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Jean-Luc Mélenchon : « Le rassemblement de la ’gauche’ empêcherait le peuple de se fédérer »

Jean-Luc Mélenchon, candidat de la France insoumise n’attend rien des frondeurs du PS ni des Verts qui « sont engagés dans des primaires internes ». Il estime qu’il faut « gagner ses galons soi-même ». Entretien (L’Humanité, 20 septembre 2016).

Alstom, loi travail... l’actualité sociale reprend le dessus. Comment éviter la surenchère identitaire qui a marqué l’été ?

Jean-Luc Mélenchon La question identitaire est une diversion. C’est une vieille ruse des importants. Le quotidien des gens, c’est la question sociale et la question écologique. Notre tâche consiste donc à ramener ces questions dans l’appétit des premiers concernés. Car, alors, quelle que soit l’entrée, on arrive au même point : la défense de l’intérêt général humain se confronte soit à la cupidité de l’intérêt capitaliste, soit à la logique anti-écologique de la politique dite de l’offre. Face au mur médiatique, je crains que nous ne soyons obligés d’introduire ces grandes questions par effraction pendant toute la campagne.

Vous dites, dans votre livre le Choix de l’insoumission (Seuil, 18 euros), avoir tourné le dos à la stratégie qui consiste à rassembler la gauche de « Macron à Mélenchon ». Qu’en est-il de la gauche en rupture avec la ligne gouvernementale ?

Jean-Luc Mélenchon Le rassemblement de la « gauche » empêcherait le peuple de se fédérer. À la première réunion de la fameuse primaire de la gauche, il y avait au premier rang madame Cosse. Dix jours après, elle était au gouvernement. Ce n’est pas un fait individuel, cela révèle une ligne politique. Que me demande-t-on ? Unir « l’opposition de gauche » ? Mais ils ont déjà dit non aux élections locales ! Par conséquent, je dis aux camarades : il n’y a pas de raccourci. Il faut gagner ses galons soi-même. Aujourd’hui, les frondeurs au PS et chez les Verts sont engagés dans des primaires internes. À la sortie, des centaines de milliers de gens qui ont confiance en eux et qui pensent changer la donne avec eux seront orphelins. Mais pas abandonnés. Pour les gens qui veulent la VIe République, une autre répartition entre le capital et le travail et la planification écologique, ma candidature sera leur point d’appui. C’est ça qui change tout.

2017 se présente dans une configuration différente de 2012. Le FN a marqué des points...

Jean-Luc Mélenchon En 2012, on aurait pu dire : pour vaincre Sarkozy, mieux vaudrait un candidat unique. On ne l’a pas fait. Pourquoi ? On se disait : telle qu’est devenue la social-démocratie européenne, tels que sont les traités européens, François Hollande ne fera jamais ce qu’il promet. Cet homme, en mentant et en trahissant la parole donnée, a désorienté des millions de gens qui ne savent plus ce que veulent dire gauche et droite. Dans cette faille, le FN s’est faufilé. L’autre cause, c’est notre incapacité à apparaître comme une alternative. Il faut y répondre. Comment ? Primo, assez de cartels de partis. Les alliances et les combines de terrain, le refus obstiné de label commun aux élections, la privatisation du sigle Front de gauche nous ont fait énormément de tort. Je propose un mouvement dans lequel les gens peuvent individuellement prendre leur part, comme ils veulent. Je n’ai pas dit qu’il faut dissoudre les partis, je dis : créons un mouvement. La continuité, c’est le programme l’Humain d’abord. On ne peut pas repartir de rien. Ce n’est pas le choix qu’a fait le PCF. Je le respecte. Mais je ne me résigne pas. J’organise une campagne qui vise à fédérer le peuple. Les communistes y sont déjà engagés par milliers et ils sont les bienvenus.

En reprochant, la semaine dernière, au secrétaire national du PCF, Pierre Laurent, de faire du « trotskisme des années 70 », ne versez-vous pas dans la polémique inutile ?

Jean-Luc Mélenchon Il s’agit ici d’un propos de couloir rapporté contre mon gré (prononcé à la Fête de l’Humanité, devant les micros de BFMTV, France 5, i-Télé, LCP et C8 – NDLR). De leur côté, les porte-parole du PCF me dénigrent sans relâche depuis sept mois. Je n’ai jamais répondu. Un fossé a été creusé. Mais notre divergence est politique. Le PCF a voulu les primaires de toute la gauche, cela n’avait pas de sens. La vie a tranché. La vérité, c’est que la direction communiste a pris sa décision depuis longtemps de ne pas me soutenir. Le 5 novembre (date de la conférence nationale du PCF – NDLR), le PCF ira de son côté. Le seul résultat de sa campagne aura été de me rendre la tâche plus difficile. Mais d’autres communistes m’ont aidé de toutes leurs forces. Le bilan reste positif.

Les communistes soulèvent le problème de la multiplicité des candidatures à gauche...

Jean-Luc Mélenchon La direction communiste embrouille tout. Certes, il y a une pluralité de candidatures, mais à l’intérieur de primaires, à l’intérieur de partis. À la fin, il y aura un seul candidat socialiste, un seul candidat écologiste, et une candidature, la mienne, à la suite de 2012. Ce sera donc la même situation qu’en 2012. Sauf que je m’y trouve infiniment plus fort au départ qu’alors ! Mettre au pied du mur des candidats internes à la primaire d’un autre parti ne mène nulle part. Voilà pourquoi j’ai parlé de « trotskisme des années 70 ». Où est l’offense ? Je rappelle que j’ai été trotskiste, et que le trotskisme est un communisme. Pour apaiser, on va dire : la stratégie de la mise au pied du mur est en échec depuis soixante-dix ans.

Certains vous reprochent de trop vous focaliser sur la question de la nation, avec la formalisation d’un « nouvel indépendantisme français ». Que leur répondez-vous ?

Jean-Luc Mélenchon La nation est un mot qui appartient au camp progressiste. Il a été récupéré par la droite. J’appelle donc à une réflexion sérieuse et non pulsionnelle. En France, c’est la République qui fonde la nation, et non l’inverse. La nation fait partie de la stratégie révolutionnaire que je défends en tant que cadre dans lequel s’exerce la démocratie et comme point d’appui de la volonté populaire. Une certaine gauche est en panne de réflexion, elle ne tient aucun compte de la nature du capitalisme financier international, ni des points d’appui que sont l’ONU ou l’OIT, des organisations fondées sur les nations. Je suis prêt à participer à tout débat théorique. La stratégie de la Constituante, qui est le moment où se combinent la formation du peuple en tant qu’acteur politique et la refondation de la nation, mérite mieux que des procès d’intention.

Vous évoquez également dans votre livre la question des réfugiés. Vous invitez à « partir d’objectifs et de méthodes de travail rationnels », puisque, dites-vous, « là-dessus on peut s’accorder ». Quels sont-ils ?

Jean-Luc Mélenchon Notre tradition internationaliste interdit de se réjouir de l’émigration. Le plus souvent, il s’agit d’ailleurs des êtres les plus jeunes, les plus dynamiques et les mieux formés qui quittent leur pays. Personne ne peut non plus accepter les ignobles trafics auxquels cela donne lieu, ni les conditions dans lesquelles les gens sont accueillis. Il faut agir sur les causes du départ : la guerre, les traités inégaux et un modèle d’agriculture productiviste qui vide les campagnes. Les trafics, nous pouvons les combattre, non en payant des pays comme la Turquie, ou la France pour qu’elle garde la frontière anglaise. C’est pourquoi je dis si les gens à Calais veulent aller en Angleterre, il faut les laisser passer. Enfin, l’accueil, ça ne peut pas être la jungle, le modèle, c’est plutôt Grande-Synthe (commune du Nord en pointe dans l’accueil des réfugiés – NDLR). S’agissant des travailleurs détachés, le mode d’expression oral qui était le mien fait que l’on n’a pas entendu les guillemets (dans ses propos rapportés par le Monde au Parlement européen, le 5 juillet – NDLR). Cela m’a valu un déchaînement politicien. Mais ceux-là ont oublié de dénoncer le FN, le PS et les Verts qui ont pourtant voté la nouvelle directive prévoyant que le régime social reste celui du pays d’origine, c’est-à-dire confirmant le dumping social dans toute l’Europe. Sur l’émigration, mes positions sont donc claires, et elles correspondent à la tradition jaurésienne.

il y aura une convention des Insoumis, les 15 et 16 octobre. Quel en est l’objectif ?

Jean-Luc Mélenchon Nous sommes en retard par rapport à 2011, où j’ai présenté le programme sur la scène de la Fête de l’Humanité. Cependant, nous n’avons pas perdu de temps. La discussion sur le programme a été ouverte en même temps que ma proposition de candidature, il y a eu trois mille contributions, nous avons fait l’audition d’experts, visible en ligne. Puis celle des groupes politiques qui ont rejoint la campagne sur la base d’un pacte simple : la présidentielle et les législatives, c’est la même campagne, le même programme ! Il faut maintenant que le document entre dans un débat de masse. La convention va transmettre ce document au peuple tout entier pour en débattre. À partir de cette étape, des livrets spécialisés vont être mis en route, sur l’agriculture, l’espace, l’éducation, etc. C’est la phase suivante, avec les ateliers législatifs dont le but est de transformer en textes de loi cette matière. Pour moi, la convention permettra de donner à voir, pendant le chaos politicien des primaires, les préoccupations populaires. Ce n’est pas un congrès, nous ne fondons pas un parti ! C’est un cadre de travail, tout comme le mouvement la France insoumise lui-même.

Quelles seront les principales novations programmatiques par rapport à 2012 ?

Jean-Luc Mélenchon Beaucoup de choses ont été affinées. Mais on retrouvera l’organisation des chapitres de l’Humain d’abord, avec deux de plus qui portent sur la logique du progrès humain, et de la France aux frontières de l’humanité, introduisant les questions de la mer, de l’espace et du virtuel, trois secteurs dans lesquels l’investissement d’État peut relancer une activité écologiquement responsable. Mais on ne va pas réinventer un programme à chaque élection. Les fondamentaux du programme l’Humain d’abord sont à l’ordre du jour pour au moins vingt ans, parce qu’ils correspondent à des tâches historiques que le peuple français doit accomplir : changer sa Constitution et les processus de production et d’échange, organiser un partage massif de la richesse, récupérer son indépendance.

Entretien réalisé par Sébastien Crépel et Julia Hamlaoui

Photo : JulienJaulin/HansLucas

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