La documentation Française
WSWS, 28 juillet 2007
La semaine dernière, l’administration Bush a présenté sa nouvelle ligne dure envers le Pakistan en exigeant de l’homme fort pakistanais Pervez Musharraf qu’il s’attaque à Al-Qaïda et aux combattants talibans dans les régions bordant l’Afghanistan, sous la menace de frappes américaines dans le cas contraire.
Le porte-parole de la Maison-Blanche Tony Snow a déclaré aux médias jeudi dernier que Musharraf « allait devoir être plus agressif » dans la gestion des problèmes de sécurité dans les régions frontalières. Lorsqu’on lui demanda si des forces militaires américaines allaient être envoyées au Pakistan, Snow déclara : « Nous n’écartons jamais d’options, y compris attaquer des cibles liées au terrorisme. »
La conseillère de Bush à la Sécurité intérieure, Frances Townsend, a essentiellement livré le même message mardi dernier lors d’une conférence de presse au sujet de l’Évaluation nationale du renseignement, qui soutenait qu’Al-Qaïda avait ressurgi dans des « sanctuaires » établis dans les zones tribales du Pakistan administrées au niveau fédéral. Elle déclara diplomatiquement que Musharraf était un allié clé dans la « guerre au terrorisme » et salua son discours contre l’« extrémisme » prononcé à la suite de la prise militaire sanglante par le Pakistan de Lal Masjid, ou Mosquée rouge, à Islamabad.
Néanmoins, Townsend insista que des frappes militaires américaines à l’intérieur du Pakistan ne dépendraient pas de la permission de Musharraf. Tout en refusant d’entrer dans les détails, elle déclara : « Il n’y a aucun doute, comme l’a clairement affirmé le président, que si nous avions des cibles liées au terrorisme n’importe où dans le monde, que ce soit au Pakistan ou ailleurs, nous les pourchasserions. »
Townsend affirma que l’administration Bush faisait pression depuis des mois sur le régime Musharraf pour qu’il entreprenne des actions militaires contre Al-Qaïda et d’autres groupes islamiques. « On sait que de très hauts officiels du gouvernement américain ont discuté à maintes reprises de cette question avec le président Musharraf, à commencer par le vice-président [Dick Cheney en février]. Et clairement, des discussions prennent place entre le président Bush et le président Musharraf. Le secrétaire [à la Défense] Gates s’est entretenu avec lui, tout comme le secrétaire [d’Etat] adjoint Negroponte et un tas de haut représentants du renseignements », a-t-elle affirmé.
Le ministère des Affaires étrangères du Pakistan s’est vivement opposé à ces commentaires en produisant vendredi dernier une déclaration qui qualifiait les menaces d’attaques unilatérales américaines à l’intérieur du Pakistan d’« irresponsables et dangereuses ». La déclaration affirmait que le Pakistan était dévoué à combattre « l’extrémisme et le terrorisme » et soulignait : « Nous avons réitéré à plusieurs reprises notre position selon laquelle toute action de contre-terrorisme à l’intérieur du Pakistan allait être entreprise par nos propres forces de sécurité. »
Cependant, ces déclarations sont essentiellement une pose politique ayant pour but de repousser les sentiments anti-américains grandissants. Comme en septembre 2001, lorsque l’administration Bush avait menacé de bombarder le Pakistan jusqu’à l’âge de pierre s’il n’arrêtait pas de soutenir le régime taliban en Afghanistan, Musharraf fait face à un ultimatum des Etats-Unis : agir contre les régions frontalières ou subir les conséquences.
La détermination de Musharraf de ne pas faire de compromis avec les militants islamiques et d’envahir Lal Masjid a sans aucun doute été grandement influencée par les pressions américaines. Plus de 100 personnes, dont 11 soldats, sont mortes durant le siège qui a débuté au début juillet. La brutale opération militaire a provoqué des manifestations dans la Province de la Frontière du Nord-Ouest et dans d’autres régions du Pakistan et a incité les chefs tribaux de la région frontalière du Waziristan Nord à mettre un terme à l’entente de septembre dernier avec le régime Musharraf qui avait mis fin aux affrontement avec les forces de sécurité.
Au cours de la dernière semaine, des attentats-suicides et des attaques contre l’armée et la police pakistanaises ont fait plus de 130 morts. Au moins 48 personnes furent tuées jeudi lors de trois attaques distinctes à travers le pays - deux contre des camps d’armée et de police au nord-ouest et une troisième contre un convoi de travailleurs chinois d’une compagnie minière dans la province du Baluchistan. Quatre autres personnes sont mortes vendredi lorsqu’une voiture piégée a explosé à un poste de sécurité en banlieue de Miran Shah, la principale ville du Waziristan Nord.
Les combats entre les forces de sécurité pakistanaises et les talibans devraient s’intensifier après que Musharraf eut ordonné à l’armée d’augmenter sa présence dans les zones tribales près de la frontière afghane. Une division militaire complète fut envoyée dans le district de Swat, dans la Province de la Frontière du Nord-Ouest, qui a été déclarée zone « hautement sensible ». Des sections de ce district ont été soumises à un couvre-feu militaire. D’autres troupes auraient été envoyées au Nord et au Sud Waziristan.
Vendredi, une délégation d’anciens chefs tribaux rencontrait des groupes pro-taliban au Nord Waziristan pour tenter de faire revivre l’accord de paix, mais une entente est peu probable. Sous l’accord établi en septembre, l’armée pakistanaise avait accepté de se retirer de la région en échange de garanties que les chefs tribaux allaient empêcher les déplacements d’insurgés anti-américains à travers la frontière. L’administration Bush avait à peine masqué sa vive opposition à l’entente, et elle soutient que cette dernière a permis à Al-Qaïda et aux talibans d’établir un sanctuaire. Lors de son point de presse la semaine dernière, Townsend a déclaré : « Ca ne fonctionne pas pour le Pakistan et ça ne fonctionne pas pour les Etats-Unis. »
Déstabiliser Musharraf
Les exigences d’action militaire des Etats-Unis et leurs menaces d’intervention ne peuvent que déstabiliser davantage le régime déjà assiégé de Musharraf. L’aboutissement sanglant du siège de Lal Masjid a dégoûté la population et a aliéné encore plus les partis fondamentalistes islamiques sur lesquels s’était appuyé Musharraf au niveau national et provincial dans la Province de la Frontière du Nord-Ouest et au Baluchistan. La reprise des opérations militaires dans les régions tribales frontalières entraînera davantage d’opposition et de résistance.
Au même moment, les tentatives de Musharraf pour établir des relations politiques plus étroites avec les partis laïcs ont été minées par les vives protestations contre ses efforts pour limoger le chef de la Cour suprême Iftikhar Muhammad Chaudhry. Vendredi, la Cour suprême a porté un coup à Musharraf en rejetant les accusations de corruption contre Chaudhry et en rétablissant le juge dans ses fonctions. Cette décision complique les plans de Musharraf pour être réélu président tout en conservant son poste de chef de l’armée - une disposition que Chaudhry pourrait bien qualifier d’inconstitutionnelle.
Lors d’une rencontre avec les rédactions de journaux mercredi, Musharraf a minimisé les craintes qu’il n’utilise l’éruption de violence islamique en tant que prétexte pour déclarer l’état d’urgence et repousser les élections. Il a toutefois clairement fait savoir qu’il avait l’intention de rester chef de l’armée. La détermination de Musharraf à cet égard reflète sa très mince base de soutien et sa crainte que l’armée pourrait se retourner contre lui s’il abandonnait un contrôle direct.
L’une des raisons pour lesquelles Musharraf a conclu un marché avec les tribus pro-talibanes du Waziristan Nord en septembre dernier était l’apparition de signes de rébellion au sein du corps des officiers. Des couches importantes de l’armée sont d’ethnie pachtoune et entretiennent de forts liens avec des groupes tribaux dans les régions frontalières et au sein même de l’Afghanistan. Quelque 600 soldats pakistanais étaient morts dans les affrontements.
Toute intervention unilatérale américaine au Pakistan provoquerait une large opposition populaire et aggraverait les tensions au sein des forces de sécurité du pays. Les journaux McClatchy ont rapporté les propos de lieutenant-général à la retraite Hamid Gul, qui a lancé l’avertissement suivant : « Les gens de cette région sont vraiment en colère et irrités par ce qui s’est passé [à la Mosquée rouge]... Si nos troupes sont envoyées dans la région, elles devront se battre sur leur passage et ce sera très mauvais : on ne peut pas faire du travail de reconstruction dans un tel environnement et on perdrait la bataille des coeurs et des esprits. »
Quelles que soient les conséquences politiques, toutefois, Musharraf n’a pas d’autre choix que d’accéder aux demandes américaines et de s’en prendre aux militants islamiques et insurgés anti-américains. Un responsable américain haut placé et impliqué dans les discussions à la Maison-Blanche a dit au New York Times mercredi : « On a vu dans le passé qu’il a envoyé des gens dans la région et qu’ils ont été balayés. Nous prenons très au sérieux la menace posée par les régions tribales. Il faut s’en occuper. S’il peut le faire, amen. Mais sinon, il doit bâtir et emprunter la capacité de le faire. »
L’administration Bush épaule à présent le Pakistan dans ses efforts pour ramener les tribus frontalières sous son contrôle. Washington a promis 750 millions $ en aide au développement économique sur cinq ans afin de « gagner les coeurs et les esprits », une goutte d’eau au regard des immenses problèmes sociaux qui affligent ces régions appauvries et économiquement arriérées. Les États-Unis étudient une requête de 350 millions $ de Islamabad pour aider à entraîner, équiper et déployer les forces militaires pakistanaises, y compris l’établissement d’un nouveau « Corps frontalier » pour faire la police dans les régions tribales.
Washington a déjà transporté la « guerre à la terreur » au sein même du Pakistan. Des responsables américains des services de sécurité et de police ont collaboré étroitement avec les autorités pakistanaises depuis 2002 pour faire la chasse aux membres clés de Al Qaïda et des dirigeants talibans. Plusieurs incidents survenus au cours des cinq dernières années montrent que l’armée américaine est engagée dans des opérations secrètes au sein du Pakistan qu’elle mène à l’aide de drones de combat et possiblement de forces spéciales. En octobre dernier, des villageois de l’agence de Bajaur ont accusé l’armée américaine d’être directement impliquée dans une attaque dévastatrice au missile sur une mosquée qui a enlevé la vie à plus de 80 étudiants et enseignants.
Le durcissement de la position publique de Washington cette semaine est un avertissement que des opérations américaines plus importantes sont en préparation. Un article publié le 3 juillet sur le site web de Asia Times sous le titre « Les États-Unis vont pourchasser les talibans au Pakistan » a révélé que les discussions à Washington et avec Islamabad vont bon train depuis un certain temps. Selon ses sources, au moins quatre régions dans le Waziristan Nord et le Waziristan Sud sont ciblées. « Des opérations au sein du Pakistan pourrait être menées de façon indépendante par les États-Unis, probablement par voie aérienne, par des forces pakistanaises agissant seules ou en tant qu’offensives conjointes. Dans tous les cas, cependant, ce sont les États-Unis qui vont tirer les ficelles, par exemple en fournissant aux Pakistanais les renseignements sur les cibles à frapper. »
Le New York Times a aussi confirmé mercredi que la Maison-Blanche planifie une escalade des opérations militaires au Pakistan. « En étudiant comment faire face à la menace de Qaïda au Pakistan, des responsables américains se rencontrent depuis des semaines pour discuter ce que certains disent être l’apparition d’une nouvelle stratégie agressive, qui comprendrait des éléments tant publics que secrets. Ils ont dit qu’il y avait beaucoup d’inquiétude que les attaques ciblées sur les positions de Qaïda n’étaient pas suffisantes, mais ils ont aussi dit que de nouvelles mesures américaines pourraient devoir rester secrètes pour éviter d’embarrasser le général Musharraf », pouvait-on lire dans l’article.
Dans l’éventualité d’une attaque américaine en sol pakistanais, peu de gens seront trompés par un Musharraf niant être impliqué. Souhaitant endiguer sa propre profonde crise politique interne, l’administration Bush déstabilise un autre pays sans y regarder à deux fois, geste qui ne peut qu’attiser les sentiments anti-américains et avoir des répercussions dans toute la région.
Peter Symonds
Article original anglais paru le 21 juillet 2007.
– Source : WSWS www.wsws.org
Paul Craig Roberts : George Bush pourrait décréter l’état d’urgence, RIA Novosti.
Un autre Afghanistan : discours de Malalai Joya, jeune députée au Parlement afghan.
Le langage de l’Empire. Les frontières miroitantes d’une vocation à la domination, par Enzo Traverso.
Interventions (1000 articles), par Noam Chomsky.