animaux).

... à la transgenèse et au clonage

Cette fuite en avant ne se limite pas à la sélection génétique. Il y a peu, des chercheurs Néo-Zélandais ont mis au point des moutons produisant 5 à 10 % de laine en plus. Comment ? En introduisant dans le génome des animaux un gène codant pour la kératine (une protéine présente dans le follicule pileux). Dans l’avenir, ces moutons transgéniques vont probablement jouer un rôle de plus en plus important : ils fourniront une fibre plus longue, plus fine, plus chaude, voire colorée "naturellement". D’autant que les techniques de clonage (de plus en plus au point aujourd’hui), permettront ensuite de reproduire à l’identique et en série ces animaux à forte valeur génétique ajoutée.

Les moutons, des êtres cognitifs et sensibles

Contrairement à ce qui est souvent dit, les moutons ne sont pas des animaux stupides et bornés. Leur comportement grégaire, dont on a tiré pas mal d’expressions ("suivre comme un mouton" ...), s’explique en fait par leur condition de proie (on ne le retrouve pas dans les régions sans prédateurs). Question QI, une étude de l’université de l’Illinois a d’ailleurs placé les moutons juste après les cochons et à égalité avec les bovins. Certaines études ont par ailleurs montré leur capacité à reconnaître les visages (ceux de leurs congénères et même d’êtres humains) et à les mémoriser ensuite durant des années. D’autres études enfin ont pu mettre en évidence leur aptitude à ressentir des émotions (plaisir, peur, colère ...) ainsi qu’à interpréter celles de leur entourage (à partir des expressions de visage notamment)(12).

Abandonner la laine

Si rien ne justifie qu’on puisse maltraiter les moutons, ni même les considérer comme de simples ressources exploitables, il faut donc penser à abandonner la laine. Il existe aujourd’hui d’innombrables matières textiles, dont certaines présentent de bonnes propriétés isolantes. Parmi les fibres synthétiques, on peut citer l’acrylique, le nylon ou encore la famille des polyesthers (qui comprend notamment le polaire, une excellente alternative à la laine). Certes, pour la plupart dérivées du pétrole, ces matières ne sont pas les plus écologiques qui soient (même si le recyclage minimise en partie le problème). On pourra alors se tourner vers des matières naturelles, comme le coton (grand consommateur d’eau), le chanvre, le lin, le bambou, l’ortie, le lyocell, le modal ... Bref, ce ne sont pas les alternatives qui manquent.

Notes

(1) Des chiffres approximatifs et qui varient selon les années.
(2) 70 % environ de la laine utilisée en occident provient d’Australie.
(3) Notons que chaque année, une proportion non négligeable de moutons meurent sur le dos, faute d’avoir roulé à la renverse et, du fait d’une laine trop abondante et humide, de n’avoir pas pu se relever.
(4) Le mulesing a été abandonné dans plusieurs pays mais la pratique persiste toujours en Australie.
(5) Il existe même des championnats de tonte avec des records enregistrés (dans le monde ainsi que dans différents pays)
(6) Environ 4 % de la mortalité en élevage est due à la prédation.
(7) En Nouvelle-Zélande d’ailleurs, les émissions de méthane, provenant en majorité des élevages de moutons, constituent plus de 90% des émissions de gaz à effet de serre du pays.
(8) Notons que cette surconsommation phytosanitaire et médicamenteuse engendre par ailleurs des problèmes de résistance (résistance des ovins aux antibiotiques, des insectes aux insecticides ...).
(9) Un domaine géré par de nombreux gros instituts : le MerinoTech en Australie, la NZ Merino Company en Nouvelle-Zélande, l’Inra en France ...
(10) Un exemple avec le gène booroola, un gène d’hyperprolificité découvert en 1959 au sein de d’un troupeau de Mérinos à Booroola (en Australie) et que l’on a depuis, grâce aux techniques de sélection génétique, diffusé un peu partout. Un autre exemple avec le gène Le gène HH1 (halo-hair 1), un gène particulièrement intéressant pour produire de la laine de tapis, d’abord découvert sur la race de mouton Romney, puis ensuite diffusé à d’autres races (Drysdale ...).
(11) A noter d’ailleurs que la sélection génétique (entre autres techniques agro-industrielles) est en grande partie responsable de la disparation de plusieurs races ovines traditionnelles (certaines étant même en danger d’extinction).
(12) On a même pu observer dans certains cas leur aptitude à résoudre des problèmes (passer à travers une barrière en rampant sur le dos) ou à adopter un comportement stratégique (cacher les signes d’une maladie pour éviter d’être la victime de prédateurs).

Références

Futura Science, Le poil sous tous ses angles
La Croix, L’Australie surfe sur la mode de la laine
La Voix du nord, Australie : l’industrie de la laine renaît grâce à la Chine

Notre-planète.info, "Maman, ne me dessine surtout pas un mouton...!"
Wikipedia, Mouton
Wikipedia, Ovis

Science et Avenir Chris, le mouton aux 40 kilos de laine
Daily Mail, Shrek, the world’s shaggiest sheep
Australia Broadcasting Corporation, Wild and woolly Cecil the sheep

Sheep Management Wool, Twice the potential from twice the shearing

Grain & Graze, Simple steps to "ewe-turn" your lamb weaning percentage
National Agricultural Statistical Services, Sheep and goats death loss
Farm health online, Pregnancy Toxaemia

Mulesing - La face cachée de la laine
Caudotomie chez le mouton
Inra, Douleurs animales

Le Monde, En Australie et aux Etats-unis, des moutons torturés pour produire de la laine
Peta, Des moutons frappés, piétinés, coupés pour de la laine
Peta, Enquête en Australie
Peta, L’horrible secret de la laine Italienne
Peta, Des moutons mutilés et tués pour leur laine au Chili

Ship Technology, Transporting livestock by sea : contentious, but necessary ?
Le Bulletin des agriculteurs, Le bateau ayant 50.000 moutons à son bord (dont 5.000 sont déjà morts) retournera en Australie
The Guardian, WA seeks powers to prosecute live exporters after 3,000 sheep die on ship

Idele, Aperçu de l’élevage ovin Australien
Franceinfo, Australie : les chiens sauvages, cauchemar des éleveurs

20 minutes, Nouvelle-Zélande : Purifier les pets de mouton pour réduire les émissions de méthane
La Dépêche, Australie : les "pets écologiques" des kangourous contre le réchauffement

Patre, Recherche et amélioration génétique - En Nouvelle-Zélande, la nouvelle jeunesse du mérinos
Patre, Le plein d’agneaux avec le gène Booroola
Inra, Les méthodes de sélection animale

Illinois University, An Introduction to Sheep Behavior
Nature, Sheep don’t forget a face
Physiology & Behavior, Emotional experience in sheep
Behavioural and neurophysiological evidence for face identity and face emotion processing in animals
BBC, Crafty sheep conquer cattle grids

Respecterre, TOP 5, Les fibres les plus écologiques
Antigone 21, Chaud, éthique et écolo ? Yes we can ! (comment remplacer la laine)

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Viktor DEDAJ

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