Selon Marx « Abolissez l’exploitation de l’homme par l’homme, et vous abolirez l’exploitation d’une nation par une autre nation. Du jour où tombe l’antagonisme des classes à l’intérieur de la nation, tombe également l’hostilité des nations entre elles. » Le manifeste du parti communiste, 1847.
L’exploitation d’une classe par une autre a donc tendance à entraîner l’exploitation d’une nation par une autre. La formation des empires s’explique par les tentatives de la classe dominante d’échapper aux contradictions sociales en pillant d’autres pays pour corrompre une partie du peuple et acheter la paix sociale. Le marxisme lie donc la question des classes à celles de l’impérialisme, et affirme qu’il ne peut y avoir d’égalité et de paix entre les nations tant qu’il existe une classe exploiteuse.
Mais cela ne veut pas dire qu’il faut pour autant, négliger les luttes de libération nationales. A l’époque de l’impérialisme, l’internationalisme doit prendre cette forme : le prolétariat de la nation oppressive doit lutter pour le droit des nations opprimées à disposer d’elles-mêmes, sans quoi « ni la confiance, ni la solidarité de classe entre les ouvriers de la nation opprimée et de celle qui opprime ne sont possibles » (Lénine). Ceci est d’autant plus dur qu’en mode impérialiste, la domination du capital financier crée dans les nations exploiteuses un « prolétariat bourgeois » (Engels) ; c’est à dire une classe moyenne que la bourgeoisie impérialiste entretient grâce aux surprofits extorqués sur le dos des nations exploitées. La lutte contre l’impérialisme est une phrase creuse si on ne lutte pas contre cet opportunisme. Le prolétariat de la nation opprimée doit quant à lui avoir une politique indépendante de sa bourgeoisie, même lors de la brève période où le prolétariat est allié avec celle-ci. Ces deux conditions permettent l’unité entre le prolétariat de la nation opprimée et celui de la nation qui l’opprime.
A la lumière de ceci, nous pouvons analyser la situation en Espagne et statuer sur le droit à la nation catalane à disposer d’elle-même. Historiquement, la Catalogne est l’une des différentes nations qui constituent l’Espagne, avec des relations conflictuelles qui remontent loin. Contrairement à la France, l’Espagne n’a connu l’industrialisation que tardivement. Ainsi, la centralisation économique, base de toute intégration nationale ne s’y est pas réalisée complètement. En France, la centralisation impulsée par Hugues Capet, a commencé à discipliner la féodalité. Les rois de France ont progressivement construit la monarchie absolue, dont l’apogée se situe à l’époque du règne Louis XIV. La révolution française, puis par l’empire et la république ont permis la poursuite de cette centralisation. La France a imposé une culture et une langue unique, au détriment de l’occitan et du breton par exemple, et cela n’a été possible que parce que la bourgeoisie française s’est développée de façon importante sur le plan économique tout au long de son histoire. C’est ce développement qui a permis l’émergence des routes, des cartes, des réseaux de poste, qui ont facilité la centralisation. L’Espagne n’a pas connu un développement capitaliste aussi important parce qu’elle s’est contentée de s’enrichir par le commerce de l’or à partir de la découverte de l’Amérique et le pillage des colonies. Au lieu d’être réalisé par la bourgeoisie, ce processus s’est fait autour de la noblesse et de l’Église, qui conservait l’or ou bâtissait des cathédrales, là où la bourgeoisie anglaise par exemple, utilisait cette accumulation primitive pour investir dans l’industrie. Au lieu d’avoir une bourgeoisie espagnole s’imposant et centralisant le pays sur le plan économique, linguistique et culturel, il s’est développé à des échelles plus petites diverses bourgeoisies, avec diverses langues et cultures. C’est ce qui explique que l’intégration nationale espagnole ne soit pas achevée.
Aujourd’hui, la Catalogne est une région très développée économiquement, en relation avec l’économie espagnole et le capital financier international. Elle est en même temps une nation qui possède une identité culturelle et linguistique légèrement différente de celle l’Espagne. Y a-t-il une oppression nationale de l’Espagne sur la Catalogne ? Sur le plan économique, c’est faux. La Catalogne se développe depuis des années grâce à la dette de l’État espagnol. En effet, en tant que région au statut d’autonomie relatif, la Catalogne pourrait emprunter directement sur les marchés financiers, mais à quel prix ? Certainement pas le même que celui d’un état comme l’Espagne, qui, même s’il est tout autant en faillite, est suffisamment stable pour payer sa dette grâce aux impôts. Sur le plan culturel et linguistique, là encore, le catalan est enseigné dans les écoles et couramment utilisé, il n’y a pas de répression culturelle. La Catalogne bénéficie d’une large autonomie sur ce plan. Bref, sur quoi repose donc les revendications des indépendantistes catalans ?
La réalité est qu’une partie de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie catalane suit son intérêt, c’est-à-dire est persuadée de payer pour les « faignants » du reste de l’Espagne. Et en effet, pas besoin de l’Espagne pour le tourisme, ni pour exporter du vin en dehors de l’Espagne. Une autre partie de la bourgeoisie catalane vit du commerce avec l’Espagne, et d’ailleurs les grandes sociétés n’ont aucun problème avec les impôts. Le mouvement indépendantiste est donc un mouvement bourgeois et petit bourgeois, qui s’oppose à la bourgeoisie madrilène et à une partie de la bourgeoisie catalane. De chaque côté, la bourgeoisie tente de mobiliser le prolétariat derrière la question nationale. Comme la bourgeoisie catalane est divisée, les indépendantistes pour arriver à leur fins ont besoin du soutien du prolétariat. Par ailleurs, il est intéressant d’observer la position du gouvernement de Rajoy. Il voudrait amplifier le mouvement sécessionniste, il ne s’y prendrait pas autrement. La vrai raison de ses relents franquistes n’est pas à voir dans une hypothétique folie mais plutôt dans la volonté de faire diversion au regard de la montée de la pauvreté et du chômage. Du coté indépendantiste, la volonté de faire oublier des décennies de corruption (Pujol, Mas) à la tête de la Généralité (Generalitat) est l’explication la plus crédible.
Dans cette situation, il est absurde de qualifier le processus d’indépendance actuel comme une lutte de libération nationale. En tant que mouvement populaire, il pourrait servir de base à un mouvement révolutionnaire si les communistes espagnols et catalans travaillaient à l’unité du prolétariat. Le problème, c’est que comme la Catalogne n’a rien d’une nation opprimée par l’Espagne, cette lutte de « libération » est totalement artificielle et le prolétariat espagnol ne comprend pas pourquoi la Catalogne veut se séparer du reste du pays, ce qui ouvre la porte au chauvinisme de part et d’autre. Dans le cas présent, l’indépendance de la Catalogne tourne à la surenchère nationaliste, au moment où la crise économique s’aggrave et où plus que jamais on se rend compte de la dangerosité pour le prolétariat du nationalisme. Un véritable internationaliste reconnaît le droit des nations opprimées à disposer d’elles-mêmes, mais travaille surtout à l’unité du prolétariat mondial, à l’indépendance du prolétariat de la politique de toute bourgeoisie, y compris lorsqu’il faut la soutenir tactiquement. Les marxistes mettent en avant non pas une culture nationale mais la culture internationale du prolétariat. D’autant qu’on peut se poser la question des vrais vainqueurs d’un émiettement des pays en régions « ethniquement » pures ? La réponse est simple : les États impérialistes centralisés qui pourront négocier plus aisément à leur avantage devant un confetti et les entreprises transnationales dont le chiffre d’affaires sera plus important que leur PIB.
VILA