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La déléguée élue et le dissident dans les élections municipales de Cuba

Le 19 mai dernier, les élections municipales ont pris fin avec l’établissement des assemblées municipales et l’élection par les délégués des présidents et vice-présidents, choisis parmi les délégués nouvellement élus.

Avant cette dernière étape, soit entre le 24 février et le 24 mars, des milliers de réunions de mise en candidature ont été tenues et ce, dans les 169 municipalités de l’île. Puis, une élection au suffrage universel effectuée par bulletin secret s’est déroulée le 25 avril afin d’élire les 15 093 délégués de toutes les municipalités parmi plus de 45 000 candidats proposés et nommés directement par les citoyens. Lors de ce dimanche de vote, les candidats - entre deux minimum et huit maximum par circonscription - devaient obtenir au moins 50% des voix afin d’être élus.

Le 2 mai, un deuxième tour eut lieu dans les circonscriptions où aucun des candidats n’avait remporté au moins 50% des votes valides. Dans ces cas particuliers, les deux candidats les plus populaires se sont qualifiés pour un second tour. Lorsque deux candidats sont ex-æquo, ils se qualifient également pour un second tour. Cette situation est tout à fait normale et s’est produite à chacune des 14 élections municipales tenues depuis 1976. (Cette année, toutefois, il y eut une situation particulière : un candidat est décédé tout juste avant les élections du 25 avril, il fallut donc organiser une nouvelle réunion de mise en candidature. Ainsi, les électeurs de cette circonscription se sont rendus aux urnes le 2 mai pour la première fois.) Pour toutes ces raisons, 14% des circonscriptions (2107) ont dû effectuer un second tour le 2 mai.

Lors de ces élections, les candidats de trois circonscriptions s’étant qualifiés pour un deuxième tour ont terminé ex-æquo. Le 5 mai, un troisième tour a finalement déterminé un gagnant dans chacune de ces trois circonscriptions. Cela mit fin à cette étape des élections municipales partielles, tout en préparant le terrain pour l’établissement des nouvelles assemblées municipales prévue le 19 mai.

Un total de 15 093 délégués de 16 ans et plus furent élus, 16 ans étant l’âge minimum pour voter et pour être élu au niveau municipal. Sauf pour quelques rares exceptions (par exemple le président et vice-président des assemblées municipales ainsi que quelques présidents et vice-présidents des Conseils populaires), les délégués effectuent leur travail comme citoyen bénévole, sans recevoir le moindre salaire ou rémunération, tout en conservant leur emploi respectif. Dans les cas exceptionnels où certains délégués deviennent permanents, comme susmentionné, ils recevront un salaire égal à celui qu’on leur versait sur leur ancien lieu de travail, et pas un sou de plus. Pour ce qui est de la vaste majorité des autres non-professionnels, ils effectuent la plupart de leurs tâches de délégués après leur travail régulier et les weekends.

Lorsque l’on observe le processus électoral et le type de démocratie pratiqués à Cuba, l’un des aspects les plus intéressants que l’on découvre est le passé des élus et ce qu’ils font dans leur vie politique, professionnelle et personnelle. Cette facette captivante de la recherche ne s’applique pas uniquement aux délégués municipaux, mais également, par exemple, aux députés élus à l’Assemblée nationale du pouvoir populaire (le Parlement). Bien que plusieurs députés soient connus à Cuba et de par le monde, la grande majorité ne l’est pas. C’est d’ailleurs le cas de presque tous les délégués municipaux qui, selon la Constitution cubaine, composent jusqu’à 50% de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire. Il en va de même jusque chez les députés les plus illustres au sein de cette dernière (tels que Fidel Castro, Raúl Castro et Ricardo Alarcón, entre autres), pourtant connus aussi bien chez eux qu’à l’étranger. En effet, leurs traits de caractère fondamentaux, leur personnalité véritable et leur évolution historique sont essentiellement occultés de la scène internationale, ou encore complètement déformés au point d’être victimes de diffamation.

La plupart des Cubains connaissent leurs députés municipaux puisque ce sont leurs voisins ; ils sont donc habitués de les croiser presque tous les jours, ou à tout le moins fréquemment. Toutefois, en raison de la désinformation et du black-out médiatiques, le délégué local demeure généralement un mystère - une page blanche - pour la plupart des gens qui ne vivent pas à Cuba. Plutôt que d’offrir aux non-Cubains un éventail de portraits des 15 093 citoyens élus, sans en exagérer les compétences ni en souligner les déficiences, les médias internationaux semblent plutôt s’efforcer de priver l’opinion publique internationale de cette facette du système politique cubain. Ce travail journalistique sérieux étant évacué, les délégués, des êtres humains comme vous et moi, restent inconnus du public à l’échelle internationale. Le plus souvent, on arrive à ce résultat grâce à des clichés : par exemple, en étiquetant les délégués comme membres du Partido Comunista de Cuba (PCC) ou de la branche jeunesse du Parti. L’intention est claire : il s’agit de prétendre que leur mise en candidature et leur élection sont déterminées par leur affiliation au Parti, ce qui pourtant n’est pas du tout le cas.

Plusieurs personnes proposées et élues comme délégués aux assemblées municipales ne sont pas membres du Parti ni de sa branche jeunesse. Un exemple parmi tant d’autres : j’en connais un personnellement qui n’adhère pas au PCC mais qui s’est pourtant fait élire pendant 25 ans, alors qu’il s’est toujours présenté contre des membres du Parti. Cet individu, qui vit dans la municipalité Plaza de la Revolución, dans la province de Ciudad de la Habana, a donc connu près de 25 ans de succès comme délégué municipal. Il fut également délégué provincial pendant huit ans et président d’un Conseil populaire pendant cinq ans. Par ailleurs, les élections municipales du 25 avril indiquent que sur les 15 assemblées municipales de la province de Ciudad de Habana, seul 56% des élus sont membres du Parti. Cela démontre qu’il n’est absolument pas nécessaire d’être membre pour être proposé et nommé comme candidat et remporter les suffrages dans les élections à bulletin secret. (1)

Dans ce contexte, le reportage de Fernando Ravsberg, journaliste de BBC Mundo en poste à la Havane depuis plusieurs années, m’a grandement attristé. Publié le 13 mars, l’article s’intitule « Les dissidents cubains dans une campagne électorale ». (2) Comme le titre l’indique, le reportage est principalement consacré au rôle d’un dissident ayant décidé de participer au processus de mise en candidature. Celui-ci se trouvait dans la 47ème circonscription du Consejo Popular de Punta Brava, situé dans la municipalité de La Lisa, l’une des 15 municipalités de la province de Ciudad de la Habana.

L’article semble avoir été rédigé de manière à créer une fausse atmosphère de répression et de peur entourant ceux qui s’opposent à la révolution mais qui participent aux élections d’une manière ou d’une autre. Par exemple, M. Ravsberg écrit que la réunion locale de mise en candidature s’est déroulée calmement et sans aucun signe de « répression ». Or, le journaliste révise sa position lorsqu’il désigne la présence du seul policier sur place comme étant synonyme de « forces répressives ». Pourtant, il affirme que ce dernier détournait la circulation afin de ne pas perturber la réunion, laquelle se déroule à l’extérieur et déborde généralement sur certaines parties de la rue. (La BBC a-t-elle déjà parlé de « forces répressives » pour décrire les bobbies londoniens qui dirigent la circulation ?) Toutefois, même l’indice « subtil » de l’absence de signes de « répression » est réfuté plus loin lorsque le journaliste cite le dissident. Une fois de plus, la parole de ce dernier est prise pour une vérité lorsque le journaliste lui permet de contredire sa propre observation, à savoir qu’il n’y avait qu’un seul policier dans le secteur. Ainsi, l’article finit par nous apprendre que selon le dissident, il y avait « plus de policiers dans le secteur », mais qu’ils « n’étaient pas visibles », nous offrant cette déclaration en guise de fait. Le journaliste rapporte que la réunion de mise en candidature s’est déroulée dans le calme et sans pression apparente. Pourtant, la dépêche affirme du même souffle que d’autres réunions se sont tenues dans une atmosphère de pression contre les dissidents, mais sans en offrir la moindre preuve. Et une fois de plus, cette allégation non corroborée provient du dissident et est admise comme une vérité.

J’ai moi-même assisté à des douzaines de réunions de mise en candidature et de vote à bulletin secret au niveau local et lors des élections générales en 1997-98, 2000 et 2007-2008. Toutes ces étapes du processus politique se déroulent dans le calme le plus complet. On n’y retrouve aucun signe de présence policière ni rien d’autre cet ordre. Une analyse de la question a d’ailleurs démontré que les personnes qui se qualifient de dissidentes peuvent participer aux élections de quelque façon que ce soit à condition de respecter la loi, comme tous les autres citoyens cubains qui disposent des mêmes droits. Il existe sans doute bien peu de pays au monde où les périodes de mise en candidature et de vote se déroulent si calmement. Évidemment, nous ne pouvons établir aucune comparaison avec d’autres endroits puisque Cuba est le seul pays au monde où les citoyens ont le droit de proposer et de nominer des candidats issus de leur propre voisinage, ou encore de se proposer eux-mêmes aux élections. Les fausses accusations de « répression », « d’obligation à voter », etc. sont souvent utilisées comme un simple prétexte pour éviter de parler de la performance navrante des dissidents lorsqu’ils choisissent de participer au processus de mise en candidature.

M. Ravsberg accorde la plus haute importance au dissident Silvio Benà­tez et à sa campagne électorale. Il semble en faire l’épicentre de la politique cubaine de cette journée-là (et dans cette optique, peut-être, le présente comme la plus grande source d’intérêt médiatique des élections municipales). Mais qu’a-t-il donc écrit au sujet de la citoyenne que ses voisins ont proposée, nommé puis élue aux élections municipales du 25 avril ? Tout ce qu’il trouve à dire, c’est qu’elle est membre du PCC, médecin et qu’elle fait partie du personnel d’une entreprise régionale de santé publique. Tout l’article est d’ailleurs rédigé comme si le vote à main levée se jouait entre la candidate « membre du PCC » et le « dissident ».

Selon le système politique cubain, ni le PCC ni sa branche jeunesse ne peuvent proposer ou nominer de candidats aux élections. Seuls les citoyens disposent de ce droit. Or, en voulant renforcer l’image du PCC qui contrôle tout au détriment des droits des citoyens - ce qui est pourtant contraire à ce que stipulent la constitution cubaine et la loi électorale - les commentaires de M. Ravsberg ne servent qu’à dénigrer la notion suivante, pourtant fondamentale : la souveraineté réside entre les mains du peuple, même si cette situation n’est pas parfaite et que les Cubains de tous les horizons s’efforcent sans cesse de l’améliorer.

Ce faisant, le journaliste trompe le lecteur à propos de cette question, que ce soit son intention ou non.

Dans le même esprit, le journaliste affirme qu’une personne âgée (donc selon sa notion préconçue, un vétéran révolutionnaire pur et dur) a parlé contre le dissident dans l’espoir qu’il soit exclu de la mise en candidature.

Le 30 avril 2010, j’ai interviewé « l’autre personne proposée », et ensuite élue comme déléguée le 25 avril. (3) L’entrevue avec Daysi Victores s’est déroulée à la Havane lors d’un agréable vendredi après-midi, dans l’humble bureau du Consejo Popular de Punta Brava, en présence de son tout aussi humble président Armando Nelson Padrón Alfaro ainsi que Juanita Mejà­as Carbonnell, secrétaire de ce Conseil populaire. Issu de la base, celui-ci est l’un des sept Consejos Populares de la municipalité de La Lisa. Comme toutes les autres municipalités cubaines, elles sont décentralisées ainsi afin de résoudre plus efficacement les problèmes locaux et d’offrir plus de pouvoir au délégué, entre autres objectifs. Mais bien sûr il y a encore place à l’amélioration pour y parvenir, comme l’affirment les Cubains eux-mêmes.

Dr. Daysi Victores, maintenant retraitée et âgée de 66 ans, est née à Camagüey dans une famille très pauvre. Son père travaillait à l’extérieur et sa mère s’occupait du foyer. Ensemble, ils ont eu quatre enfants. En 1961, Daisy s’est rendue dans la partie orientale de Cuba grâce à une campagne d’alphabétisation initiée par le nouveau gouvernement révolutionnaire. Suite à son retour dans sa ville natale, elle a obtenu une bourse pour étudier à la Havane et s’est ensuite établie comme médecin dans la capitale. Ses frères et soeurs ont également eu la possibilité d’étudier et de pratiquer une profession, tout comme ses propres enfants. Daysi a déclaré que « n’eût été de la révolution, devenir médecin aurait été impossible pour une jeune fille de famille très modeste ». Elle est demeurée à la Havane. Au cours de sa carrière de médecin, en plus de pratiquer la médecine familiale dans son propre quartier, elle a également occupé divers postes en raison de ses aptitudes et de son dévouement. Par exemple, en 1974, elle fut directrice de la polyclinique de Punta Brava. Plus tard, elle occupa ce même poste dans d’autres centres de santé similaires, tel qu’à Arroyo Arenas. En outre, on l’envoya dans plusieurs polycliniques à titre d’experte afin de les aider à résoudre leurs problèmes. Enfin, on la nomma vice-directrice de la section des médicaments dans la municipalité de La Lisa et ce, jusqu’à sa retraite. Parmi ses autres réalisations, elle s’est rendue en Éthiopie dans le cadre d’une mission internationale à titre de professionnelle de la santé.

Daysi fut élue déléguée le 25 avril 2010 pour un quatrième mandat. Comme les mandats municipaux durent deux ans et demi, cela signifie qu’elle a déjà travaillé comme déléguée pendant sept ans et demi avant l’élection de cette année. Toutes les assemblées municipales sont divisées en une série de commissions de travail permanentes auxquelles chaque délégué participe de manière continue. Lors de son dernier mandat, Daysi fut présidente de la Commission de travail permanente chargée de la santé et de l’hygiène de sa municipalité. (Toutes ces commissions et leurs intervenants doivent se renouveler après l’établissement des assemblées municipales, le 19 mai.) Daysi est membre du PCC depuis 1980. Elle fut proposée et élue à ce titre par ses collègues de travail, c’est-à -dire dans l’entreprise de médicaments où elle était employée. A Cuba, l’adhésion au PCC se fonde sur une sélection effectuée sur les lieux de travail ou d’étude, et non dans le quartier où l’on habite.

Lors de notre entrevue, Daysi et les deux représentants du Consejo popular ont souligné fièrement les réalisations du pouvoir populaire local, tout en citant les restrictions qui entravent leurs initiatives. Afin de résoudre ces problèmes ou à tout le moins d’essayer d’y parvenir, chaque délégué local travaille conjointement avec les autres délégués, le Consejo Popular et son président, ainsi que les entités administratives gouvernementales équivalentes. Ensemble, ils renforcent le travail des assemblées municipales, l’organe le plus important du gouvernement et de l’État dans les municipalités. Parmi les progrès engendrés par cette collaboration, notons l’accès accru à l’eau potable (en collaboration avec l’entreprise gouvernementale Aguas Habana, chargée de cette ressource indispensable), la rénovation complète des égouts et des réserves d’eau potable pour la population, le système d’éclairage public, les rénovations de l’entreprise de pompes funèbres, de la banque et du bureau de poste, le réaménagement complet du parc pour enfants, des améliorations dans les services offerts par la polyclinique ainsi que des activités sportives et récréatives pour les jeunes.

L’entrevue m’a offert un compte-rendu équilibré de la situation, car mes invités ont également soulevé les faiblesses à corriger. Par exemple, en affirmant que « c’est bien vrai qu’il reste beaucoup à faire ; nous avons des problèmes dans la restauration, bien que ces services aient été améliorés. » Par ailleurs, ils m’ont fait remarqué qu’ils tentaient de construire un petit centre d’achats avec une boucherie et autres types de commerces. « Néanmoins, dirent-ils, la situation économique impose des limites. »

J’espère que les lecteurs commencent à voir dans le jeu des portraits anonymes que brossent les médias de masse internationaux à propos des élus à Cuba. En effet, abordant la question de manière réductrice, ils se bornent à les qualifier de communistes comme si cela les condamnait d’avance.

Dans ce contexte, on pourra aisément comprendre une notion très importante en adoptant un point de vue impartial. En effet, bien que Cuba compte de nombreuses réussites, le pays traverse actuellement une situation qui offre un terrain fertile aux opportunistes. Car tel que mentionné plus haut, il reste encore des faiblesses à corriger et des objectifs à atteindre afin de satisfaire la demande de la population. Dans sa campagne électorale, le dissident ne l’a pas oublié.

Que s’est-il donc passé le 11 mars 2010 à la réunion de mise en candidature dont parle M. Ravsberg dans son article ? Et qu’en est-il des deux assemblées précédentes tenues les 4 et 8 mars, dont le dissident ne faisait pas partie et qui n’ont pas fait l’objet d’un article ?

Le journaliste de la BBC Mundo reconnaît que les dissidents étaient en campagne électorale et présentaient des candidats dans différentes circonscriptions, bien que tout le monde sache que ces campagnes sont illégales à Cuba. Pourtant, le journaliste va même jusqu’à citer le dissident Silvio Benà­tez lorsqu’il affirme que son approche se fonde sur « les visites porte à porte, comme les Témoins de Jéhovah ». Selon les personnes que j’ai interviewées à Punta Brava, M. Benà­tez a bien eu quelques emplois mais il en a été congédié. Ces mêmes personnes affirment que par la suite, il s’est mis à travailler comme dissident et que bien qu’il soit sans emploi actuellement, il vit très confortablement. Et que dire de sa campagne électorale pour l’assemblée de mise en candidature du 11 mars ? Selon les interviewés, quelques membres de la circonscription souffrent d’une dépendance à l’alcool et dans certains cas, des problèmes économiques qui en découlent. L’alcoolisme, bien qu’il ne soit pas aussi répandu que dans la plupart des autres pays, est bel et bien un problème à Cuba. Or, M. Benà­tez a abordé ces individus, lesquels ont désespérément besoin d’argent pour satisfaire leur dépendance et/ou, dans plusieurs cas, n’ont aucune conscience politique. Mes interviewés affirment que le dissident les a payés pour aller voter pour lui.

Voilà qui n’est pas difficile à croire, étant donné la publication récente par le département d’État des États-Unis des chiffres qui expliquent comment sont dépensés les 20 millions fournis par USAID à Cuba afin de renverser l’ordre constitutionnel via leurs agents. Les fonds sont distribués secrètement pour ne pas révéler le nom des bénéficiaires. Deux exemples : sur les 20 millions, 750,000$ sont alloués à la promotion des « droits humains et de la démocratie » à Cuba, tandis qu’un autre 400,000$ sert à tenter « d’identifier les leaders locaux » qui pourraient éventuellement militer au niveau local. (4) Presque toutes les catégories d’aide financière peuvent s’appliquer à quelqu’un comme M. Benà­tez et son parti politique, qui présentent des candidats.

Mais la démagogie va de pair avec les fonds versés à Cuba. Selon le rapport de M. Ravsberg, M. Benà­tez souhaite dénoncer « les mensonges et la manipulation au sein du gouvernement ». Pourtant, lors de l’assemblée de mise en candidature de son quartier, il semble qu’il ait parlé au nom de Raúl Castro concernant l’importance de changer les choses ! Suite à la réunion et au vote, lorsque la situation s’est éclaircie, quelques citoyens se sont rapprochés des membres de la Commission électorale de circonscription. Ils ont dit regretter leur vote en faveur de M. Benà­tez, car ils n’avaient pas réalisé s’être fait manipuler. La secrétaire du Consejo Popular, Juana Mejà­as a confié : « Il s’est proposé lui-même parce qu’il se considérait apte à répondre aux besoins de la population en s’appropriant les paroles de Raúl. Ce faisant, il a véritablement manipulé le concept des changements auxquels nous aspirons et auxquels aspire le camarade Raúl Castro. Ces changements doivent constituer des progrès dans la vie économique du pays, mais dans le sens d’un socialisme et d’une démocratie accrus. »

Il est faux de prétendre, comme le fait le journaliste, que seule une personne âgée s’est exprimée en faveur de la « candidate communiste ». Mes interviewés ont plutôt affirmé qu’ils avaient été trois à le faire. Or, l’un de ceux-ci étant un représentant de l’association des vétérans, M. Ravsberg le désigne d’un ton méprisant comme étant « une personne âgée ». Les deux autres personnes à s’être exprimées en faveur de Daysi n’étaient pas âgées. Il est d’ailleurs tout aussi faux d’affirmer que leur intention était de nier à M. Benà­tez le droit de se présenter comme candidat. Bien qu’il se soit proposé lui-même comme il a le droit de le faire, tous mes interviewés ont affirmé qu’il disposait du droit constitutionnel à se présenter lui-même.

Par ailleurs, mes invités ont confirmé que personne n’avait proposé Daysi uniquement en raison de son adhésion au PCC. Tous les arguments en faveur de Daysi étaient fondés sur sa réputation dans le quartier.

Dans toutes les réunions de mise en candidature auxquelles j’ai assisté au cours des 12 dernières années, personne n’a jamais été présenté à titre de membre du parti, et on ne s’est jamais opposé à un candidat qui n’était pas membre. D’ailleurs, à de nombreuses reprises, j’ai vu des non-membres être choisis comme candidats et remporter le vote secret, devenant ainsi délégué. Ces exemples parmi tant d’autres viennent étoffer les statistiques susmentionnées concernant les 15 municipalités de la Havane, à savoir que seuls 56% des délégués élus sont effectivement membres du parti.

Inutile de dire, bien sûr, que le rôle du PCC est très compliqué, que ce soit dans la société, le système politique ou le processus électoral qui en découle. Cela dépasse la portée de ce court article et sera donc abordé plus tard.

Penchons-nous toutefois sur un autre aspect de la question. Comment le dissident est-il perçu dans son propre quartier ? Dans son entrevue, Daysi affirme que ce citoyen ne participe ni aux réunions, ni aux activités politiques et récréatives. Armando Nelson Padrón, président du Consejo popular, a ajouté que M. Benà­tez était un homme « qui ne travaille pas et n’a jamais rien fait pour ses voisins, ni pour qui que ce soit d’autre ici. Il n’a jamais levé ne serait-ce que le petit doigt pour améliorer la vie de la population. C’est pour cela qu’il n’a aucun appui dans l’assemblée de mise en candidature et que cette assemblée de nomination n’a pas voté pour lui afin qu’il devienne candidat. »

Dans l’article de Ravsberg, le ton employé et les chiffres fournis donnent l’impression que les dissidents ont remporté une victoire. En effet, on affirme que le dissident a obtenu 14 votes alors que la « candidate du parti communiste » en a obtenu 50, et qu’il y a eu un taux important d’abstention. (Les abstentions ne sont ni comptabilisées ni réclamées lors de ces réunions. On demande aux citoyens de voter pour ou contre chaque personne proposée, mais ils peuvent voter pour une seule des personnes proposées. Un vote à main levé détermine l’issue de chaque proposition, et la personne ayant obtenu le plus grand nombre de votes est déclarée candidate de cette assemblée.)

Dans le cas de la 47ème circonscription à Punta Brava, deux autres réunions de mise en candidature ont eu lieu. Sur demande, la Commission électorale de la municipalité de La Lisa m’a fourni des chiffres. (5) Bien qu’effectivement plusieurs des électeurs n’aient voté ni pour l’un ni pour l’autre (Daysi ou M. Benà­tez), le dépouillement indique que Daysi a obtenu 71 voix contre 13 pour son concurrent.

Avant de passer aux résultats officiels des deux autres réunions de mise en candidature, examinons ceux-ci ne serait-ce que brièvement. M. Benà­tez avait toutes les chances de son côté. D’abord, il s’est offert une campagne électorale, ce qui non seulement est illégal à Cuba mais de plus, contrevient à toute la culture politique établie depuis 1959. Daysi, pour sa part, ne l’a pas fait, suivant ainsi les procédures électorales. Toutes les autres élections auxquelles j’ai assistées se sont également déroulées dans les règles de l’art, ce qui démontre que la vaste majorité des citoyens respecte l’éthique du peuple cubain. Deuxièmement, M. Benà­tez a employé des fonds pour acheter des votes. Troisièmement, comme Daysi n’habite pas dans le secteur où se déroulait l’assemblée du 11 mars, elle n’a pas pu y assister. M. Benà­tez, au contraire, a pu s’y rendre, puisqu’il vit dans ce quartier entouré de ses voisins les plus proches. Par conséquent, Daysi s’est vue obligée de compter sur les autres pour proposer sa mise en candidature et pour s’exprimer à sa place, alors que M. Benà­tez était supposément dans son élément. Quatrièmement, la tendance générale à Cuba, lors des élections municipales, n’est pas de voter machinalement ou automatiquement pour les délégués qui ont déjà complété un mandat. Par exemple, chaque année depuis 1976, on estime qu’une moyenne approximative de moins de 50% des titulaires sont réélus. Plusieurs raisons expliquent que ce phénomène existe dès la mise en candidature, soit avant même la tenue des élections. Par exemple, les titulaires peuvent décider de ne pas se représenter. Ils peuvent également être déménagés hors de leur circonscription ou s’apprêter à le faire, n’étant plus éligibles. Il arrive aussi que les citoyens soient insatisfaits de leur travail et que personne ne propose leur candidature. Enfin, même si un titulaire est proposé comme candidat par un citoyen, il se peut qu’il ne remporte la majorité des votes dans aucune des assemblées.

En dépit de la situation qui favorisait M. Benà­tez, Daysi a remporté 71 votes alors que celui-ci n’en a obtenu que 13. De plus, tel que mentionné plus haut, plusieurs de ces treize personnes ont dit regretter leur choix puisqu’au moment de voter, elles n’avaient pas perçu la démagogie employée par le dissident - lequel avait parlé au nom de Raúl Castro pour réclamer des changements. La campagne du dissident peut se retourner contre lui parce que les Cubains n’apprécient guère les politicailleries ni l’usage de fonds, un phénomène caractéristique de la République néocoloniale qui sévissait sous le règne des États-Unis, et dont les Cubains se sont affranchis à partir de la révolution.

Il est à noter que M. Benà­tez s’est autoproclamé président de son Parti libéral de Cuba, ce qui est illégal. Or, il n’a pas été arrêté ni traduit en justice. Il semble être complètement libre de s’adonner à ses activités, y compris de se proposer lui-même dans une réunion de mise en candidature !

Mais ce qui est encore plus révélateur, ce sont les résultats des assemblées de mise en candidature dans les deux autres réunions de quartier (dans la 47ème circonscription.)
D’abord, celle du 4 mars : le seul personne proposée, Jorge Luis Pérez, qui n’est pas dissident, a obtenu 60 votes. Daysi ne fut pas proposée comme candidate dans ce quartier, M. Perez fut donc choisi après un vote à main levée.

Voyons maintenant les résultats du 8 mars : sur les 170 participants du quartier où Daysi habite, 170 ont voté pour elle. Elle a donc remporté 100% des voix.

Les deux candidats à l’élection furent donc Daysi et M. Pérez. Alors pourquoi faire tant d’histoires à propos des 13 votes de M. Benà­tez ?

Par ailleurs, qu’en est-il des élections du 25 avril selon ce qu’en disent les chiffres fournis par la Commission électorale municipale ? Là -dessus, M. Ravsberg a fait un suivi, rédigeant un nouvel article sur les élections pan-cubaines du 25 avril où les citoyens devaient voter pour les candidats nommées. (6)

Dans cet article, il se concentre encore principalement sur les dissidents - d’une part, en suivant les activités des Damas de Blanco et d’autre part, celles de M. Benà­tez et de son voisinage. Son reportage couvre le bureau de scrutin #1, le seul dont il parle d’ailleurs. Il écrit qu’on y a comptabilisé 14 bulletins nuls et 39 bulletins blancs. En y ajoutant les abstentions, il conclut que cela représente 20% de l’électorat de ce quartier et que ce taux est plus élevé que lors des élections précédentes. Or, selon les chiffres fournis par la Commission électorale, Daysi a obtenu 118 votes contre 110 pour M. Perez. Au bureau de scrutin #2, un total de 94,7% des citoyens inscrits sur la liste électorale ont voté. Daysi a remporté 145 voix contre 144 pour M. Perez. Il y avait 12 bulletins blancs, soit 3,6%, et 21 bulletins nuls, soit 6,3%.

Voici le grand total pour toute la circonscription avec ses deux bureaux de vote : Daysi a obtenu 273 votes contre 254 pour M. Pérez. Il y avait 20 bulletins blancs, soit 3,67%, et 60 bulletins nuls, soit 10% - encore une fois, un taux plus élevé que pour la moyenne nationale. (Dans un autre article, je traite des résultats des élections municipales, mais plus particulièrement des suppositions par la presse étrangère concernant les bulletins blancs et les bulletins nuls.) (7)

Quelques questions demeurent en suspens : que valent donc les 13 votes obtenus par M. Benà­tez lors de l’assemblée de mise en candidature de son quartier - lesquels ont entraîné sa défaite - comparés à la victoire remportée par les deux autres candidats nommés, Daysi et M. Pérez, en plus du nombre élevé de votes que ces derniers ont obtenus lors des élections du 25 avril ? La performance de Daysi est tout à fait respectable compte tenu qu’au niveau national, un peu moins de 50% des délégués ayant déjà complété un mandat ont été réélus, une tendance qui suit le courant observé ces dernières années. (8)

Afin de mettre les choses au clair, j’ai rencontré Fernando Ravsberg le 2 mai à la Havane. Nous ne nous connaissions pas. Notre simple entretien fut très agréable, malgré nos désaccords à propos des faits et de l’analyse du système politique cubain et de son type de démocratie. Il est vrai, comme vont jusqu’à l’affirmer certains journalistes cubains, que M. Ravsberg n’est pas aussi mauvais que beaucoup d’autres correspondants étrangers accrédités à Cuba.

Lors de notre entretien, un sujet est revenu à plusieurs reprises. Comme l’indiquent les articles de M. Ravsberg cités plus haut, à ses yeux, plusieurs questions-clé de la politique cubaine semblent être le produit d’une conspiration du PCC. Il emploie ce terme comme un euphémisme pour remplacer les mots « contrôle » et « répression », dressant le Parti et les leaders historiques de la révolution contre le peuple.

Ce qui m’a également frappé, c’est que j’ai demandé à M. Ravsberg s’il avait assisté, la veille, à la manifestation du 1er mai à la Havane, afin de l’inclure dans son reportage. Il m’a répondu : « Non ». Lorsque je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit que cet événement n’était pas digne de faire les manchettes puisqu’il existe de nombreuses manifestations semblables partout à travers le monde - par exemple au Venezuela. Il m’a néanmoins confié avoir assisté aux activités des Damas de Blanco plus tôt dans la journée (le 2 mai) afin d’en faire le compte-rendu. (9)

Lors des deux entrevues, soit celle du 30 avril à Punta Brava et celle du 2 mai chez M. Ravsberg, deux choses m’ont particulièrement ébranlé mais pour des raisons différentes :
D’abord, je fus choqué par le manque de respect total qu’il manifestait envers des personnes comme Daysi, une déléguée élue, pour les raisons indiquées plus haut. Il fut d’ailleurs tout aussi méprisant face aux dizaines de milliers de femmes cubaines qui formèrent pourtant une masse impressionnante le 1er mai à La Havane. Elles étaient également dispersées parmi les autres manifestations de la capitale et sur le reste de l’île, composée de millions de personnes.

Pourquoi cela me fait-il penser à du dénigrement ? Pour la simple raison que pendant plusieurs mois - en plus des 1er et 2 mai derniers - M. Ravsberg n’a pratiquement rien couvert d’autre que les Damas de Blanco. Son refus d’aborder les événements du 1er mai de quelque manière que ce soit - ignorant ainsi des millions de femmes cubaines - alors qu’il suivait les moindres faits et gestes des Damas de Blanco le lendemain, constitue à mes yeux un signe de mépris. De la même manière, chaque parole et accusation non-fondée émises par le dissident M. Benà­tez en ce qui concerne l’assemblée de mise en candidature du quartier est rapportée avec le plus grand respect, tandis que Daysi, la candidate et déléguée élue, reste dans l’anonymat.

M. Ravsberg aurait pu interviewer Daysi plus tard ou mieux encore, discuter à tout le moins avec certains électeurs afin de se représenter quelque peu l’élue, question de pouvoir en informer les lecteurs. Or, selon les personnes que j’ai interviewées, il n’a même pas adressé la parole à un seul d’entre eux, ce qui pourtant aurait permis au public international de savoir qui sont les délégués élus à Cuba. Il a plutôt choisi de dresser un écran de fumée opposant « la candidate communiste et le dissident », ajoutant à cela toutes sortes de fausses accusations de « répression ».

Pour ceux et celles qui s’opposent à la guerre médiatique contre Cuba, voilà qui constitue un grave problème journalistique : le choix très tendancieux de ce que l’on rapporte ou non. Cela vaut également pour les pays ou les leaders qui sont présentés comme des démons, tels qu’Hugo Chávez et le Venezuela.

La campagne médiatique actuelle contre Cuba, menée par la droite européenne et états-unienne, passe par les « dissidents », un facteur insignifiant de la politique cubaine comme nous l’avons déjà constaté. Néanmoins, leur présence sur l’île est magnifiée par la plupart des médias issus du monopole, Washington et Bruxelles. L’objectif : d’une part, discréditer Cuba et son système politique, et d’autre part, faire le procès du type de démocratie pratiqué à Cuba en le qualifiant de dictature répressive et totalitaire. Tout cela sert de prétexte à poursuivre l’intervention étrangère à Cuba. De plus, l’opinion publique internationale se fait dicter des idées préconçues à ce sujet.

Il ne s’agit pas de pointer un doigt accusateur contre certains médias issus du monopole ou contre un journaliste en particulier, mais plutôt de contribuer au débat qui entoure ce sujet.

Arnold August
31 mai 2010

Traduction : Marie France Bancel

(1) José Hernández S., « Tomarán posesión de sus cargos el 19 de mayo delegados electos », Tribuna de la Habana, 9 mai 2010. http://www.tribuna.co.cu/etiquetas/2010/mayo/9/tomaran-posesion.html

(2) Fernando Ravsberg, « Disidentes cubanos en campaña electoral », BBC Mundo, 13 mars 2010. http://www.bbc.co.uk/mundo/america_latina/2010/03/100312_0021_cuba_disidentes_elecciones_gz.shtml

(3) Dr. Daysi Victores, entrevue enregistrée avec l’auteur, La Havane, 30 avril 2010.

(4) United States Department of State Congressional Notification.
http://www.scribd.com/doc/29336110/US_Department-State-Support-Funds-against-Cuba-2010 Ou : http://cuba-l.unm.edu/?nid=77204

(5) Comisión Electoral del Municipio La Lisa, communiqué à l’auteur le 11 mai 2010.

(6) Fernando Ravsberg, « Cubanos votaron, no se esperan cambios », BBC Mundo, 26 avril 2010. http://www.bbc.co.uk/mundo/america_latina/2010/04/100425_cuba_elecciones_municipales_resultado_jaw.shtml

(7) Arnold August : « Cuba’s Municipal Elections Results : Initial Notes », Cuba-L analysis, 10 mai 2010. http://cuba-l.unm.edu/?nid=78960&q=&h=

(8) Susana Lee, « Mas de 5000 mujeres integraran las Asambleas Municipales del Poder Popular », Granma, 11 mai 2010.

(9) Fernando Ravsberg, « Cuba : Damas de Blanco sin incidentes » BBC Mundo, 2 mai 2010. http://www.bbc.co.uk/mundo/america_latina/2010/05/100502_1949_cuba_damas_blanco_jaw.shtml

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