Une semaine plus tard, l’Arabie Saoudite a annoncé qu’elle enverrait des avions de combat et des soldats en Turquie pour participer à la coalition américaine dirigée contre ISIS.
Trois jours plus tard, les Saoudiens ont lancé l’exercice « Northern Thunder », décrit comme « le plus grand exercice militaire dans l’histoire du Moyen-Orient. » Les participants de 20 pays ont envoyé des troupes pour des manœuvres de plus de trois semaines à Hafar al Batin dans le nord de l’Arabie Saoudite, pas loin de la frontière irakienne et koweïtienne. Selon un média saoudien, quelques 350 000 soldats devaient participer aux manœuvres.
Il est clair que l’Arabie saoudite envoie là un message fort, ils sont prêts à se battre. Le message ne visait pas tant ISIS que l’Iran et ses alliés : Bashar Assad, le Hezbollah et surtout, la Russie et la Syrie.
Certains complotistes ont même émit l’hypothèse que « Northern Thunder » est la couverture d’une invasion terrestre en Syrie via l’Irak ou la Jordanie.
L’Arabie Saoudite est très inquiète du renforcement des positions de l’Iran au Moyen-Orient. Les sanctions ont été levées. La Russie est entrée en guerre en Syrie, en soutenant Assad et l’Iran. Et sur sa frontière sud, l’Arabie Saoudite est coincé depuis plus d’un an, dans une tentative pour repousser les forces Houthis et rétablir le gouvernement renversé, du Premier ministre Abd Rabo Mansour Hadi, au Yémen.
Donc il existe beaucoup de raisons pour l’Arabie Saoudite pour tenter de changer la situation en Syrie.
L’équipement militaire saoudien
L’Arabie Saoudite a investi d’énormes sommes d’argent dans la modernisation de son armée. Ses 75 000 forces terrestres fortes sont équipées de chars de combat M1A2 Abrams étasuniens et de véhicules de combat blindés M2 Bradley. Sa force aérienne dispose de F-15S Grève Eagles, d’Eurofighter Typhoons et de quelques Tornados plus âgés. Ses forces de défense aérienne sont aussi équipées de Patriot GSB, et ils ont aussi une unité de missile balistique opérant avec des DF-21 de construction chinoise.
Outre l’armée régulière, il y a également la garde nationale saoudienne, une force distincte disposant de son propre ministère. Aussi forte que l’armée régulière et probablement mieux formés. Bien qu’elle soit presque entièrement composée d’infanterie mécanisée (la force n’a pas chars de combat), elle a aussi sa propre artillerie et est maintenant dans le processus d’acquisition de sa propre force aérienne, équipé d’hélicoptère d’attaque Apache.
À première vue, l’Arabie Saoudite est une force militaire redoutable, et les perspectives d’une telle force qui entrent en guerre en Syrie peut poser problème à Damas, Moscou et Téhéran. Mais est-ce vraiment le cas ?
Les chars, avions de combat et les missiles ne sont efficaces que si ceux qui les exploitent le sont aussi. Et dans ce domaine, l’Arabie Saoudite a un très long chemin à parcourir.
Peu de choses sont connues à ce sujet. La seule vraie guerre à laquelle les Saoudiens ont pris part fut la première guerre du Golfe en 1991 ; et la plupart des combats ont été menés par les États-Unis. Plus récemment, l’Arabie Saoudite a combattu au Yémen, mais sans succès jusqu’à présent. Les conseillers étrangers parlent des difficultés à amener les soldats saoudiens au niveau désiré de préparation et de compétence au combat.
Ce qui est bien documenté est le niveau de dépendance à l’aide étrangère de l’armée saoudienne. Quasiment toute la maintenance et les soutiens logistiques des armes saoudiennes sont réalisés par des entrepreneurs étrangers. En plus de cela, il y a des centaines de conseillers, instructeurs et formateurs en permanence sur place.
L’économie de l’Arabie Saoudite est très dépendante de la main-d’œuvre étrangère (environ un tiers de la population). Les forces armées ne font pas exception. Cela fonctionne très bien, aussi longtemps que l’armée ne sort de ses casernes uniquement pour des exercices. Mais une guerre est quelque chose d’autre, et sur le champ de bataille, il est difficile de compter sur des contractants étrangers. Certaines sources soutiennent même qu’une grande partie des combats au Yémen est menée par des mercenaires (les alliés de l’Arabie Saoudite – les Emirats Arabes Unis – recrutent jusqu’en Amérique latine).
La menace d’une invasion terrestre en Syrie n’est pas terminée. Les guerres récentes dans la région ont ravivé la rivalité séculaire entre sunnite et shiite. L’Arabie Saoudite et les États du Golfe sont frustrés par la situation dans la région. La Turquie l’est encore plus, et l’armée Turque est d’un tout autre calibre. L’Arabie Saoudite a assez pour fournir un peu d’aide symbolique à tout mouvement entrepris par la Turquie, mais ils ne seront pas en mesure de de peser beaucoup par leurs propres moyens.
Je terminerai avec un commentaire sur l’exercice « Northern Thunder » Un Exercice aussi important prend beaucoup de temps à être planifié et coordonné, et il faut aussi beaucoup de mois pour rassembler les unités dans un même lieu. Pourtant, « Northern Thunder » est apparu on ne sait comment dans les médias (et on ne sait rien à ce sujet depuis qu’il a été annoncé). Où peut-on cacher 350 000 soldats ? Sont-ils vraiment là ?
Yiftah Shapir est le chef du projet INSS Middle East Military Balance project. Depuis plus de 10 ans, il a été co-rédacteur en chef du volume annuel Middle-East Military Balance, où il était responsable de la section quantitative de la publication. Actuellement, il est responsable de la section de l’équilibre militaire quantitatif sur le site INSS. Shapir suit également les questions de technologie militaire moderne, y compris des missiles balistiques, la technologie spatiale et la défense antimissile balistique (BMD) au Moyen-Orient. Cet article a paru dans The Interpreter.