Le Salado (salé en espagnol) est une ville bicentenaire située dans les montagnes de Maria. A 18 kilomètres de celle-ci, se trouve Carmen de Bolivar, qui a inspiré la plus célèbre chanson de « porro » (musique de fête) à un de ces enfants, le compositeur Lucho Bermudez. A d’autres époques, le Salado a été une ville prospère connue comme « la capitale du tabac de la Côte » et pour ses légumes. Il y a 20 ans elle comptait de grands entrepôts et de bons services publics de santé ainsi que dans l’éducation du primaire au baccalauréat et 33 grands magasins.
Elle est aujourd’hui célèbre pour avoir été le théâtre d’un des massacres les plus cruels de notre histoire. Il y a dix ans jour pour jour s’achevait une orgie de sang qui avait débutée le 16 février 2000 dans des villages voisins et qui, à partir du 17, s’est prolongée dans les rues du Salado. Pendant plus de 70 heures, trois groupes paramilitaires ont organisé dans la ville une machinerie de mort sans qu’aucune autorité n’intervienne. Ils avaient affronté la guérilla dans des combats préalables et, en s’enfuyant, ils sont alors tombés nez à nez avec la population.
Le rapport du Groupe pour la Mémoire Historique sur ces crimes (le massacre du « Salado » : cette guerre n’était pas le nôtre, éditions Taurus-Semana, 2009) affirme que les premiers soldats, des fantassins de la Marine, sont apparus le 19 aux alentours de 17 heures, trois jours après que le massacre eut commencé, et seulement par voie terrestre, sans soutien aérien, alors que deux hélicoptères paramilitaires ont survolé le lieu du massacre pendant au moins trois jours. Pendant ce temps les 450 hommes de Salvatore Mancuso surnommé « Jorge 40 » et Carlos Marron commettaient toutes sortes d’atrocités au Salado. Au même moment, la brigade des fantassins de la Marine marchait en cherchant par monts et par vaux dans d’autres lieux les auteurs du massacre. Selon le procureur, des policiers et des militaires « ont manqué à l’accomplissement de leur devoir ».
Pourtant le Salado a été un massacre annoncé. En effet, deux mois aupravant, d’un hélicoptère, des tracts ont été lancé sur le village invitant les habitants à manger et boire pendant le nouvel An car ils leur restaient que quelques jours à vivre. Depuis des années le village était la victime d’attaques impitoyables et d’extorsions de la guérilla. A cela s’ajoutaient maintenant les menaces des autodéfenses (paramilitaires) pour des complicités supposées avec les FARC. Peu d’habitants ont pensé que ces menaces s’accompliraient. Mais au cours des quatre jours, les paramilitaires ont assassiné 61 personnes dont trois mineurs et dix personnes âgées.
Par respect pour les lecteurs dominicaux, je m’abstiens de décrire les cruautés commises qui vont de femmes empalées par le vagin jusqu’à des hommes décapités au couteau. A la fin du massacre, 4 000 personnes ont abandonné la ville et ne sont restés que quelques centaines d’habitants dans ce qui était déjà devenu un village fantôme. L’interminable histoire des déplacés par la violence dans le département du Bolivar a ainsi commencé. Beaucoup ont fini mendiants dans les bidonvilles des villes côtières.
Dans le procès du massacre, 15 paramilitaires ont été condamnés (aucun d’entre eux d’importance dans la hiérarchie) et quatre militaires d’infanterie de marine ont été sanctionnés disciplinairement.
Il y a quelques années, les déplacées ont décidé de retourner au Salado. Ils ont disposé du soutien généreux de plusieurs fondations, d’ONG, d’autorités et d’entreprises privées. Mais en y retournant, ils ont découvert que les terres de la région qu’ils leur donnaient à manger avaient souffert d’une contre-réforme agraire : de grands investisseurs les contrôlent et l’hectare qui valait 300 000 pesos coûte dix fois plus aujourd’hui.
Le cas du Salado s’avère dramatique, et il l’est plus encore en tant que métaphore de ce qui se passe en Colombie. Des centaines de milliers de personnes innocentes se retrouvent au milieu de la guerre entre les forces belligérantes et souvent elles ne disposent d’aucune protection des autorités. La justice qui s’en suit est lente et mesquine. Et il se trouve toujours quelqu’un pour s’être enrichi avec cette guerre. La reconstruction du Salado pourrait être une note d’optimisme dans un panorama déprimant.
Daniel Samper Pizano
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Traduction A. Garcia