La semaine dernière le parti socialiste hollandais, très critique vis à vis de l’Europe, et fort de l’unique siège qu’il possède au Parlement Européen a proposé aux membres du seul corps élu de l’Union Européenne de manifester leur solidarité avec les millions de gens qui souffrent dans les 27 pays membres en faisant quelques modestes coupes dans le budget de l’institution. Dans son discours, Dennis de Jong a souligné que "partout en Europe, des coupes sont effectuées dans les budgets sauf au Parlement Européen lui-même." Il faisait donc la modeste proposition de "mieux contrôler les dépenses des membres du Parlement Européen et de mettre un terme aux doubles remboursements."
Vous avez bien compris, des doubles remboursements. Une fois par mois, le Parlement déménage de Bruxelles à Strasbourg pour sa séance plénière. Ce n’est pas parce qu’ils n’ont pas assez de place dans leur base de travail habituel, un bâtiment bruxellois, dont l’extérieur est laid mais dont l’intérieur est très bien conçu. C’est tout simplement parce que les Français pensent que la présence du Parlement Européen dans La Belle République (en français dans le texte ndt) leur confère un certain prestige. C’est peut-être étrange mais c’est comme ça. Plus concrètement ils veulent sans doute préserver les emplois du personnel des hôtels, des restaurants et des cafés, des prostituées et autres qui bénéficient grandement de l’arrivée de centaines de politiciens qui dépensent sans compter et de leur personnel bien payé.
Beaucoup de membres de ce personnel bien payé est aussi inquiet que le gouvernement français à l’idée de ne plus siéger à Strasbourg, car ils font un bon profit sur chaque voyage. Même si les défraiements quotidiens des membres du personnel sont inférieurs à ceux des Membres du Parlement, ils peuvent se faire un bon pactole en prenant une chambre bon marché ou en dormant dans leur voiture. Lors des semaines de réunions plénières, on voit des files de camping cars stationnés aux alentours du vilain complexe du Parlement Européen sur les rives du Rhin.
Le double remboursement s’applique, en général, seulement aux Membres du Parlement eux-mêmes qui peuvent demander non seulement le remboursement de billets de première classe à partir de chez eux (qu’ils voyagent ou non en première classe) mais aussi "une indemnité kilométrique" en plus de leur indemnité habituelle de 304€ (environ 250£/400$) pour chaque journée de réunions. Par dessus le marché, ils ne sont pas obligés d’assister à ces réunions, ils peuvent ne rester que le temps qu’il faut pour signer la feuille de présence. Il y a des années, un Membre du Parlement Tory a donné à ce système le nom qu’il mérite, le système SOSO : "Sign On and Sod Off" (Signe et casse-toi - ndt). Pour être honnête les députés ont voté la diminution du nombre de sessions à Strasbourg et beaucoup voudraient qu’elles soient complètement supprimées mais le Parlement n’a pas le pouvoir de décider lui-même où il siège ni quand.
A tout ce fric que les Membres du Parlement reçoivent en plus de leur salaire de presque 8000€ mensuels, s’ajoute encore une indemnité de déplacement séparée pour les voyages effectués dans d’autres endroits que Bruxelles et Strasbourg qui ne doit pas dépasser 4243€ par an. Oh et il y a l’indemnité pour "frais généraux" de 4299€ par mois sur laquelle, selon De Jong, "quasiment aucun contrôle n’est exercé", quelque chose qu’il trouve "impossible à expliquer au contribuable".
Pour tout dire, jusqu’en 2005 j’aurais pu profiter de ce filon. Je gagnais 3000€ nets par mois, et pendant les deux années qui ont suivi ma démission, j’ai continué à recevoir 60% de ce montant. Comme tous ceux qui représentent la gauche - c’est à dire la vraie gauche, pas le parti travailliste- ou qui travaillent pour elle, j’en ai donné une bonne partie à mon parti qui se trouve être le même que celui de Dennis de Jong. Dennis et moi avons suivi ce que le parti socialiste hollandais appelle "la règle de soustraction" qui a pour but de vous laisser avec un salaire équivalent au salaire moyen d’un ouvrier qualifié des Pays-Bas.
Le Parti Socialiste profite donc de ce système mais il préfère le faire le moins possible et De Jong rend tous les ans la partie de ses indemnités qu’il n’a pas utilisée, ce qu’il n’est pas obligé de faire. Le problème c’est que, même si beaucoup de Membres du Parlement se mettent dans la poche tous ces généreux versements, ceux qui sont trop honnêtes pour le faire - et c’est une large minorité, dont la plupart, mais pas tous, sont de gauche- enrichissent leurs partis de cette manière-là . Plus honorable, sans aucun doute, mais non moins coûteuse. Après en avoir discuté avec le Parti Socialiste, j’ai donc décidé de refuser les indemnités auxquelles j’avais droit en dehors du strict remboursement de mes dépenses. Ces indemnités comprenaient une indemnité "d’installation" que j’aurais pu facilement, et sans tricher, m’organiser pour recevoir en rentrant quelques semaines en Angleterre, en dépit du fait que je vivais à Bruxelles depuis plusieurs années en tant qu’assistant politique d’un Membre du Parlement britannique avant de rejoindre le personnel d’un groupe politique et d’être officiellement employé par le Parlement.
Bien que je ne reçoive donc pas toutes ces indemnités et que je remette une partie de mon salaire à mon parti, je vivais tout à fait confortablement à Bruxelles avec les 1800E qui me restaient. Bruxelles est une ville particulièrement bon marché, du moins si vous vivez parmi d’autres immigrants moins privilégiés. De plus, la cerise sur le gâteau au Parlement c’est le restaurant du personnel très bon marché !
Et qu’est-ce que les contribuables des états membres reçoivent en échange de ces énormes dépenses ? Pas la démocratie, en tous cas. Même les gouvernements nationaux ont moins de pouvoir maintenant que les décideurs non élus de la Banque Centrale Européenne et de la Commission Européenne. Les parlements nationaux sont devenus, dans la plupart des états européens, des endroits où l’on ne fait plus que discuter, et ceux qui ont réussi à garder un peu de pouvoir pour oeuvrer en faveur de leurs électeurs voient leurs prérogatives diminuer de plus en plus. Les pouvoirs du Parlement Européen ne s’étendent qu’à peu de domaines politiques -l’environnement par exemple- et c’est là que les innombrables et agressifs lobbies capitalistes concentrent leur action.
En ce qui concerne les problèmes politiques fondamentaux qui impliquent des choix économiques, comme les droits des travailleurs, le commerce et le développement, le Parlement n’a pas le moindre pouvoir.
Il avait toutefois un pouvoir de décision concernant la question économique soulevée par Dennis de Jong, mais aucune des coupes qu’il avait proposée n’a été adoptée.
Steve McGiffen
Steve McGiffen est rédacteur en chef de Spectrezine http://www.spectrezine.org/
Pour consulter l’original : http://www.spectrezine.org/austerity-stops-doors-european-parliament
Traduction : Dominique Muselet pour LGS