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L’angle obtus de Lenglet

Mardi 31 mai, j’ai regardé sur France 2 le long magazine de François Lenglet, intitulé, d’un jeu de mots sur son nom "L’Angle éco". Le thème de ce magazine était : "La guerre des âges". Et pour savoir ce dont il était question, je me reporte à la présentation du thème sur France Tv info :

"Pour ce numéro exceptionnel de mai, diffusé en prime time, "L’Angle éco" se penche sur la question des inégalités entre générations, qui n’ont jamais été aussi criantes. Alors que les retraités ont désormais un niveau de vie supérieur à celui des actifs, les jeunes voient l’évolution de leurs revenus stagner, voire reculer par rapport aux générations plus âgées. C’est la guerre des âges, la lutte des générations. Dans l’emploi comme dans l’immobilier, une génération dorée, celle des baby-boomers, a tout raflé." Une génération chanceuse, qui a raflé la mise. Pourquoi ces inégalités sont-elles plus marquées en France qu’ailleurs ? Enquête sur ce pays qui maltraite sa jeunesse et dorlote sa vieillesse.

Et, pour illustrer ce thème, l’équipe du magazine a effectué plusieurs reportages :

1.Emploi : Génération galère contre génération pépère ? Un jeune actif sur deux est aujourd’hui en contrat temporaire en France. Le taux de chômage des 15-24 ans frôle les 25%, et l’écart de salaires entre jeunes et seniors a doublé en cinquante ans. Enquête dans les entreprises, publiques ou privées, où sur les mêmes postes, des jeunes en contrat précaire côtoient des anciens en CDI. On y voit, par exemple, un reportage à la Poste, où des anciens – avec le statut de fonctionnaire mieux payés et aux conditions mieux encadrées – côtoient des plus jeunes moins bien payés et astreints à un travail pénible toute la journée.

2. Immobilier : les seniors ont tout raflé ! Main basse sur la pierre, ou comment les baby-boomers ont tout raflé dans l’immobilier, notamment grâce à l’inflation et la hausse des prix. Certains d’entre eux sont multipropriétaires quand des jeunes actifs, même en CDI, peinent à louer un appartement. Reportage à Marseille, la ville de France après Paris où l’écart entre le pouvoir d’achat immobilier des jeunes et celui des seniors s’est le plus creusé. On y voit des parents héberger leur fille de 35 ans revenue à la maison parce qu’elle s’est séparée de son compagnon, un couple de septuagénaires qui a 20 appartements à Marseille, et qui sélectionne impitoyablement ses locataires, et des jeunes de 20/25 ans qui n’ont qu’une chambre dans un Foyer de Jeunes travailleurs.

3. En contrepoint, Lenglet présente des jeunes qui ont réussi, par exemple le fondateur de Blablacar, qui (je cite), « renverse l’ordre établi », preuve que « quand on veut on peut », ou « quand on se remue, on obtient quelque chose ».

4. Ma retraite ou ton emploi ? Les retraités, banquiers du monde ? Les fonds de pension gèrent aujourd’hui 30 000 milliards d’euros à travers le monde. Cela représente quinze fois le PIB français. Dans les systèmes de retraite par capitalisation, ces fonds investissent en Bourse l’épargne des actifs pour leurs retraites, en achetant des actions de sociétés. Mais pour faire fructifier cette épargne, les objectifs de rendement sont élevés. Et peuvent, parfois, menacer l’emploi de jeunes salariés. On voit, les uns après les autres, d’abord des enseignants étasuniens retraités, bénéficiaires d’un fond de pension et des ouvriers d’une usine française, licenciés par ce fond. Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’une retraitée, interrogée, ne manifeste pas une grande compassion pour les ouvriers français...

5. Canada : le pays qui aime les jeunes. Alors que le niveau de vie des jeunes stagne, voire recule dans la plupart des pays de l’OCDE, le Canada fait figure d’exception. Les jeunes Canadiens de 28 à 34 ans ne se sont jamais aussi bien portés. Leur actif net est supérieur de 55% à celui des 28-34 ans il y a trente-cinq ans. Mentorat de jeunes entrepreneurs, accès rapide à des postes à responsabilité : l’économie canadienne fait décidément confiance aux jeunes. Et pour assurer une meilleure équité entre générations, le pays n’hésite pas à revoir les conquis des baby-boomers retraités. On y voit par exemple un reportage sur un « jeune-entrepreneur-dynamique » qui s’est lancé dans le prêt-à-porter, avec un concept original (le client choisit le tissu, le col, les manches)... mais le costume est confectionné en Chine. On voit aussi Lenglet, confit en dévotion, s’adresser au nouveau Premier ministre Justin Trudeau.

6. Le chassé-croisé des âges. En Europe, c’est le grand chassé-croisé des générations depuis la crise. Les vieux Allemands passant leur retraite en Espagne et les jeunes Européens du Sud partent travailler outre-Rhin. Pour l’Allemagne, vieillissante et en manque de bras, cette immigration est une chance. Et certaines villes espagnoles, comme Peguera aux Baléares, profitent à plein de l’arrivée de ces seniors allemands.

7. Enfin, pendant tout le temps de l’émission, lorsqu’il parle en direct, François Lenglet le fait à partir d’un de ces bateaux de croisière géants (avec multiples restaurants, piscines, mini-golfs, cinémas, casinos), et qui vont de ports en ports en Méditerranée – par exemple de Marseille ou Nice à Naples, de Naples à Palerme ou Malte, et de Malte à Barcelone, et qui sont pleins de retraités - puisque, selon François Lenglet, ce sont les seuls qui ont le temps... et l’argent pour se payer ces croisières.

8. Au sommaire de ce numéro inédit, des reportages suivis d’un débat présenté par François Lenglet, en compagnie notamment du (faux) prix Nobel d’économie Jean Tirole. Nos invités débattront ensemble des sujets qui les “opposent” et des thèmes abordés lors des reportages. Ils tenteront d’apporter des solutions, dans l’emploi, dans le logement et en politique, à cette “guerre des âges” bien française. La rédaction du magazine est également allée à la rencontre d’économistes comme le (faux) prix Nobel d’économie américain Joseph Stiglitz, de chefs d’entreprise comme Gérard Brémond, PDG de Pierre & Vacances-Center Parcs, et de jeunes leaders comme Justin Trudeau, Premier ministre du Canada.

Ce qui est intéressant, dans ces invités, c’est que, outre Jean Tirole (dont les orientations économiques sont bien connues), figurent Sophie de Menthon, membre du Medef (qui avait, un jour, approuvé le travail des enfants), Agnès Verdier-Molinié, de l’iFRAP (minuscule officine ultralibérale), dont les compétences en économie se résument à une maîtrise en histoire contemporaine, mais qui est invitée sur tous les plateaux pour nous abreuver de son ultralibéralisme sauvage, enfin, Etienne Gernelle, directeur du très libéral magazine Le Point, et le réalisateur de cinéma Romain Goupil, passé du trotskisme, dans sa jeunesse, au soutien de la politique de George Bush en 2003.

Remarque 1. Comme très souvent les hebdomadaires (du type l’Express, Le Point, L’Obs, Le Figaro, Valeurs actuelles, etc.), les journaux radio ou télévisés, François Lenglet se livre ici à un escamotage des oppositions et des inégalités (et, bien entendus, de luttes) des classes, en dissimulant celles-ci derrière des "oppositions" montées en épingle, par exemple :

- Les chômeurs contre les bénéficiaires de situations acquises (si ce n’est "assises") : titulaires de CDI, et, bien entendu, ces "super-privilégiés" que sont les agents de certains services publics (la Poste, EDF, SNCF...), les fonctionnaires, et, au sommet, ces fonctionnaires "super-protégés", "super-privilégiés" syndiqués à la CGT, à Sud ou au SNES, réputés "intouchables"...

- Et, bien entendu, les "vieux" (en gros les baby-boomers", sujets précisément du présent magazine), et les "jeunes" (leurs enfants), réduits à la "galère", pendant que leurs parents sont en "croisière".

Remarque 2. Cette présentation fallacieuse vise à dissimuler un fait évident, qui est que la condition des retraités est le décalque de la condition des salariés, et qu’elle l’est de façon à la fois diachronique et synchronique. Autrement dit, les retraités, contrairement à ce que prétend Lenglet, connaissent entre eux les mêmes inégalités que connaissent leurs enfants salariés et que ceux qui avaient, dans la vie active, des revenus de cadres, ont des retraites de cadres, et ceux qui avaient des revenus d’ouvriers ont des retraites d’ouvriers. Il n’y a pas eu de miracle, par lequel aurait été opérée une inversion de ces situations sociales. Et Lenglet est malhonnête lorsqu’il présente des septuagénaires avec 20 appartements comme un cas normal ou les fonds de pension comme la règle des retraites dans le monde.

Remarque 3. François Lenglet dissimule aussi qu’il y a aujourd’hui, beaucoup de retraités pauvres. Et, lorsque je dis retraités, je devrais dire "retraitées", puisque la majorité de ces pauvres sont des femmes : femmes à la carrière incomplète (très souvent, par exemple à cause des enfants), femmes divorcées, qui ont dû se remettre (ou carrément se mettre) à travailler sur le tard, femmes veuves, qui ne touchent qu’une petite pension de réversion (et qui, souvent, doivent faire des "petits boulots" pour compléter leur retraite), femmes non-déclarées (épouses d’agriculteurs, de petits commerçants ou d’artisans...) qui, à cause de cette non-déclaration, ne touchent rien.

Remarque 4. François Lenglet omet aussi un facteur important. Pour bien profiter d’une retraite sur un bateau de croisière, sur un golf ou aux Baléares, il faut vivre longtemps et être en bonne santé. Or, là aussi Lenglet "passe à l’as" ce fait très important : entre ouvriers et "cadres" (ou toutes professions ne nécessitant pas des efforts physiques éprouvants dans des environnements défavorables : mines, aciéries, bâtiment, transport routier, etc.), la différence d’espérance de vie est de 6 ans, et celle de l’espérance de vie en bonne santé de 10 ans.

Or, contrairement à ce que prétendent le Medef et la droite, qui inversent l’ordre des causalités, ce n’est pas "parce que l’on vit plus vieux qu’on doit travailler plus longtemps", au contraire, c’est "parce qu’on travaille moins longtemps (grâce, notamment, à toutes les législations sociales depuis la Libération), qu’on vit plus vieux ! Rappelons, à cet égard, que l’âge moyen d’une vie en bonne santé est de 63 ans pour un homme et de 64 ans pour une femme. C’est à partir de cet âge-là que surviennent les maladies chroniques : diabète, cancer, hypertension, cholestérol, Parkinson, plus les dégradations de la vue, de l’ouïe, des réflexes, de la capacité à recouvrer ses forces après un effort, etc. Et que plus on travaille dans ces conditions, plus l’organisme se fragilise.

Remarque 5. François Lenglet dissimule aussi le fait que, depuis 23 ans et la première réforme Balladur de 1993, les gouvernements de droite n’ont cessé de dégrader la situation des retraités, en retardant l’âge de départ à la retraite, en diminuant les pensions par divers subterfuges (décotes et surcotes plus que proportionnelles), en ne prenant plus en compte certaines périodes. Et, très souvent, les premières victimes de ces "réformes" (on devrait plutôt dire de ces "contre-réformes") sont les femmes. Et, 23 ans (c’est-à-dire la durée qui s’est écoulée depuis la première régression Balladur), c’est presque une génération, puisque, aujourd’hui, les jeunes, en moyenne, obtiennent leur premier CDI à 30 ans et que les femmes ont aussi, en moyenne (je précise bien), leur premier enfant à cet âge. Ce qui veut dire que les premiers effets de ces contre-réformes ne vont pas tarder à se faire senti – si ce n’est déjà fait.

Remarque 6. François Lenglet dissimule aussi ce fait : depuis la guerre du Kippour (octobre 1973), la France et le monde sont entrés dans une crise permanente et structurelle : c’est à la fin du mandat de Pompidou et au début de celui de Giscard d’Estaing qu’on a commencé à parler du chômage de masse. Depuis cette date, nous avons tous connu des amis, parents, collègues, voisins, etc., qui ont connu une vie active "à trous", et qui arrivent donc, dans les années 2005/2016, avec une durée de cotisation incomplète, et qui vont se trouver devant le dilemme de travailler plus longtemps (à l’âge où les fatigues se font plus sentir) ou de se contenter d’une petite retraite.

Remarque 7. François Lenglet, en disant que les baby-boomers ont « raflé la mise », tend à présenter ces derniers comme des joueurs de casino cupides, égoïstes et profiteurs, qui dépouillent d’autres joueurs, alors que ces avantages, il ne faut pas l’oublier, ont d’abord été dus au sacrifice et au martyre de tous ceux qui se sont engagés dans la Résistance (à l’inverse d’un patronat souvent complaisant envers l’occupant), et qui ont élaboré le programme du C.N.R. (Conseil National de la Résistance) de 1944-45, au rôle prépondérant de l’U.R.S.S. dans la victoire contre le nazisme (qui fait que les patrons, par peur de l’Union soviétique et de son prestige auprès d’une partie de la classe ouvrière, par peur que les ouvriers ne votent communiste, ont dû concéder beaucoup), à toutes les luttes sociales et syndicales âpres et puissantes, de 1947 à 1968 (tant qu’il y avait des syndicats combattifs, nombreux et puissants et qu’on croyait que le Parti socialiste était à gauche) et plus tard, qui ont arraché au patronat tous ces avantages qu’aujourd’hui on veut reprendre aux salariés et aux retraités avec usure.

Remarque 8. François Lenglet omet de souligner (même s’il le montre) que les sexagénaires d’aujourd’hui ont parfois encore leurs parents (octogénaires ou nonagénaires), qu’ils doivent aider pour payer les soins à domicile ou la maison de retraite et en même temps (je souligne) aider leurs enfants trentenaires ou quadragénaires à boucler leurs fins de mois... ce qui n’est pas normal ! N’oublions pas qu’en raison du baby-boom, les générations nées dans les décennies 1940-1950 sont plus nombreuses que celles des années 1970-1980. De façon arithmétique, il devrait donc y avoir des centaines de milliers d’emplois à pourvoir. Or, depuis des années, au lieu de proposer ces emplois-là en CDI, les patrons ne proposent plus que des emplois dégradés : en CDD d’abord, puis à temps partiel ensuite, et à des tarifs inférieurs à ceux des années 1960-70 (voire 80), ce qui fait que les jeunes ne peuvent plus ni se loger, ni prendre des crédits. Et encore moins payer la retraite de leurs aînés ! On met les jeunes dans la difficulté, et on accuse leurs parents de ce forfait : chapeau l’artiste !

Dans le contexte actuel marqué par une violente attaque contre les conditions de vie des salariés et des retraités (TAFTA, lois Macron, loi El Khomri, directives de la Commission européenne - dont la loi El Khomri n’est qu’une déclinaison), ce magazine de François Lenglet n’est pas innocent : il vise, en culpabilisant une catégorie de Français, à miner leur volonté de combat et à leur faire accepter toutes les régressions sociales.

Philippe ARNAUD

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