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La course pour l’espace : faits techniques et récits populaires

Il y a quelque temps, le commentateur Karlof1 m’a interrogé sur la course pour l’espace, le programme Apollo et le rôle des scientifiques nazis recrutés dans le cadre de l’opération Paperclip.

Il s’agit d’un sujet fascinant qui a lui aussi été gravement déformé par le récit étasunien.

Ce qui a incité Karlof à poser sa question, c’est ma discussion technique antérieure, et un peu longue, sur l’état actuel de la technologie spatiale, où les médias racontent que les États-Unis sont très avancés, principalement grâce aux « exploits » de Space X, alors qu’en fait la situation est tout à fait opposée.

Les États-Unis sont très en retard pour d’importantes technologies de base, comme les moteurs de fusée avancés et la technologie des stations spatiales, qu’ils ont tous deux acquis auprès de la Russie. De même, la Chine a acquis la quasi-totalité de sa technologie spatiale de base auprès de la Russie, mais elle a su tirer parti de ce transfert de technologie de manière impressionnante, notamment en développant sa propre technologie de station spatiale et ses propres moteurs de fusée avancés.

Au cours des années 1990, de nombreuses industries russes importantes étaient au bord de l’effondrement en raison de la désintégration de l’URSS. Il y a donc eu une sorte de vente au rabais de la technologie spatiale russe, ce qui aurait été considéré comme impensable auparavant. Les Chinois ont acquis l’intégralité de leur programme habité, Shenzhou, grâce à un transfert direct de technologie de la Russie, ce qui a permis au premier Chinois de se rendre dans l’espace en 2003.

De même, les États-Unis ont acheté la station spatiale Mir 2, qui était déjà construite mais pas encore lancée, abandonnant leurs propres efforts pour construire une station indigène rivalisant avec Mir ; la station spatiale Freedom qui est resté mort-née sur la planche à dessin. Ces modules Mir 2, désormais connus sous le nom de segment orbital russe, allaient devenir le noyau fonctionnel de l’ISS.

Les États-Unis ont également acquis des moteurs russes avancés et des technologies de propulsions clés, principalement le RD 180, qui est en fait le cheval de bataille incontesté des missions de haut niveau de la Nasa (comme la mission actuelle du Rover sur Mars), et de l’US Space Force, qui lance presque toutes ses charges utiles critiques avec des moteurs russes.

D’autres moteurs russes, y compris le RD 190 et même les NK 33 des années 1960, qui ont été mis en sommeil, ont également été achetés et mis en service par les États-Unis. Jusqu’aux années 1990, l’Occident ignorait totalement que les Russes possédaient cette technologie avancée de moteurs et considérait la technologie du « cycle fermé » comme techniquement « impossible ».

Revenons donc aux années 1950, lorsque les premiers vols spatiaux ont été effectués. C’était une époque passionnante, et il y a beaucoup de choses à dire ici, je laisserai donc l’histoire d’Apollo pour une autre fois.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Allemands étaient les leaders incontestés de la technologie des fusées. La fusée V2, qui a été utilisée pour bombarder Londres, était une pièce d’ingénierie extrêmement impressionnante pour l’époque.

La Russie, dont la technologie des fusées dans les années 30 était considérée comme comparable à celle des Allemands, avait pris du retard. Mais ce pays avait développé des moteurs-fusées plus petits, mais utilisables, par exemple l’avion intercepteur expérimental Bereznyak-Isayev BI 1. À cette époque, les États-Unis n’avaient pas vraiment de technologie de moteur-fusée à proprement parler.

Mais les États-Unis allaient faire venir la plupart des ingénieurs allemands spécialisés dans les fusées, ainsi que quelques exemplaires fonctionnels de V2. Cela constitua une base solide sur laquelle s’appuyer, non seulement pour la course à l’espace dix ans plus tard, mais aussi pour la course bien plus importante aux armes stratégiques, à savoir le missile balistique intercontinental.

Un bref rappel des caractéristiques du V2 : Il avait une masse de 12,5 tonnes métriques, et une poussée d’environ 25 tonnes, grâce à un seul moteur brûlant de l’alcool et de l’oxygène liquide. Il pouvait atteindre une vitesse de 5 600 km/h et une portée de vol d’environ 300 km. Incroyablement, plus de 3 000 exemplaires ont été construits pendant la guerre !

Von Braun et plus de 100 membres clés du personnel travaillant sur le V2 se sont rendus aux Étasuniens, et une grande partie de l’équipe originale a fini par travailler à l’arsenal de Redstone. Les États-Unis ont également capturé suffisamment de matériel V2 pour construire environ 80 de ces missiles.

Les Soviétiques se sont emparés des installations de fabrication de V2 en Allemagne de l’Est et ont utilisé certains des ingénieurs et techniciens allemands restants pour construire 30 V2 de leur propre cru en 1946.

L’année suivante, un groupe de ces ingénieurs a été transféré en Russie pour travailler, sous la direction de Sergei Korolev, sur le missile R1, une copie du V2, mais construit à partir d’installations industrielles russes.

Ce missile a été rapidement suivi par le R2, qui a effectué son premier vol en 1949 et dont la conception avait été considérablement améliorée. Le R2 avait une portée deux fois supérieure à celle du V2 et une vitesse beaucoup plus élevée de près de 8 000 km/h.

En 1953, les Russes ont commencé à travailler sur ce qui allait devenir le premier ICBM (Inter Continental Ballistic Missile, missile à longue portée) du monde et le premier lanceur spatial du monde, la fusée R7 « Semyorka ».

Ce fut un énorme bond en avant dans la technologie des fusées. La R7 a volé pour la première fois en 1957 et a lancé Spoutnik, le premier satellite en orbite terrestre, plus tard dans l’année. Elle a également été le véhicule de lancement des deux premiers humains dans l’espace, Youri Gagarine en avril 1961 et Guerman Titov en août de la même année.

Entre-temps, les États-Unis lançaient leur premier « astronaute », Alan Shepard, lors d’un « vol spatial » suborbital à bord d’une fusée Mercury-Redstone qui était en fait un V2 légèrement amélioré, comparable au R2 russe de la décennie précédente.

La différence de taille entre la fusée Mercury et la Semyorka russe était évidente. Avec une masse de 30 tonnes, elle représentait à peine un dixième de la masse de la R7. La poussée de cette dernière, d’une valeur de plus d’un million de livres, était plus de douze fois supérieure à celle de la fusée Mercury à un seul étage, avec ses 78 000 livres de poussée !

Plus important encore, la fusée Mercury à un étage ne pouvait atteindre qu’une vitesse d’environ 8 000 km/h, soit moins d’un tiers de la vitesse orbitale de 28 800 km/h [(8 km/s).

Un peu de physique de base pour expliquer ce que signifie réellement un « vol spatial ». En bref, il s’agit d’atteindre et maintenir une orbite, ce qui est fonction de la vitesse et non de l’altitude. Il faut comprendre qu’un vaisseau spatial doit générer une force centrifuge suffisante pour vaincre l’attraction gravitationnelle de la Terre. Lorsque la force centrifuge de l’engin spatial est exactement égale à la gravité terrestre, l’engin continue à tourner autour de la Terre indéfiniment, tout comme la station spatiale reste en altitude (à condition qu’elle soit suffisamment élevée au-dessus de l’atmosphère pour que les collisions avec les rares molécules d’air ne ralentissent pas sa vitesse, ce qui la ferait descendre et nécessiterait la mise en route d’un moteur pour reprendre de la vitesse).

La seule différence avec un vaisseau spatial en orbite, c’est que la gravité terrestre ne lâche jamais prise ! Une fois l’équilibre atteint, les deux forces opposées sont égales et opposées, conformément à la troisième loi de Netwon. Et comme la force centrifuge est fonction de la vitesse, il est nécessaire d’atteindre une vitesse d’environ 8 km/s (28 800 km/h) pour contrer l’accélération gravitationnelle de la Terre qui est de 9,8 mètres par seconde au carré.

Voici le calcul : force centrifuge = masse x vitesse au carré, divisée par le rayon du mouvement circulaire. Puisque le rayon de la terre est d’environ 6 400 km, et que nous supposons une masse unitaire de 1 kg, il suffit d’un simple calcul algébrique pour résoudre la vitesse : racine carrée de (rayon de la terre en mètres x accélération de la gravité), ce qui donne... racine carrée de (6 400 000 m x 9,8 m/s^2) = 7 900 m/s, ou 8 km/s].

Je m’attarde sur ce point car il est important de comprendre ce que signifie un véritable vol spatial. Le simple fait de voler à une hauteur donnée au-dessus de l’atmosphère n’est pas un vol spatial, pas plus qu’un saut à ski n’est un « vol ».

De même, la sensation d’apesanteur ne nécessite pas de vol spatial réel. Les astronautes s’entraînent régulièrement à bord de gros avions commerciaux dont l’équipement intérieur a été retiré et que les pilotes pilotent en décrivant un arc balistique, ce qui permet d’obtenir jusqu’à plusieurs minutes d’apesanteur à l’intérieur de la cabine d’entraînement. En fait, il est possible d’effectuer plusieurs secondes d’apesanteur dans un petit avion d’entraînement Cessna !

Poursuivons donc avec les statistiques relatives au premier « vol spatial » étasunien d’Alan Shepard. Son vol de 1961 à bord de la fusée Mercury (un V2 amélioré) a couvert une distance totale de 420 kms au-dessus du sol ! Tout en restant en l’air pendant un total de 15 minutes !

Maintenant, comparez cela aux vols spatiaux réels de Gagarine et de Titov, Gagarine effectuant une orbite complète autour de la terre en 90 minutes environ, ce qui représente 40 000 kms, soit presque cent fois plus que la distance parcourue par Shepard. Titov a fait 17 fois le tour de la Terre en 25 heures de vol, quelques mois seulement après Gagarine, couvrant une distance de 680 000 kms !

Il est évident que les États-Unis ont délibérément trompé les gens sur la signification des vols spatiaux pendant toutes ces décennies.

Et ils l’ont fait parce qu’ils voulaient désespérément montrer qu’ils pouvaient « égaler » les Russes en envoyant un homme dans l’espace.

Et la raison pour laquelle ils ont pu s’en tirer est qu’ils savaient que la majorité des gens n’ont tout simplement aucune connaissance en physique.

C’est une mascarade cynique qui joua sur l’incompréhension du public !

Ce n’est que le vol de John Glenn, en 1962, à bord d’une fusée beaucoup plus performante, l’Atlas, qui a envoyé le premier Étasunien dans l’espace. Il effectua trois orbites, couvrant une distance de 120 000 kms en environ quatre heures de vol.

Il s’agissait en fait d’un exploit incroyablement audacieux, compte tenu des lacunes des premières fusées Atlas. Il s’agit également du premier ICBM américain. Il était bien moins performant, tant en masse qu’en poussée, que le R7 soviétique, et ne pouvait transporter qu’une fraction de la charge utile de ce dernier. Plus important encore, il était sujet à des explosions spectaculaires.

Après avoir vu un ICBM Atlas exploser peu après son lancement, l’astronaute du Mercury, Gus Grissom, a fait la remarque suivante : "Allons-nous vraiment monter dans l’un de ces engins ?".

Les nombreux échecs ont valu à Atlas d’être surnommé "Inter County Ballistic Missile" par les techniciens... Un missile balistique « inter-comté » ? Pourquoi pas ? ...sachant que le premier « astronaute » américain Shepard a effectué un « vol spatial » inter-comtés.

Mais chapeau à John Glenn, qui a fait preuve d’un courage remarquable pour piloter un de ces engins à ce stade du jeu, quand les Étasuniens étaient clairement désespérés de ne pas être à la hauteur. Glenn est retourné en orbite à l’âge de 77 ans, à bord de la mission STS-95 de la navette spatiale.

Ce qui est clair à ce jour, c’est que les Russes comme les États-Unis se sont inspirés de la technologie allemande du V2. La grande différence dans les résultats est due au fait que les Russes disposaient de leurs propres capacités en matière de fusées, qui n’étaient pas très éloignées de celles de l’Allemagne.

L’impressionnant développement de l’enseignement supérieur soviétique en est peut-être l’explication, car il s’est largement appuyé sur des institutions déjà leaders dans le monde, comme l’université technique d’État de Moscou Bauman, qui a été pionnière dans l’utilisation d’un enseignement pratique approfondi en collaboration avec l’industrie, parallèlement aux cours théoriques. Cette éducation a en fait été adoptée à la fin du XIXe siècle par le MIT et d’autres universités techniques étasuniennes.

Pendant l’ère stalinienne, la « Baumanka » a fondé plus de 70 universités techniques en URSS. Parmi elles, certains des noms les plus célèbres dans des domaines spécialisés comme la fusée, l’aviation (TsAGI, Institut central d’aérodynamique) et bien d’autres.

Je vais m’arrêter là, mais j’ai présenté quelques aspects intéressants et jusqu’ici peu connus des débuts de la course à l’espace.

Il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant d’arriver à la course à la lune, mais il convient de noter que le R7 Semyorka a évolué pour devenir les lanceurs Soyouz, qui ont effectué près de 2 000 vols spatiaux à ce jour et transportent toujours des cosmonautes et des astronautes vers la station spatiale.

Il existe de nombreux détails techniques intéressants à ce sujet, car les moteurs du Semyorka-Soyuz sont remarquablement similaires au V2 original. Les Russes ont simplement affiné cette technologie de base des moteurs et l’ont fortement perfectionnée. Toutefois, les moteurs avancés à cycle fermé sont apparus plus tard, pour des lancements plus importants et plus exigeants.

En comparaison, le programme spatial des EU fut beaucoup plus laborieux. Ni le V2 ni la première technologie Atlas n’ont jamais été perfectionnés ou portés à leur limite logique d’évolution. Il en alla de même pour la Saturn V du programme Apollo, qui a été abandonnée après seulement 13 vols. Et ainsi de suite.

Il y a encore beaucoup de discussion technique très intéressants à explorer au sujet des moteurs. Car ils sont bien sûr le cœur de tout vaisseau spatial, de la même manière qu’un turboréacteur est le cœur battant d’un avion.

Gordog

Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone

Le 9 juillet 2021

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