RSS SyndicationTwitterFacebookFeedBurnerNetVibes
Rechercher

Invitée à un colloque, elle atterrit en centre de rétention, par Eric Favereau.








Une Malienne, médecin et spécialiste du sida, a subi trente heures d’arrestation alors qu’elle arrivait à Paris pour une rencontre scientifique.


Libération, vendredi 4 mai 2007.


C’est la chronique peu ordinaire d’une passagère africaine arrivant à l’aéroport de Roissy. Et embarquée, alors que tout est en règle, dans un épisode digne de Kafka. « C’est terrifiant de ce que cela peut révéler. » Tant Bernard Kouchner, ex-ministre, que Gilles Brücker, directeur de l’Institut de veille sanitaire et fondateur de l’association Solthis, ou Christine Katlama, professeure, spécialiste des maladies infectieuses, se disent abasourdis par ce témoignage. Au point de s’associer pour réagir.

Au départ, voilà une jeune femme présentant parfaitement bien : médecin, spécialiste du sida au Mali. Le mois dernier, elle est invitée, comme cela lui arrive souvent, à participer à un colloque scientifique sur le sida, à Paris, présidé par Christine Katlama. Il s’agit d’une rencontre très officielle puisque, en ouverture de ladite conférence, a été lu un message de bienvenue de Jacques Chirac. « Le 29 mars 2007, raconte ce médecin [1], j’atterris à 6 h 20 à l’aéroport de Roissy-Charles de Gaulle. Au poste de contrôle de police, je suis arrêtée par un policier, sans aucun motif. Il m’amène dans un petit bureau où se trouvent d’autres policiers et des passagers. Il me fait attendre pendant trois heures. Sans un mot. Deux jeunes policières me fouillent ensuite dans les toilettes et, sans explication, me prennent tous mes papiers. Je leur explique, pourtant, le motif de mon voyage, mais elles ne me répondent pas. »

Ensuite ? « Un autre policier m’ordonne de signer des papiers sur lesquels est écrit : "Refus d’entrée". » La raison ? « Il me dit que ma date de retour dépasse celle du séjour qui figure sur le visa, et que je ne suis pas inscrite pour la prétendue conférence. Je leur explique que dans mon pays, le Mali, il faut présenter un billet d’avion de retour au consulat de France pour obtenir un visa d’entrée, que la Société Bristol-Myers Squibb, qui a pris mon billet, l’a laissé ouvert jusqu’à un mois, et que, lorsque j’ai obtenu un visa de sept jours, j’ai raccourci mon séjour en France, et qu’enfin, les inscriptions définitives à la conférence se font sur place. » Bref, tout est clair et il n’y a aucune embrouille. « Mais ils n’ont rien voulu comprendre, ils m’ont enfermée dans une petite pièce. On ne pouvait pas se tenir assis, et on m’a dit que je prendrai le vol Air France du même après-midi sur Bamako... J’ai dit aux policiers que j’avais de la famille à Paris. Ils m’ont transférée au centre de rétention de l’aéroport, où je suis restée quatre heures, sans accès à une chambre. Dans l’après-midi, trois policiers sont venus me chercher, m’ont ramenée à l’aéroport pour l’embarquement. Arrivée au contrôle de police des frontières, j’ai cherché à voir un officier de police. Par chance, l’un d’eux s’est arrêté pour écouter mon histoire, et m’a donné raison. Il m’a dit de ne pas embarquer. Il a ordonné aux policiers de mettre un téléphone à ma disposition pour appeler ma famille à Paris et en Afrique. »

La mésaventure ne s’arrête pas là . « J’ai pu appeler mon mari, qui a ensuite avisé sa soeur puis notre beau-frère à Paris. Ils sont immédiatement venus à l’aéroport. » Mais ces derniers n’ont pu la rencontrer, l’heure des visites étant dépassée. « Le lendemain matin, mon beau-frère et ma belle-soeur se sont présentés au centre de rétention pour me faire sortir. On nous a fait savoir que mes papiers étaient restés à l’aéroport et qu’il n’y avait au centre aucun officier disponible pour prendre une décision. Après deux heures d’attente, un officier s’est présenté à nous. Mon beau-frère, avec ses décorations de Légion d’honneur et du mérite, s’est porté garant et a demandé au comité d’organisation de la conférence de faxer à la police une copie de mon inscription... C’est comme cela que j’ai retrouvé ma liberté, après plus de trente heures de rétention. » Un détail, encore : « Les policiers qui m’ont reconduite du centre de rétention au poste de police du terminal, visiblement déçus de me voir revenir pour une libération et pas pour un rembarquement, ont conspué leurs collègues du centre de rétention, accusés de faiblesse. »

Une bévue ? Une pratique bureaucratique courante ? Un zèle déplacé ? « Il n’y a pas mort d’homme, ni violence, mais c’est ahurissant, réagit avec force Bernard Kouchner. Pour un témoignage ainsi recueilli, combien d’autres jamais révélés ? » Et pour ces trois médecins, une interrogation nouvelle : « Peut-on, aujourd’hui, continuer à inviter nos collègues médecins africains à des échanges scientifiques à Paris si nous les exposons à trente heures de rétention, à des mesures d’expulsion, à des humiliations de toutes sortes ? »

Eric Favereau


- Source Libération www.liberation.fr









- Dessin : Alex Falco Chang


[1Elle préfère ne pas être identifiée.


URL de cet article 5010
  
AGENDA

RIEN A SIGNALER

Le calme règne en ce moment
sur le front du Grand Soir.

Pour créer une agitation
CLIQUEZ-ICI

Même Thème
Histoire de ta bêtise
François Bégaudeau
PREFACE D’abord comme il se doit j’ai pensé à ma gueule. Quand en novembre les Gilets jaunes sont apparus pile au moment où Histoire de ta bêtise venait de partir à l’imprimerie, j’ai d’abord craint pour le livre. J’ai croisé deux fois les doigts : une première fois pour que ce mouvement capote vite et ne change rien à la carte politique que le livre parcourt ; une second fois pour que, tant qu’à durer, il n’aille pas jusqu’à dégager Macron et sa garde macronienne. Pas avant le 23 janvier 2019, date de (...)
Agrandir | voir bibliographie

 

"L’Occident a dominé le monde non pas par la supériorité de ses idées, de ses valeurs ou de sa religion mais par sa supériorité à recourir méthodiquement à la violence. Les occidentaux l’oublient souvent, les autres ne l’oublient jamais."

Samuel P. Huntington

Appel de Paris pour Julian Assange
Julian Assange est un journaliste australien en prison. En prison pour avoir rempli sa mission de journaliste. Julian Assange a fondé WikiLeaks en 2006 pour permettre à des lanceurs d’alerte de faire fuiter des documents d’intérêt public. C’est ainsi qu’en 2010, grâce à la lanceuse d’alerte Chelsea Manning, WikiLeaks a fait œuvre de journalisme, notamment en fournissant des preuves de crimes de guerre commis par l’armée américaine en Irak et en Afghanistan. Les médias du monde entier ont utilisé ces (...)
17 
Hier, j’ai surpris France Télécom semant des graines de suicide.
Didier Lombard, ex-PDG de FT, a été mis en examen pour harcèlement moral dans l’enquête sur la vague de suicides dans son entreprise. C’est le moment de republier sur le sujet un article du Grand Soir datant de 2009 et toujours d’actualité. Les suicides à France Télécom ne sont pas une mode qui déferle, mais une éclosion de graines empoisonnées, semées depuis des décennies. Dans les années 80/90, j’étais ergonome dans une grande direction de France Télécom délocalisée de Paris à Blagnac, près de Toulouse. (...)
69 
"Un système meurtrier est en train de se créer sous nos yeux" (Republik)
Une allégation de viol inventée et des preuves fabriquées en Suède, la pression du Royaume-Uni pour ne pas abandonner l’affaire, un juge partial, la détention dans une prison de sécurité maximale, la torture psychologique - et bientôt l’extradition vers les États-Unis, où il pourrait être condamné à 175 ans de prison pour avoir dénoncé des crimes de guerre. Pour la première fois, le rapporteur spécial des Nations unies sur la torture, Nils Melzer, parle en détail des conclusions explosives de son enquête sur (...)
11 
Vos dons sont vitaux pour soutenir notre combat contre cette attaque ainsi que les autres formes de censures, pour les projets de Wikileaks, l'équipe, les serveurs, et les infrastructures de protection. Nous sommes entièrement soutenus par le grand public.
CLIQUEZ ICI
© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.