« Le masculin l’emporte sur le féminin ». Voilà une tarte à la crème de l’enseignement de la grammaire. Et certains féministes de s’offusquer. Évidemment, c’est faux : en français, le masculin ne l’emporte pas sur le féminin. Je m’explique : la langue française, qui hérite largement de la grammaire du latin, dispose, discrètement certes, d’un masculin, d’un féminin... et d’un neutre !
Quand j’écris « ils » pour désigner un groupe d’hommes et de femmes, ce n’est pas du masculin, c’est du neutre. Si cela nous surprend, c’est que ça n’est pas du tout enseigné ainsi et qu’il se trouve qu’en français, le neutre se confond presque totalement avec le masculin. Vous êtes perplexes ? Un genre neutre en français, de quoi nous parlez-vous ?
Quand la pluie vient, je dis « il pleut », j’utilise le pronom impersonnel « il ». Je ne peux pas dire « elle pleut », sauf à prendre des libertés poétiques avec la langue. Et je doute fort qu’on m’oppose que ce « il » serait la conséquence d’une victoire du masculin sur le féminin. C’est une manifestation du neutre français. D’ailleurs, ce pronom « il » nous vient d’un mot latin qui se décline aussi bien au masculin (ille), au féminin (illa) et au neutre (illud) et qui était un pronom démonstratif : ce, cela. De même, quand j’écris « on parle », c’est du neutre. Certes, étymologiquement le pronom on vient du mot latin homo, « homme », mais ça n’est pas l’homme opposé à la femme, c’est l’humain, celui qui vit sur terre, celui qu’on allongera sous la terre. Parce que le mot latin homo provient lui-même d’une racine indo-européenne qui renvoie à la terre, à l’humus. Et de ce point de vue, hommes et femmes sont égaux, sont également des mortels.
En latin, il y a sans aucun doute trois genres : féminin, masculin, neutre. Ce que les latinistes, même amateurs, savent, c’est que le neutre ressemble souvent beaucoup au masculin. Un grand nombre de noms féminins se décline ainsi au singulier -a, -a, -am, -ae, -ae, a (1ère déclinaison). Un grand nombre de noms masculins se décline ainsi au singulier -us, -e, -um, -i, -o, -o (2ème déclinaison). Un grand nombre de noms neutres se décline ainsi au singulier : -um, -um, -um, -i, -o, -o (2ème déclinaison).
Les défenseurs de l’écriture inclusive méconnaissent cette subtilité discrète de notre langue. Plutôt que de rentrer dans le lard du neutre grammatical à cause d’un malheureux quiproquo qui le confond avec le masculin, ne pourrait-on pas cesser d’enseigner et faire croire que « le masculin l’emporterait grammaticalement sur le féminin » ? Cette doctrine didactique erronée est certes efficace pour ne pas faire de faute de grammaire, mais elle nomme très mal son objet et suggère une domination masculine là où elle n’est pas. Vraisemblablement, cette erreur est très ancienne et a certainement épousé les contours d’une domination masculine où ont pu se complaire les linguistes des derniers siècles. Cela étant, il me paraît plus urgent de lutter contre la domination masculine là où elle est (inégalités salariales, les harcèlements sexuels, etc.).
Irma-Afnani
PS du GS qui propose un embryon de cours de poitevin-saintongeais (par l’association Arantèle) :
Le phrase i o di, çheù (je le dis, cela) comporte le pronom sujet i (je), évolution du latin ego, le pronom neutre o du latin hoc, commun avec l’occitan, la forme verbale di (dis) commune avec le français, çheù (dela), pronom démonstratif neutre dont le son noté çh est étranger au français. (Au sud du domaine, she a remplacé i.).
"Autrice", que le GS préfère au laid et absurde "auteure", remonte à Tertullien (1er-2e siècles), latin auctor/auctrix.
Pendant longtemps, en français, les féminins suivants n’ont posé aucun problème : philosophesse, mairesse, poétesse, médecine, peintresse, capitainesse, jugesse, amatrice, artisane, etc.