Algérie54 :J ournaliste en mission pour couvrir la seconde Intifada, vous êtes la cible, le 21 octobre 2000, du tir d’un sniper israélien posté dans Ramallah occupée. Vingt et un ans plus tard, que ressentez-vous de cette dure et longue expérience ?
Jacques-Marie Bourget : Statistiquement je suis un miraculé. Logiquement un homme atteint d’une balle de M16 dans le poumon gauche juste au-dessus du cœur est un homme mort. C’est pourquoi je parle de miracle. Il y a une satisfaction animale d’être resté en vie, mais quelle vie ? Une suite d’opérations étalées sur plusieurs années, un handicap permanent et surtout un psychisme définitivement morbide. Outre les dégâts physiques, je souffre d’un « syndrome post-traumatique » impossible à effacer.
Parallèlement, en dehors du soutien de ma femme, dont la vie a été bouleversée, et celui d’une poignée d’amis, j’ai été abandonné par la presque totalité de la profession. Lutter à mes côtés pour que me soit reconnu le statut de « victime », c’était aussi affronter Israël et ses soutiens. Les courageux furent rares. Pourtant je n’ai jamais abandonné la lutte. Au-delà de mon cas, il s’agissait de dénoncer un État volontairement criminel. Et j’ai déposé plainte pour « tentative d’assassinat ». L’État hébreu ayant refusé de coopérer avec la justice française, cette démarche n’a pu aboutir. Finalement après de multiples étapes et obstacles, en 2020 la Cour d’Appel de Paris m’a reconnu « victime ». Sans pouvoir juger les coupables, ceux qui ont donné l’ordre à un tueur de m’éliminer. Reste qu’il sera dit qu’Israël a fait tirer sur un journaliste dans le but de l’assassiner. C’est écrit et c’est important. Même si la presse a observé le silence sur ce jugement.
Algérie54 : Vous avez affirmé que le gouvernement israélien a refusé de vous soigner. Pouvez-vous nous dire plus sur ce refus ?
Jacques-Marie Bourget : Il y a ici une logique, pourquoi Israël s’en viendrait soigner un individu qu’il a tenté de liquider. Blessé, j’ai été pris en charge par le Croissant Rouge Palestinien. A l’hôpital de Ramallah, peuplé de professionnels admirables même s’ils sont dotés de peu de moyens, les médecins ont pris contact avec l’interface israélienne afin que je sois soigné « de l’autre côté ». La réponse a été « non ». Les Palestiniens se sont donc mis au travail. Ils ont hélas l’habitude de traiter les blessures les plus graves. Et ils m’ont sauvé la vie. En France, à mon retour, les chirurgiens français ont été surpris de la qualité des soins appliqués à Ramallah.
Pour marquer l’entêtement mis par Israël pour avoir ma peau, il faut savoir que ses responsables, après mon opération, ont interdit mon transfert vers l’aéroport Ben Gourion où un avion sanitaire m’attendait. Il a été nécessaire que Jacques Chirac, alors président de la République, se mette en colère pour que mon ambulance (palestinienne) puisse se rendre jusqu’à l’avion.
Algérie54 : Vous n’avez jamais abandonné le combat judiciaire. Où en êtes-vous, avec vos poursuites à l’égard de l’État hébreu ?
Jacques-Marie Bourget : Je vous ai évoqué le refus d’Israël d’appliquer la convention d’entraide judiciaire signée entre Paris et Tel Aviv en 1958. Après quatre années d’attente, le juge d’instruction français n’a pas eu d’autre choix que de déclarer un « non-lieu ». Israël disparaissait ainsi du dossier. Mon seul recours pourrait être une plainte devant la Cour Pénale Internationale, pour « crime de guerre ». Mais c’est une démarche lourde longue et coûteuse. Sans soutien, c’est usant. Et aucun gouvernement français, n’a osé poser la question de cette tentative d’assassinat à un quelconque « responsable » israélien.
Algérie54 : A plusieurs reprises, vous avez critiqué l’ONG Reporters Sans Frontières (RSF), dénonçant son attitude dans votre cas. Qu’en est-il au juste ?
Jacques-Marie Bourget : Au début de mon drame, le patron de RSF était Robert Ménard. Un personnage peu recommandable dont je savais qu’il allait devenir ce qu’il est devenu, un agent de l’extrême droite. C’est un triste sire que j’ai très vite traité par le mépris et l’insulte. Ce Ménard, proche des trotskistes dans sa jeunesse, qui dans sa carrière de « journaliste », n’a écrit qu’un petit livre sur les vins du Midi était bien embarrassé par mon « cas ». En lisant le livre que Maxime Vivas a consacré à la face cachée de RSF, j’ai alors découvert la vraie nature des sponsors de RSF : l’argent venait essentiellement de Washington et de l’extrême droite cubaine réfugiée à Miami. Combattre un crime d’Israël n’entrait pas dans la feuille de route de RSF.
Cette « ONG » (sic) n’a donc rien fait pour me soutenir, elle a été créée pour des actions, « en creux », comme celle qui la concernait dans mon cas : provoquer l’étouffement. Ce n’est pas l’arrivée de Christophe Deloire, un nouveau Ménard à la tête de RSF, (« Robert » étant devenu maire de Béziers soutenu par l’extrême droite), qui allait changer un iota à la politique de cet outil de l’OTAN. Deloire via un « forum » sur la « liberté de la presse » (!) – colloque fantoche qui devait se tenir à cheval entre Libreville et le Maroc n’a pas hésité à solliciter l’argent de ces organisateurs, modèles de liberté. Puis il a obtenu une somme colossale via le Prix Dan David, le « Nobel israélien ». Hélas, ici, l’argent a été partagée avec le directeur de « l’université » fondée par Soros en Hongrie. La tête de la marionnette n’est plus la même, mais les yeux de Washington sont toujours derrière ses lunettes.
Il faut se souvenir le cas tragique de José Cuso, un confrère espagnol tué par les troupes américaines à Bagdad, la famille de la victime a exigé que RSF sorte de sa défense. Les affidés de Ménard jouant ouvertement la carte des EU.
Algérie54 : À la suite des dernières déclarations du président français Emmanuel Macron, les relations entre l’Algérie et la France sont au bord de la rupture. Que pense Jacques-Marie Bourget de cette histoire qui intervient dans un contexte marqué par un discours orienté vers la diabolisation des Maghrébins et des Africains ?
Jacques-Marie Bourget : Nous n’allons pas évoquer la perspective, qui ne sera jamais effective, de la signature d’un traité d’amitié entre l’Algérie et la France. En réalité la France ne s’est jamais remise de cette nouvelle guerre perdue entre 54 et 62 en Algérie. Puisque toutes ses guerres précédentes, depuis 1918, ont été des défaites, le départ d’Algérie a été le dernier clou dans un cercueil, celui de l’orgueil de l’armée française. Je prends un signe actuel qui peut vous sembler trivial ou hors de propos : que Karim Benzema n’ait pas joué en équipe de France pendant cinq ans, est la marque de cette histoire non liquidée. Le joueur barbu du Real, bien que né français à Lyon, est resté un symbole « algérien ».
Dans la tête d’un homme comme Macron, qui ignore tout ou presque de l’histoire et de la géopolitique (on respecte l’Algérie quand on entend combattre Daech en Afrique) et qui obéit aux consignes de ses amis, Zemmour y compris, un Russe ou un Chinois est forcément un ennemi avéré ou en puissance. Il en va de même d’un Algérien. Ainsi pour mieux l’apprécier dans sa complétude, il a été obligé d’offrir la nationalité française à Kamel Daoud, en dépit d’une condamnation pour avoir bousculé sa femme.
Quand on connait la catastrophe jadis provoquée en Algérie par les conseillers « Pablistes » de Ben Bella, on ne demande pas à Benjamin Stora, pied noir et vieux trotskiste, de produire un rapport sur les relations franco-algériennes ! Soit un coup d’épée dans la mer, soit une insulte.
Évidemment l’Algérie, laissée seule et diffamée en 1991 face aux djihadistes des « Années noires », avec le bobard de l’odieux « qui tue qui », a trop souvent donné des triques pour se faire battre. D’importants rouages de l’État, aussi bien civils que militaires, en établissant trop souvent leur népotisme ont affaibli le pays et donné prise aux critiques de la France. Même si la seule posture acceptable pour un ex-pays colonial, face au peuple qu’il a colonisé, est le silence.