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La diplomatie algérienne dans la tourmente libyenne

Maintenant que la proie libyenne est à terre et dépecée, et dans l’attente du partage de ses morceaux par les acteurs de cette guerre «  humanitaire », les puissances occidentales s’activent à mettre en place un nouvel ordre local qui sera composé d’un mixe de «  désordre constructif » et de contrôle à distance du nouveau régime via une armée internationale de «  conseillers » militaires, policiers et administratifs.

Mais pour assurer le futur ordre en Libye, les puissances occidentales devraient s’assurer que tous les voisins de la Libye jouent le jeu ! Parmi les pays limitrophes de la Libye, si on met de côté le Niger et le Tchad sur lesquels la France a des moyens de pression évidents, il reste la Tunisie, l’Egypte et l’Algérie. Les caisses vides et occupés par une transition difficile où l’opacité politique actuelle ne permet pas de juger des futures orientations diplomatiques des régimes qui sortiront des urnes, si respect des urnes il y aura, les deux premiers pays ont jusqu’ici été relativement fort coopératifs avec les puissances de l’Otan. Sans le montrer ouvertement, ils ont laissé passer les armes et les «  conseillers » militaires par leur territoire au profit des «  rebelles » du CNT.

Reste l’Algérie. Depuis le début du conflit, ce pays ne cesse de marteler sa neutralité et son refus de s’embarquer dans l’aventure de Sarkozy. Mal lui en a pris. Des dirigeants du CNT n’ont pas hésité à lancer des accusations graves contre l’Algérie dont notamment l’envoi de «  mercenaires » aux côtés des forces loyalistes de Kadhafi. Les démentis officiels algériens n’ont visiblement jamais convaincu ceux parmi les membres du CNT qui semblent guidés par une hostilité à l’égard de l’Algérie qui ne peut se comprendre que si elle est mise en rapport avec les autres tenants et aboutissants de cette guerre dont le centre de gravité est à rechercher entre Paris et Tel Aviv.

Ce fut une occasion en or pour Paris en vue d’enfoncer la diplomatie algérienne. On se rappelle la déclaration à la limite de l’insolence de Juppé, en avril dernier, disant qu’il a interpelé son homologue algérien pour en savoir davantage sur la question. Mais les choses étant ce qu’elles sont dans ce monde où seule la force prime, l’intervention intéressée des Américains a vite fait de refroidir les Français. Le 1er juin, lors d’une conférence de presse conjointe avec le ministre délégué algérien à la Défense, le commandant de l’Africom, le général Carter F. Ham a déclaré : «  Je n’ai rien vu d’officiel ou de rapport qui fasse état d’envoi par l’Algérie de mercenaires en Libye »

Une diplomatie controversée

Isolé au sein de la Ligue arabe, en butte aux campagnes d’intoxication d’Al Jazeera et de ses sponsors de l’émirat vassal du Qatar et aux pressions diplomatiques et para-diplomatiques des réseaux franco-israéliens qui peuvent compter à l’occasion sur un coup de main de leurs amis du Makhzen voisin, la diplomatie algérienne doit également essuyer les critiques internes qui lui reprochent d’avoir sacrifié les intérêts nationaux supérieurs à des calculs politiciens dont la compromission supposée avec le régime de Kadhafi serait le révélateur. Qu’en est-il exactement ?

Les critiques de l’ancien ministre Abdelaziz Rahabi et de l’ancien colonel du DRS, Mohamed Chafik Mesbah contre la diplomatie algérienne, si elles ont le mérite de mettre sur la place publique des analyses divergentes ne devraient pas occulter l’essentiel. La question fondamentale posée par cette guerre injuste au regard du droit international n’est pas tant l’appréciation qu’un Etat -fût-il voisin- peut avoir sur la nature politique d’un autre Etat, que l’évaluation des capacités réelles -militaires, politiques, économiques et diplomatiques- de manoeuvre dont dispose un Etat africain confronté à une guerre visant directement un Etat voisin mais ayant des répercussions certaines sur sa propre sécurité nationale.

Continuer à penser que la position diplomatique algérienne ne peut s’expliquer que par la volonté de soutenir le régime de Kadhafi et le souci de parer au «  changement démocratique » à l’intérieur relève d’une analyse infantile et dans l’air du temps tant elle fait bon marché des véritables sentiments qui animent les dirigeants algériens à l’égard du régime de Kadhafi qui leur a fait subir des misères durant plus de deux décennies, et passe à côté des véritables enjeux de cette guerre. On peut être d’accord pour reconnaître que le résultat final de la méthode Bouteflika en vue d’apprivoiser son bouillant voisin n’est pas un exemple de réussite diplomatique mais cela pouvait-il justifier le déshonneur d’enfourcher le cheval de l’Otan pour venir à bout d’un régime fantasque et imprévisible ?

Pressions diplomatiques sur l’Algérie

Comme on pouvait s’y attendre, l’accueil par l’Algérie d’une partie de la famille de Kadhafi, dont aucun -faut-il le rappeler- n’est poursuivi par une juridiction internationale, a été l’occasion pour certaines parties d’accentuer la pression diplomatique et médiatique sur l’Algérie. «  Il y a des préoccupations que (cette décision) ne soit pas en conformité avec les restrictions et les interdictions de voyager » imposées par les Nations Unies à la famille de Kadhafi, a indiqué Victoria Nuland, porte parole du Département d’État américain à CNN ce mercredi 31 août.

Il n’a pas fallu plus pour que le très courageux ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, enfonce le clou et déclare le lendemain 1er septembre sur RTL :«  L’Algérie a eu dans toute cette affaire une attitude ambiguë, c’est le moins que l’on puisse dire » et se permet de déterrer la vieille histoire du soutien prétendu de l’Algérie au régime de Kadhafi :«  Je suis allé moi même en parler au président Bouteflika qui m’avait assuré que l’Algérie ne donnait à la Libye qu’une aide humanitaire ». Avant de préciser : «  J’espère que cela se vérifiera ».

Si la position américaine reste mesurée, la position exprimée par le ministre français s’apparente en langage diplomatique à une véritable déclaration d’hostilité. Le système Sarkozy, qui a joué tout son avenir politique et un «  rang » encore incertain dans le dispositif impérial prévu pour la région sur cette guerre, sait pertinemment que les choses sérieuses ne font que commencer et que s’il n’a pas été facile de déboulonner Kadhafi malgré six mois de bombardements intensifs, il sera encore moins facile de stabiliser la situation dans le sens voulu par les nombreux prédateurs affamés dont les appétits ne sont pas nécessairement convergents. C’est la raison qui explique cet acharnement contre le seul pays dont on redoute le manque de «  coopération » sinon une interférence «  nuisible » aux intérêts néocoloniaux défendus par les sponsors de Sarkozy.

Contrairement aux oiseaux de mauvais augure qui ne ratent aucune occasion pour pousser l’Algérie à se débarrasser de ce qui lui reste d’indépendance et de souveraineté sur l’autel d’un «  réalisme diplomatique » douteux, la diplomatie algérienne dispose d’atouts non négligeables. Outre les incertitudes que les chancelleries et les états-majors occidentaux commencent à redouter en Libye, rien ne dit que les tentatives françaises d’isoler la diplomatie algérienne seront couronnées de succès si on prend en considération les divergences d’intérêts qui commencent à apparaître dans le camp occidental. Au contraire, l’acharnement français à l’endroit de l’Algérie ne peut s’expliquer que par le recul incontestable du lobby pro-français en Algérie durant ces dernières années, recul que le bellicisme de Sarkozy a fini par accentuer au sein des cercles dirigeants et au sein de l’opinion publique algérienne.

Les atouts de la diplomatie algérienne

Au-delà des gesticulations diplomatiques et des campagnes d’intox médiatiques plus ou moins raffinées, la guerre de l’ombre entre Paris et Alger a ses moments forts et discrets mais autrement plus déterminants pour la suite des évènements. L’accord donné par le Conseil de sécurité fédéral allemand pour un partenariat avec l’Algérie en matière de défense pour un volume de 14 Milliards USD sur dix ans et les conventions en cours avec les Britanniques et les Italiens dans le domaine de la coopération militaire qui vont atteindre le même plafond financier, pèsent plus dans la balance internationale que les déclarations fébriles et provocatrices d’un ministre français aux abois ! Les Français savent pertinemment que ces contrats entre des puissances membres de l’Otan et un pays qui ne cache pourtant pas le renforcement de sa coopération militaire avec la Russie et la Chine, ne pouvaient se conclure sans l’aval de l’Oncle Sam..

Il n’est pas dit que Sarkozy arrivera à convaincre aisément les maîtres de l’Empire de lui déléguer la sous-traitance de la gestion d’une région aussi importante que le Maghreb et le Sahel surtout que la France est loin de pouvoir compter sur la sympathie de ses alliés européens. Alliant comme de coutume business et diplomatie, les Américains pourraient se montrer plus sensibles aux arguments algériens qu’on le pense surtout si la diplomatie algérienne sait faire preuve de retenue et de concessions sans tomber dans les provocations qui vont se multiplier.

Rappelant au passage l’importance économique de l’Algérie dans la région, dans une déclaration à l’APS datant du 27 août, l’ambassadeur US à Alger, Henry S. Ensher n’a pas hésité à exprimer son respect pour la position algérienne même si on sait qu’elle ne s’est pas alignée sur celle des puissances occidentales, et à démentir par la même occasion les allégations de soutien de l’Algérie au régime de Kadhafi : «  Nous respectons beaucoup le rôle de l’Algérie dans cette crise et nous savons que l’Algérie est dans une position très difficile car la Libye est un pays voisin …Nous devons tenir compte de cette situation et en même temps, nous reconnaissons le respect par l’Algérie du Droit international et des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies »

Mieux, l’ambassadeur des Etats-Unis n’a pas hésité à conforter la position algérienne en rappelant les enjeux stratégiques et sécuritaires de la prochaine étape dans des termes qui ne doivent pas du tout plaire à leurs supplétifs de Paris : «  Actuellement et en cette période transitoire, nous pouvons dire que la situation est grave, notamment lorsqu’on entend des informations faisant état d’ouverture de stocks d’armes en Libye…Ce phénomène s’est déjà produit en Irak », soulignant qu’il s’agit ’d’une chose dangereuse pour tous les pays voisins’. Mais l’ambassadeur US est allé plus loin en reconnaissant le rôle de leadership régional à l’Algérie «  Nous avons, bien sûr, une expérience (dans la lutte anti-terroriste) dans d’autres pays et nous possédons la technologie qui peut être utile aux pays de la région, mais, l’essentiel est d’agir, sous la supervision de l’Algérie, dans les efforts de lutte contre le terrorisme dans cette zone ».

La France de Sarkozy et BHL n’a visiblement pas été remerciée comme elle l’attendait et on comprend mieux que la diplomatie française ne trouve pas mieux que de jeter son fiel sur le seul pays de la région qui l’empêche de reconstituer son ancien empire colonial défunt, fût-il un empire en carton puisque désormais le seul empire mondial est l’empire américain même si des forces centrifuges attendent leur heure en Asie (Chine, Inde). Même si la diplomatie algérienne n’a pas besoin de s’encombrer d’une ligne aventuriste malvenue, tout indique qu’elle a les ressources de continuer à s’opposer aux velléités de recolonisation françaises qui relèvent d’un autre temps.

En effet, à moins de tomber dans un infantilisme aventurier et dangereux, il faut aujourd’hui reconnaître qu’aucune diplomatie arabe ou africaine n’a les ressources de faire face à l’Empire mieux que des Etats comme la Russie, la Chine, l’Inde ou le Brésil. Mais chaque Etat peut s’appuyer sur les contradictions inter-impérialistes pour faire valoir ses intérêts nationaux légitimes et oeuvrer à son développement en nouant des alliances avec des puissances mieux disposées et plus coopératives.

L’exigence démocratique

L’enjeu véritable qui résume les pressions diplomatiques, médiatiques et politiques auxquelles fait face actuellement l’Algérie n’a rien à voir avec les mobiles agités par les médias à la solde de l’Otan et des pétromonarchies réactionnaires du Golfe relayés par des politiciens ou des intellectuels locaux aigris et frustrés qui passent leur temps à annoncer une «  révolution orange » qui ne viendra pas. Il ne s’agit rien de plus que d’une tentative pernicieuse de déstabilisation visant à substituer à un régime certes autoritaire et rongé par la corruption mais qui reste cependant perméable aux pressions nationales et sociales pour des raisons liées à sa formation historique particulière, par un régime néocolonial soumis aux intérêts convergents de l’ancienne puissance coloniale et d’une bourgeoisie compradore sans foi ni loi qui ne désespère pas de prendre le contrôle de l’Etat après avoir fait main basse sur le secteur parasitaire de l’import-import.

Si la diplomatie algérienne a jusqu’ici fait preuve de la retenue que recommande une conjoncture difficile, nombreux sont les citoyens algériens inquiets de l’avenir de leur pays qui commencent à exiger plus de fermeté à l’égard des mercenaires du CNT, de leurs sponsors du Golfe et d’une France revancharde et néocoloniale comme l’atteste l’explosion de pages sur Facebook appelant à la défense de l’Algérie. Avec toute la considération qu’on peut avoir pour son style policé, sans doute Mourad Medelci n’est plus aujourd’hui l’homme de la situation quand on a en face des ministres insolents et prétentieux comme Alain Juppé.

Il n’est pas normal que l’Algérie n’anticipe pas sur le risque de génocide encouru par 200 000 touaregs libyens et ne mette pas la Communauté internationale devant ses responsabilités à cet égard ! Il n’est pas normal que l’Algérie ne fasse pas cause commune avec l’Afrique du Sud dans sa dénonciation des crimes racistes odieux commis par les rebelles libyens contre des immigrants africains devant les juridictions internationales ! L’opinion publique algérienne demande un ministre plus jeune et plus proactif. Des noms circulent comme ceux du ministre actuel des affaires maghrébines et africaines, Abdelkader Messahel, qui fait l’essentiel du travail dans les coulisses et de l’actuel premier ministre, Ahmed Ouyahia que d’aucuns verraient mieux à la tête de la diplomatie algérienne. Mais la véritable leçon libyenne est ailleurs.

Les défis immenses auxquels se trouve confrontée l’Algérie engagent son destin comme nation et société. Le processus de modernisation et de professionnalisation de l’armée algérienne en cours demande à être renforcé et accéléré dans une logique de dissuasion du faible au fort. A cet égard, des signes intéressants méritent d’être soulignés et encouragés Mais la question de fond qui demeure est celle de la consolidation de la cohésion nationale et du front intérieur face aux tentatives de division et de manipulation dans lesquelles excellent certaines officines bien connues et sur lesquelles elles parient pour mettre l’Algérie à genoux.

L’ouverture démocratique du système politique algérien n’est plus seulement une exigence sociale et politique exprimant une volonté d’alternance générationnelle naturelle. Elle devient chaque jour davantage un impératif de sécurité nationale. Il n’est pas normal qu’on mobilise en 48 heures des milliers de jeunes algériens pour aller à Oum Dourmane défendre leur équipe nationale de foot contre l’agression dont elle fut victime et qu’on fasse le dos rond devant les provocations autrement plus dangereuses pour l’indépendance et la sécurité du pays ! Jamais l’Algérie n’a été aussi menacée dans son intégrité morale et physique. Sans faux alarmisme, il est grand temps de revenir au peuple et de lui laisser l’honneur de dire son mot et de reprendre en main sa destinée dans l’union et la dignité. Ce jour-là , les Sarkozy et BHL se feront tout petits…

Mohamed Tahar Bensaada

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