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L’Étranger

Hier soir, sur Canal +, un collaborateur de Denisot devisait avec le porte-parole des Roms autrichiens. Un gros bonhomme, jovial et triste à la fois. Il s’appelait, je vous le donne en mille, Sarközy.

Cela fait des mois que je me tue à le dire et à l’écrire : là est le mal-être de notre kleiner Mann, là est sa névrose, là est la violence qu’il retourne contre les étrangers à son monde et les étrangers tout court. Il en va de même pour Éric Besson, dont la mère est libanaise.

Bien sûr, on n’explique pas le nazisme par le fait qu’Hitler avait, très vraisemblablement, du sang juif dans les veines (et pas à la vingt-cinquième génération). Mais les excès délirants d’un régime qui, de toute façon, eût été fasciste, naquirent dans le rapport qu’entretint ce pauvre type avec sa famille pitoyable et avec son origine fort douteuse à ses yeux.

Lors de son discours de remerciements aux militants, le soir de sa victoire à l’élection présidentielle (avant d’enfiler un jeans et d’aller festoyer au Fouquet’s avec ses copains milliardaires qui sont le sens politique de son existence), notre kleiner Mann prononça une phrase passée presque inaperçue : « La France, elle m’a tout donné. » Un Français, disons, pour simplifier, de souche, n’aurait jamais dit cela. Mais un individu aux trois-quarts étranger, marié, à l’époque à une femme qui se vantait de ne pas avoir une goutte de sang français dans les veines, avant de convoler avec une Italienne, se considérait dans ce rapport d’échange, de don (au sens " maussien " du terme).

Mais le problème, avec Sarközy, est celui du contre-don. Aux Français, il inflige sa propre peine. Un individu en souffrance, mais capable de générosité, sachant mettre son problème en perspective, sachant donc le relativiser, l’évacuer de son propre champ, sera en empathie avec les autres et ne vivra que pour eux. Il croira, peut-être un peu naïvement, que chaque acte posé par lui peut sauver l’humanité. Sarközy, pour sa part, fait payer sa faute originelle à ceux qu’il voit comme différents de lui. Il croit que chaque victime expulsée apportera une solution à son problème d’identité, allègera sa propre extranéité. Ou encore que chaque clochard embarqué par la police fera oublier que son père hongrois coucha autrefois sous les ponts de Paris.

Pour son exécution, Meursault souhaitait être accueilli par des cris de haine...

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Il faudrait d’abord étudier comment la colonisation travaille à déciviliser le colonisateur, à l’abrutir au sens propre du mot, à le dégrader, à le réveiller aux instincts enfouis, à la convoitise, à la violence, à la haine raciale, au relativisme moral, et montrer que, chaque fois qu’il y a au VietNam une tête coupée et un oeil crevé et qu’en France on accepte, une fillette violée et qu’en France on accepte, un Malgache supplicié et qu’en France on accepte, il y a un acquis de la civilisation qui pèse de son poids mort, une régression universelle qui s’opère, une gangrène qui s’installe, un foyer d’infection qui s’étend et qu’au bout de tous ces traités violés, de tous ces mensonges propagés, de toutes ces expéditions punitives tolérées. de tous ces prisonniers ficelés et interrogés, de tous ces patriotes torturés, au bout de cet orgueil racial encouragé, de cette jactance étalée, il y a le poison instillé dans les veines de l’Europe, et le progrès lent, mais sûr, de l’ensauvagement du continent. [...]

Aimé Césaire

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