Michel Collon vient de publier un nouveau livre : Israël, parlons-en ! Il a réuni 19 spécialistes et 4 palestiniens pour aborder différents thèmes : le lobby, l’exode, 1948, le droit international... Voici un extrait où il aborde la question du pétrole.
Michel Collon : Pourquoi les USA accordent-ils tant d’importance à Israël ? C’est à cause de l’holocauste, à cause du lobby ?
Samir Amin : Cela n’a rien à voir avec l’influence des lobbies israélien et juif, ni avec l’histoire dramatique de l’holocauste. Le soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël rentre en fait dans la logique du projet de la classe dirigeante américaine qui vise à contrôler militairement la planète entière. En dépit des difficultés et les défaites essuyées, ce projet n’est pas encore remis en cause. Et le contrôle du Moyen-Orient y tient une place importante.
MC : Pour quelles raisons ?
SA : D’abord, parce que c’est la région principale de production et d’exportation du pétrole. Ensuite, pour des raisons géographiques. Le Moyen-Orient se trouve au coeur de l’Ancien Monde, à distance égale de Londres, Pékin, Singapour et Johannesburg. Par conséquent, le contrôle militaire de cette région permet aux USA d’exercer une menace permanente sur tous les pays de l’Ancien Monde, et particulièrement sur ceux qu’ils considèrent comme les plus dangereux.
C’est une des principales raisons du soutien des Etats-Unis à Israël. Mais on peut imaginer que lorsque leur plan de contrôler militairement la planète sera réellement mis en déroute, Washington sera contraint d’abandonner ce projet à la fois démentiel et criminel. Donc, le soutien à Israël rencontrera des obstacles. Et l’influence des lobbies prosionistes et pro-israëlien aux Etats-Unis et en Europe aura moins de marge.
MC : La question clé, c’est le pétrole ?
SA : Oui et non. Le projet de contrôle militaire de la planète n’a pas pour seul objectif l’accès aux ressources pétrolières et leur contrôle. Les véritables objectifs vont bien au-delà . Il s’agit de rendre impossible ou très difficile la résistance d’une nation quelconque du sud de l’Asie, d’Afrique ou même de la Russie. Il y a un véritable contrôle mondial par les oligopoles (NDLR : multinationales) des pays impérialistes : les Etats-Unis en premier lieu, suivis de leurs subalternes européens et japonais.
Ce projet ne se résume donc pas au seul pétrole. De plus, pour servir ce projet, les Etats-Unis peuvent compter sur beaucoup d’alliés dans les pays du Sud. Je pense à toutes ces classes compradores (agents économiques des grandes puissances) et procapitalistes. Cependant, ils n’ont pas de meilleur allié qu’Israël. En effet, Israël est comme un corps étranger dans le Sud. Il se considère comme occidental et son avenir dépend intégralement du maintien de la domination des Occidentaux sur le reste de la planète. C’est ce qui fait d’Israël un allié inconditionnel des Occidentaux.
MC : D’autant plus inconditionnel qu’Israël est un véritable produit de l’Occident ?
SA : Exactement. Il ne tiendrait pas une semaine sans le soutien des Etats-Unis. Et si ces derniers prenaient la moindre petite mesure de rétorsion à l’égard d’Israël, ce dernier serait contraint de négocier et de capituler (je ne parle même pas de mesures drastiques comme le blocus de Cuba). On peut donc parler de soutien inconditionnel des Etats-Unis à Israël. C’est voulu.
MC : Pourtant, certains affirment que ce sont les Israëliens qui contrôlent les Etats-Unis...
C’est une thèse absurde. Ce n’est pas la queue qui fait remuer le chien, c’est le contraire ! C’est une thèse grotesque rejoignant ce vieil antisémitisme qui postulait l’existence d’un lobby juif qui contrôlerait le monde. Non, le grand capital nord-américain n’est pas juif. Il est WASP, c’est-à -dire White (blanc), Anglo-Saxon et Protestant. Il est même parfois antisémite sur les bords !
MC : Ce capital WASP a d’ailleurs soutenu Hitler à un moment donné ?
Tout à fait. Ce n’est donc pas Israël qui contrôle les Etats-Unis mais le contraire ! Prenons un autre exemple. Après la Seconde Guerre mondiale, la Turquie était aussi un allié inconditionnel des Etats-Unis. Mais nous voyons à quel point pour une société du tiers monde, cette situation est difficile à tenir, même pour les classes dirigeantes alliées aux grandes puissances. Nous voyons bien que la Turquie actuelle tente de prendre quelques distances. Auparavant, les Etats-Unis avaient pu compter sur le Chah d’Iran, mais le Chah est tombé en 1979. Ils savent très bien que quel que soit le régime à leur botte dans un pays du tiers monde, cette soumission reste fragile. C’est pourquoi ils ne peuvent pas avoir de meilleur allié qu’Israël dans la région.
Vous pouvez commander le livre sur le site de Michel Collon et du collectif Investig’Action