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Iran : le feront-ils ?

Plus on s’approche de l’élection présidentielle américaine, et plus la lutte entre les deux options possibles en Iran (militaire et diplomatique) devient serrée.

Des officiels israéliens - comme récemment Ehoud Barak, ministre de la défense - disent que si l’Iran ne cède pas (sur la question de l’enrichissement de l’uranium), ils pourront employer tous les moyens, y compris la force (1).

Le président Sarkozy, lors du sommet de Damas, a été clair sur la détermination israélienne, en déclarant que « L’Iran prend un risque majeur à continuer le processus d’obtention du nucléaire militaire - ce qui est notre certitude - parce qu’un jour, quel que soit le gouvernement israélien, on peut se retrouver un matin avec Israël qui a frappé » (2)

La guerre de Géorgie a eu un effet : dévoiler un plan d’attaque israélien. Le journaliste d’investigation étasunien Brian Harring a révélé que les forces russes ont, lors de leur contre-offensive (après l’attaque meurtrière géorgienne en Ossétie du sud), saisi un document en hébreu, décrivant un scénario d’attaque de l’Iran par les forces aériennes israéliennes à partir de la Géorgie, ce qui aurait évité le survol - impossible pour eux - de l’Irak, et qui, de plus aurait réduit le trajet (1149 km au lieu de 1600 depuis Tel Aviv). Plus surprenant : le scénario prévoyait que les avions israéliens auraient reçu des emblèmes des USA, à la peinture à l’eau, pour le temps de l’opération... Un tel scénario correspond à un autre du même type, élaboré en 2006, avec l’accord de Bush. (3)

La récente aventure militaire ratée de l’armée géorgienne en Ossétie du Sud pourrait avoir une conséquence : les USA feraient peut-être eux mêmes le « travail », les conséquences politiques dans la région d’une action israélienne ne pouvant être que négatives. (4)

Toute action israélienne, actuellement, est bloquée : les Etats-Unis ont dès juin dernier, et à nouveau en août, dissuadé Israël d’attaquer l’Iran, estimant improbable qu’une telle opération soit couronnée de succès. (5)

Du côté des USA, même si l’opposition de l’Etat Major à une nouvelle aventure militaire au Proche Orient est connue, l’option militaire est toujours préparée. Il y a eu une manoeuvre navale massive sur le thème d’une action contre l’Iran, à partir du 21 juillet, impliquant 12 navires, dont 2 porte-avions US et un britannique, le sous-marin français Améthyste et une frégate brésilienne. (6)

Le Congrès (Chambre et Sénat) doit ce mois-ci discuter de résolutions invitant le président Bush à « augmenter immédiatement et considérablement » la pression sur l’Iran : par l’embargo sur les produits raffinés pétroliers (la capacité de raffinage de l’Iran ne couvre pas ses besoins en essence, et il doit en importer), et par l’embargo sur les opérations bancaires.(7) L’adoption en procédure accélérée (sans débat) de cette résolution avait été contrée par l’action des pacifistes,(8) mais pourront-ils parvenir à obtenir son rejet ? Les Républicains et les Démocrates cherchant l’un et l’autre à afficher une opposition à l’Iran sans faille, c’est peu probable. L’adoption de ce texte serait un acte de guerre, car qui dit embargo dit blocus et contrôle des navires. Et celui-ci peut être l’occasion d’un incident (réel ou simulé) justifiant ensuite une attaque en règle - des scénarios de ce type existent -.

L’autre option c’est évidemment la diplomatie et la négociation. C’est elle qui est officiellement privilégiée, c’est en leur nom que l’action israélienne a été refusée par les autorité étasuniennes, c’est en son nom que Javier Solana a déclaré que pour l’Europe il n’y avait « pas d’autre voie » que la diplomatie.(9)

C’est d’ailleurs dans ce cadre que pour la première fois, le numéro trois du département d’Etat, William Burns, assiste aux négociations entre l’Union Européenne et l’Iran, sans en principe y prendre part.(10)

Parallèlement, les Etats-Unis font miroiter à l’Iran la possibilité d’une reprise des relations, avec l’ouverture prochaine d’une délégation commerciale à Téhéran, ouverture attendue par la nouvelle couche d’entrepreneurs iraniens, et par le million d’iraniens vivant aux USA et leur famille.

Le problème dans ces négociations... c’est que pour les USA, il n’y a pas à négocier sur la question du droit pour l’Iran de procéder à l’enrichissement de l’uranium : les USA considèrent que ce processus est destiné forcément à produire des armes nucléaires. Alors que pour l’Iran, c’est un droit, dans le cadre du nucléaire civil, droit d’ailleurs reconnu par le traité de non-prolifération nucléaire, dont l’Iran est signataire.

La participation des Etats Unis à des négociations sur de telles bases n’est-elle pas une manoeuvre pour rendre ensuite la guerre légitime, en disant « vous voyez bien, on a essayé » ? Que se passera-t-il demain si la résolution sur l’embargo était votée ? Il paraît clair qu’une attaque de l’Iran serait une catastrophe, pour l’Iran d’abord mais aussi pour Israël et les USA, car l’Iran, comme le Hezbollah au Liban, peut se défendre.

En fait il y a dialogue de sourds car il y a un volontaire travestissement par les puissances occidentales de la position iranienne - droit inaliénable à l’enrichissement pour le nucléaire civil, pas de nucléaire militaire -. Si les vrais enjeux de cette crise étaient mis sur la table, et connus de tous, elle ne se poserait même pas. Le problème est qu’on est ni aux USA, ni en Israël, ni bientôt chez nous, dans cette situation : les médias sont influencés par le pouvoir et les lobbies, et ceux-ci peuvent y faire passer les mensonges qu’ils veulent, sans réelle réaction. C’est ce qui s’est passé lors du déclenchement de la guerre en Irak, avec les affirmations fausses sur les armes de destruction massives, ou sur les liens entre l’Irak et Al Quaïda. C’est ce qui se passe quotidiennement aux USA sur la chaîne « Fox News », c’est ce qui se passe, en Occident, sur le problème du nucléaire iranien, où tous répètent que ce pays veut se doter de l’arme nucléaire, alors que les autorités iraniennes réaffirment régulièrement non seulement que le nucléaire militaire n’est pas une option pour eux, mais aussi leur accord pour des contrôles et leur souhait d’un processus de désarmement (11). Ce dernier mot serait-il devenu tellement tabou dans notre démocratie soit disant modèle que personne n’en parle ?

Par contre, le guide de la Révolution - autorité suprême en Iran - a été clair sur le fait que l’Iran ne renoncerait pas au droit à produire lui même son combustible nucléaire (donc à enrichir l’uranium).

En fait, pour l’Iran, ce dont il s’agit, c’est du droit à se faire reconnaître comme une puissance régionale, comme son développement économique, son haut niveau d’éducation (un des succès de la révolution islamique, y compris pour les femmes) l’y autoriseraient.

La manipulation des esprits devient la règle dans nos pays et la démocratie n’y devient de plus en plus qu’une façade, ou un instrument politique lorsqu’il s’agit de l’exiger des autres pays. Les puissances économiques et politiques exercent un véritable « psychopouvoir » (12), à coups de simplifications, de mensonges délibérés, couverts par l’ensemble de la classe politique. Et il devient honteux ou déviant de s’y opposer, comme cela a été le cas aux USA après le 11 septembre, où les avis divergents à la « guerre contre le terrorisme » étaient assimilés à de la trahison.

Les dirigeants peuvent ainsi se permettre de conduire leurs citoyens dans des guerres basées sur le mensonge, comme cela a été le cas en Irak.

La démarche courageuse du procureur Vincent Bugliosi aux USA, qui a publié un livre proposant de mettre en examen Georges W. Bush pour meurtre (de 100.000 irakiens et de 4.000 soldats américains) après la fin de son mandat, est une tentative pour mettre devant ses responsabilités celui qui a mené son pays et l’Irak au désastre, en mettant à jour le fait que des mensonges ont été employés sciemment par l’administration étasunienne pour justifier la guerre. (13) Espérons qu’elle pourra être menée à bien, car si le XX° siècle a connu sa manipulation de masse des esprits avec le nazisme, la période récente l’a aussi connu d’une autre manière dans la démocratie dévoyée qui est celle des USA, et aussi de plus en plus la nôtre, qui veut s’en faire le reflet.

Comment évoluera le rapport de force ?

Les pacifistes américains ont manifesté à New York et dans d’autres villes le 2 août dernier. Le tract d’appel disait « une attaque [de l’Iran] peut être imminente, on ne peut pas se permettre d’attendre » (14) Cent quinze pays non-alignés ont affirmé le droit de l’Iran à se doter du nucléaire civil. (15)

Aux USA, de nombreuses voix, y compris celles d’anciens responsables conservateurs, s’élèvent contre ce qui serait une aventure stupide.

Mais la croyance des dirigeants actuels en leur toute puissance, leur illusion de maîtriser l’opinion publique - ce qu’ils ont déjà fait dans le passé - va-t-elle les aveugler au point de leur laisser faire l’irréparable ?

Le profond mépris de l’être humain que cette attitude dénote (que ce soit le mépris de leurs compatriotes ou celui de leurs ennemis, que l’on estime pouvoir tromper et manipuler) montre combien ils en sont restés à de vieilles manières de penser, qui ne peuvent être celles du monde multipolaire de demain, où il faut espérer que chacun apprendra à avoir le respect de ses partenaires et de la considération pour eux. Il n’y a pas d’autre voie pour résoudre la crise iranienne, et au-delà pour construire l’avenir du monde.

L’intervention des peuples et des forces de progrès sera nécessaire dans cette crise, d’abord pour prévenir ou arrêter la folie destructrice, ensuite, pour rebondir en avançant vers d’autres formes de relations internationales pour la résolution des conflits, et, bannissant l’horreur de la guerre, en progressant enfin vers le désarmement.

Daniel Hofnung

http://www.golias.fr/spip.php?article2347


(1) Le Monde 19/06/08 et RIA Novosti 26/08/08
http://www.campaigniran.org/casmii/index.php?q=node/6150

(2) AFP 4/09/08, cité dans
http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2...

(3) http://www.planetenonviolence.org/I...

(4) la surprise de septembre, Justin Raimondo
http://www.campaigniran.org/casmii/index.php?q=node/6258

(5) Le Monde 15/08/08

(6) Les risques d’une attaque américaine contre l’Iran (22/08/08) Michaël Lessard (Le Devoir)
http://www.campaigniran.org/casmii/index.php?q=node/6133

(7) Congress is about to pour lighter fluid on Iran (4/09/08) William Beeman (source : Minneapolis Star-Tribune)
http://www.campaigniran.org/casmii/index.php?q=node/6223

(8) Anti-War Movement Successfully Pushes Back Against Military Confrontation With Iran
Mark Weisbrot (24/07/08)
http://www.campaigniran.org/casmii/index.php?q=node/5767

(9) Military strike not an option on Iran, EU ministers say (24/07/08) Leigh Phillips (source : EU Observer)
http://www.campaigniran.org/casmii/index.php?q=node/5768

(10) L’administration Bush change de stratégie sur l’Iran - Le Monde 18/07/08

(11) Téhéran ne souhaite pas se doter de l’arme atomique (porte-parole) RIA Novosti 5/09/08
http://www.campaigniran.org/casmii/index.php?q=node/6244

Propositions Iraniennes Pour Des Négociations Constructives
http://www.planetenonviolence.org/P...

(12) voir à ce sujet « économie de l’hypermatériel et psychopouvoir » Bernard Stiegler - Mille et Une Nuits (2008)

(13) La mise en examen de George W. Bush pour meurtre - COLLINS Michael
http://www.legrandsoir.info/spip.php?article7037 Le procureur Vincent Bugliosi précise cependant qu’aucun texte de loi aux USA ne permettant de poursuivre pour les morts irakiens, la mise en accusation ne concernerait hélas que les morts étasuniens.

(14) http://stopwaroniran.org/aug2.shtml

(15) http://www.campaigniran.org/casmii/index.php?q=node/6130

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