[Quoi qu’il en soit, embarrassant certains de ses amis politiques, Mme Royal a apporté sa caution au rapport Attali, estimant que les membres de la commission constituaient « une équipe d’une grande intelligence » (ce qui est assez probable) et « d’une grande diversité » (ce qui est rigoureusement faux). « Donc c’est cadeau, a conclu l’ancienne candidate de gauche à l’élection présidentielle, C’est sur la table, c’est pour aider la France. »]
Le Monde Diplomatique, vendredi 25 janvier 2008.
« Tout ce que vous proposerez, je le ferai », avait promis M. Nicolas Sarkozy au moment de confier à M. Jacques Attali la responsabilité d’un rapport destiné à « libérer la croissance française ». Le président de la République a-t-il une fois de plus pris la mesure de son impulsivité " et de son imprudence ? En tout cas, deux des principales recommandations de la commission Attali " la suppression du département et l’abandon du « principe de précaution » dans le domaine de l’environnement " ont d’ores et déjà été remisées aux oubliettes par le chef de l’Etat. Il en reste trois cent quatorze [1]Dont deux au moins qui représentent des monuments de cautèle politique et sociale : la possibilité « [offerte] à chacun de retarder, s’il le désire, son départ à la retraite », la faculté pour les parents « de choisir librement le lieu de scolarisation de leurs enfants ». « S’il le désire », « librement » : comment s’opposer à tant de libéralité ?
D’emblée, plusieurs éléments frappent dans ce rapport. D’abord ses quarante-deux auteurs [2]. Presque tous étant des libéraux, il n’est pas très étonnant qu’ils aient enfanté un diagnostic… libéral de l’état de l’économie française. « Le rapport suscite la polémique, tant il veut aller loin dans la déréglementation », admet d’ailleurs Le Figaro (24 janvier), a priori peu hostile à ce genre d’orientation [3]. Le fait que M. Jacques Attali, présumé de gauche parce qu’il a été l’un des principaux conseillers de François Mitterrand à l’Elysée, dirige cette commission, participe néanmoins à l’effet de brouillage politique dont M. Sarkozy est friand : rien de tel que de placer des socialistes à la tête de commissions ou même dans le gouvernement pour faire passer des orientations qui, elles, ne le sont pas du tout. Il y a près de quinze ans, le premier ministre d’alors Edouard Balladur " le mentor politique de M. Sarkozy " avait lui aussi confié à un intellectuel médiatique présumé de gauche, M. Alain Minc, la charge de réfléchir, avec une équipe prétendument pluraliste, à « la France de l’an 2000 ». La commission comprenait trois futurs ministres de M. Jean-Pierre Raffarin [4], ainsi que M. Raymond Soubie, l’actuel conseiller social à l’Elysée du président Sarkozy (voir, dans notre sélection d’archives, « Dans les coulisses de la "réforme" »).
En 2003, alors qu’il était ministre de l’économie et des finances, M. Sarkozy lui-même chargea M. Michel Camdessus de réfléchir une fois de plus à la croissance jugée insuffisante de l’économie française. Et, là encore, selon le principe inusable du pâté d’alouette, un quarteron de personnalités de gauche servit de caution pluraliste à un rapport destiné à promouvoir un peu plus dans les médias " et à faire avancer dans l’opinion " des thématiques de droite. Pour en mesurer les conséquences, il suffit de rappeler que l’idée principale qui se dégagea du rapport Camdessus fut celle… du « travailler plus pour gagner plus » [5].
Mme Ségolène Royal ne semble pas avoir pris la mesure du danger. Ou alors, elle ne s’en soucie plus : n’a-t-elle pas déjà pris l’habitude de ce genre d’audace en faisant appel à Bernard-Henri Lévy lors de sa campagne électorale du printemps dernier ? Quoi qu’il en soit, embarrassant certains de ses amis politiques, Mme Royal a apporté sa caution au rapport Attali, estimant que les membres de la commission constituaient « une équipe d’une grande intelligence » (ce qui est assez probable) et « d’une grande diversité » (ce qui est rigoureusement faux). « Donc c’est cadeau, a conclu l’ancienne candidate de gauche à l’élection présidentielle, C’est sur la table, c’est pour aider la France. »
Ce genre de grandiloquence ne doit pas déplaire à M. Attali, dont l’immodestie est proverbiale. Se comparant à l’économiste libéral Turgot lorsque, en 1774, ce dernier alerta un roi de France, Louis XVI en l’occurrence, contre l’orage qui approchait, l’ancien conseiller de M. Mitterrand a cité ce propos : « Je serai seul à combattre contre les abus de tout genre, contre la foule des préjugés qui s’opposent à toute réforme et qui sont un moyen si puissant dans les mains des gens intéressés à éterniser le désordre. (...) Je serai craint, haï même, de la plus grande partie de la cour, de tous ceux qui sollicitent des grâces. » Rien de tel, quand on avance les idées qui sont « dans l’air du temps », que de se présenter comme prêt à toutes les audaces, à tous les sacrifices. Cela permet aussi de suggérer que tout recul des responsables politiques, toute réserve, toute prudence les exposerait au jugement cruel de la postérité. « C’est au président et au gouvernement de décider ce qu’ils veulent faire du rapport, a indiqué par exemple M. Attali. Ils porteront aux yeux de l’Histoire la responsabilité d’avoir saisi ou laissé passer cette chance unique de réformer [6]. » Mais, dans l’histoire, on le sait, ce ne fut pas Turgot qui monta sur la guillotine…
C’est en quelque sorte pour préserver M. Sarkozy de ce genre de destin que Jacques Attali, qui n’a d’autre légitimité démocratique que la faveur du prince, propose son paquet-cadeau au moment où la croissance occidentale ralentit et où les « marchés » se montrent très agités. Car la solution à tous nos maux existerait déjà : « Si l’ensemble de ces réformes est mis en oeuvre, a promis M. Attali, le taux de croissance pourrait être supérieur d’au moins un point à l’année 2008, le taux de chômage pourrait être ramené à 5%, deux millions d’emplois pourraient être créés, le chômage des jeunes pourrait être divisé par trois, le nombre de Français sous le seuil de pauvreté pourrait être amené à trois millions, nous avons calculé que l’espérance de vie entre les plus favorisés et les plus défavorisés pourrait être réduite d’un an [sic], que plus de dix mille entreprises pourraient être créées dans les banlieues, que la dette publique serait réduite à 55% et que la fréquentation touristique pourrait dépasser les 90 millions. » En somme, le bonheur.
A crise de marché, remèdes de marché. La recette a beau avoir été éprouvée " et infirmée " cent fois, il y a toujours, comme au temps de Molière, des apothicaires pour la proposer. Disciple de Friedrich Hayek, de Margaret Thatcher et de Ronald Reagan, l’ancien ministre Alain Madelin a apprécié en expert l’opération de communication de M. Sarkozy : « Confier la présidence de cette commission à Jacques Attali était habile, car cela permettait de faire endosser par une personnalité affichée socialiste, étroitement liée à la politique de François Mitterrand, des réponses nécessairement d’inspiration libérale [7]. »
Serge Halimi
– Source : Le Monde Diplomatique www.monde-diplomatique.fr
Attaques en règle de Sarkozy, Traité Européen : les imposteurs de la rue de Solferino, par Denis Collin.
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