Les entreprises croulent sous les charges, les gens sont bombardés d’impôts et de prélèvements, l’État leur pompe tout ce qu’ils gagnent. Le pouvoir d’achat baisse ainsi que se freine la croissance économique, la dette publique devient insoutenable et donc l’État ne peut plus s’occuper du secteur public. Il doit faire face à une crise de la dette, et doit geler ses dépenses publiques. Il faut que cela change, et il revient à chaque citoyen de se serrer la ceinture pour sortir de la crise. La solution est de rembourser la dette et de réduire le volume des dépenses publiques. Dans les discours politiques, c’est la « règle d’or » gouvernementale que l’on esgourde quand les citoyens commencent à comprendre le pot-aux-roses (1).
Outre le discours simpliste qui vise à adapter les orientations idéologiques de la politique économique en la réduisant à l’adage ’politiques, gaute et droiche tous pourris’, ou ’l’impôt sert à déshabiller Pierre pour habiller Paul’, cet article voudrait montrer à quel point le système fiscal actuellement en vigueur est injustement en train de poindre vers la privatisation de l’État au profit des riches. La situation est internationale et décomplexée : les riches, censés payer plus d’impôts que les moins riches, parviennent à contribuer moins que les autres. L’impôt est alors délégitimé, car il n’est plus redistributif, progressif (notamment l’impôt sur le revenu), il charge les ménages modestes. Les agents économiques favorisés bénéficient des mesures dérogatoires d’allègement d’impôts pendant que les « petits » n’ont pas les moyens de souscrire un contrat auprès d’un cabinet de conseil financier pour diminuer leur taux d’imposition. Les « niches fiscales » (que N. Sarkozy et F. Fillon prétendent vouloir combattre) ne bénéficient alors qu’à ceux qui ont des hauts revenus.
Il est récurrent d’entendre que la France est une bureaucratie lourde gangrénée par des prélèvements obligatoires qui coulent le portefeuille des contribuables comme une encre tombe en chute libre au fond de l’océan. Pire, nous serions dans une fonction dérivée d’un soviétisme adapté au marché, comme si les gouvernements se succédant étaient victimes de ceux du passé. Victimes d’un pseudo gaullisme social qui aurait marqué la France au fer rouge d’un simulacre de politiques sociales écrasantes, inopérantes, inflationnistes et économiquement peu attractives.
L’impôt est pourtant à la base du fonctionnement d’un État démocratique, car il permet de financer l’économie nationale, les services publics et d’opérer une redistribution des richesses pour freiner les inégalités. Le prélèvement est dit « obligatoire », puisque s’il était facultatif, nombre de contribuables ne paieraient pas et cela aggraverait les comportements individualistes. Parallèlement, impôts et prélèvements obligatoires sont ceux qui permettent de financer l’action publique. Or depuis les années 1990, le vent est à la baisse des impôts : chacun veut bénéficier de services publics de qualité mais chacun reproduit électoralement la légitimité du discours néolibéral qui individualise les comportements, favorise les exonérations fiscales, et donc réduit l’action publique.
Pour un gouvernement, l’impôt progressif ou proportionnel, direct ou indirect, est la résultante idéologique des choix de société. En effet, depuis environ une quinzaine d’années, le système fiscal est devenu un enjeu politique majeur aux abords des joutes électorales, en même temps qu’il se transformait structurellement en passoire géante faisant glisser dans les profits du secteur privé des milliards de deniers publics nécessaires à l’État pour financer l’économie nationale et les services publics.
Or le meilleur instrument pour redynamiser la croissance économique, (afin de permettre une juste répartition des richesses), est d’augmenter les dépenses publiques, avec un système fiscal équitable pour éviter la concentration du capital. En période de crise, l’économie dite déprimée ralentit l’emploi et l’investissement. L’État-Providence se doit alors de venir en aide aux plus démunis (allocations chômage, RSA, allocations familiales, etc.). Certes il le fait, mais l’aide allouée aux « pauvres » n’est qu’une miette de pain au regard du manque à gagner crée par les hauts revenus. Lorsque l’État prend en charge la gestion des besoins sociaux, des entreprises de service public et des banques, il peut se permettre de vendre un service moins onéreux qu’une entreprise privée, puisque la logique de l’État n’est pas le profit. En résultante, l’usager finance par l’impôt les services publics que l’État lui met à disposition.
Au lieu de cela, l’assiette fiscale de l’État se réduit et repose de plus en plus sur les ménages les plus modestes. Le gouvernement fait porter sur la population le prix d’une crise que les banques ont générées, et il se félicite de laisser des milliers de jeunes diplômés au chômage sans renouveler un fonctionnaire sur deux. Il précarise l’emploi public, et incite les plus riches à défiscaliser, de sorte que nombre de contribuables reçoivent un chèque du Trésor Public à parfois six chiffres chaque année : « En 2009, 979 contribuables au patrimoine supérieur à 16 millions d’euros ont ainsi reçu en moyenne 376 134 euros, soit 30 ans de SMIC… » (2). Certes, le bouclier fiscal (la loi Travail, Emploi, Pouvoir d’Achat) a été supprimé, le gouvernement met des pansements sur les jambes de bois en annonçant une taxation des transactions financières (européennes et non mondiales) et une lutte contre les niches fiscales. Mais dans le même temps, l’impôt sur la fortune est supprimé, et les mesures dérogatoires qui permettent de réduire l’impôt sur le revenu et sur les sociétés persistent. De plus, les gouvernements préconisent souvent une hausse de la TVA et des prélèvements indirects à la consommation (taxe sur le pétrole, sur l’alcool, le tabac).
Les impôts, quels sont-ils ?
Il existe plusieurs formes d’impôts. Je ne les citerai pas tous, mais je parlerai de ceux qui pèsent le plus dans l’économie nationale. Les impôts directs se distinguent des indirects. L’impôt indirect, comme par exemple la TVA, ne tient pas compte des différences de revenus : pour un même produit, il prélève le même montant à tous les consommateurs. A l’inverse, une taxe comme l’impôt sur le revenu est directe, elle « s’adresse » directement à celui qui paye, varie selon les revenus, et est, en théorie, progressive : plus on gagne d’argent, plus on est censé payer de l’impôt sur le revenu.
Voyons les impôts indirects. Ce type d’impôt est indirect car la personne qui le paye à l’État répercute le montant de l’impôt sur le prix de vente au consommateur ou à l’usager. De ce fait, un môme de dix ans qui dépense son argent de poche en bonbons, est un contribuable, et paye la TVA que le Trésor Public collecte auprès de l’artisan boulanger. Cet impôt indirect à la consommation constitue 50% des recettes fiscales de l’État. Prélevée sans distinction, la TVA ne connaît pas les différences de revenus : elle ne connaît pas les classes sociales, et prélève le même montant à un pauvre ou à un riche qui achètent le même produit. Elle pèse donc plus lourdement sur le budget des ménages précaires (les revenus aisés, eux, ont la possibilité d’épargner après collecte de la TVA par l’État). En 2005, « les 10% des ménages disposant des revenus les plus faibles consacrent 8.1% de leur revenu au paiement de la TVA pendant que les 10% des ménages disposant des revenus les plus élevés ne consacrent que 3.4% de leur revenu à la TVA » (3).En clair, plus le revenu augmente, plus la part dépensée à la consommation diminue.
Les droits d’accise sont des impôts indirects, perçus sur la consommation par les services de douanes. On distingue la taxe intérieure sur les produits pétroliers (TIPP) ou les taxes sur le tabac et les alcools. La TIPP est un impôt indirect qui représente 7% des recettes fiscales de l’État (4).
Pour ce qui concerne les impôts directs, le plus connu est l’impôt sur le revenu : c’est un impôt direct prélevé en fonction de la tranche du salaire des contribuables. Il est souvent présenté comme le plus contraignant, or il ne représente même pas 20% des recettes de l’État (5). En principe, plus on gagne d’argent, plus on paye d’impôt sur le revenu. Son principe est la progressivité, et permet la redistribution des richesses. Sauf que depuis les années 2000, cet impôt a vu le passage de sept à cinq tranches de revenus, F. Fillon proposait même de limiter cette taxe du revenu à trois tranches seulement ! Vu que tous les contribuables n’ont évidemment pas le même salaire, ce sont donc les hauts revenus qui bénéficient le plus des baisses de l’impôt sur le revenu, d’autant qu’ils peuvent ensuite thésauriser une partie de leurs déductions fiscales. En tout état de cause, selon Attac, si l’impôt sur le revenu était calculé selon le barème de 1999, le manque à gagner de l’État serait de quinze milliards d’euros rien que pour l’année 2006, et les sommes exonérées s’accumulent d’année en année. En définitive sur tous les impôts confondus, les niches fiscales (déductions, réductions, exonérations, crédits d’impôt) représentaient une « perte » de 75 milliards d’euros en 2010 (6).
Le second impôt majoritairement connu en France est l’impôt sur le bénéfice des sociétés (IS), et représente 16% des recettes fiscales nettes de l’État. Il est direct, mais non progressif, en ce qu’il comporte des taux fixes : un taux est fixé à 15% pour les PME et les SARL. La majorité des autres sociétés payent un taux de 33.3% sur l’excédent brut d’exploitation des sociétés. Mais il est amené à être réduit dans le cadre de la politique d’harmonisation fiscale des institutions communautaires, qui sous l’effet de la concurrence fiscale et sociale, entraîne des stratégies de prédation pour faire payer aux modestes contribuables les effets des allégements fiscaux des « bases immobiles » (gros épargnants, multinationales…). Les mesures dérogatoires de l’impôt sur les sociétés s’élevaient, en 2007, à un coût budgétaire de 27 milliards d’euros. Partout en Europe, cet impôt baisse structurellement depuis vingt ans. Celles-ci concernent les grandes entreprises qui, au courant du fait, ayant les capacités de financement, délocalisent vers des pays à fiscalité plus attractive (profitable). En dépit/vertu de ces mesures, plus la taille de l’entreprise croît, plus le taux implicite d’imposition se réduit de 28% (entreprises individuelles) à 13% (entreprises de plus de 2000 salariés), à 8% (pour les entreprises du CAC40).
En clair, l’impôt devient proportionnel, moins redistributif, indirect et injustement constitué. Qui plus est, avec la suppression de la première tranche de l’impôt de solidarité sur la fortune en 2011, 300 000 personnes vont ainsi être exemptées de l’ISF (7). Mais un manque à gagner plus lourd a concerné les collectivités territoriales, lorsque le gouvernement a supprimé la taxe professionnelle : au profit des collectivités, cet impôt était payé par les entreprises, et rapportait aux premières 50% de leurs recettes fiscales. Cette mesure a donc entraîné pour les entreprises un allègement de 12.3 milliards d’euros l’an passé (toujours selon Attac). La contrepartie ? Une hausse des impôts locaux des ménages (taxe d’habitation, taxe foncière) du chômage et de la précarité.
Si l’on considère, tableau du budget de l’État en 2008 à l’appui (8), la somme des recettes fiscales indirectes, nous avons : TVA : 135 milliards d’euros, TIPP : 16.5 milliards d’euros. Cela représente 151.5 milliards d’euros perçus à titre d’impôt indirect. En revanche, l’impôt sur le revenu a rapporté 60.5 milliards, et l’impôt sur les sociétés, 54 milliards d’euros. L’impôt sur la fortune, quant à lui, représentait 5.5 milliards d’euros. Soit, une somme de 120 milliards d’impôts directs, correspondant à une part de 44.1% des recettes fiscales de l’État en 2008. Comment le déficit public, si cher à nos gouvernants et journalistes, peut-il être réduit si l’État se finance par l’emprunt sur les marchés financiers et sur l’impôt indirect à la consommation des ménages durement frappés par la précarité et la crise économique ? La stratégie est-elle de décrédibiliser le système fiscal progressif en faisant passer l’idée collective que l’État coûte trop cher et qu’il faut privatiser en masse, ou plutôt est-elle de combattre les requins de la finance qui ne payent plus leurs impôts correctement ? La réponse est en première partie de la question…
En fait, si l’on tient compte de l’évolution des impôts directs ci-dessous, il est clair que la stratégie qui prédominait jusqu’alors consistait à réduire les impôts directs (Impôt sur le revenu des personnes physiques, sur les bénéfices des sociétés, sur la fortune et le patrimoine) et le coût du travail, pour parallèlement se financer par une hausse des impôts indirects (TVA, TIPP, etc.). Selon les tenants de la politique fiscale néolibérale actuellement à l’ouvrage, ce sont les impôts indirects qui permettraient de mieux financer la Sécurité Sociale. Forcément, une hausse de l’impôt indirect met le peuple à l’amende sur sa consommation, et une baisse structurelle de l’impôt direct augmente la capacité financière des franges très aisées (épargnants, gros actionnaires, grosses entreprises qui défiscalisent).
Depuis 2002, l’orientation de la politique économique néolibérale des gouvernements successifs (ne pas taxer les profits et permettre des niches fiscales pour conserver l’électorat) pousse l’État à emprunter des milliards d’euros par an pour financer l’économie nationale. Cela signifie que l’État ne se finance plus directement en imposant les plus riches contribuables, mais via l’emprunt sur les marchés financiers, et sur la consommation des contribuables moyens, nommés « bases immobiles » (ménages modestes, qui subissent une fiscalité indirecte contraignante et les privatisations). Ainsi, l’État gonfle son déficit et sa dette publique, et ne peut plus faire jouer le fameux effet multiplicateur keynésien (la hausse des dépenses publiques servirait à réinjecter massivement les fonds dans l’économie réelle, si ceux-ci ne sont pas épargnés. La hausse des dépenses implique donc une hausse significative de la demande). Il ne fait plus d’effet de relance de la consommation par la demande globale, ce qui incite les entreprises à substituer du capital au travail, surtout si les taux d’intérêts sont élevés. La souveraineté de l’État devient donc la propriété des créanciers financiers. Autrement dit, ce sont les marchés financiers étrangers de la zone euro qui détiennent les dettes publiques. Ces dettes souffrent aussi de manques à gagner colossaux en raison du placement par les multinationales de bénéfices bruts vers les paradis fiscaux au lieu d’être soumis à l’impôt sur les sociétés.
Finalement, la solution n’est pas du côté de la réduction des dépenses publiques, ni du côté de la règle d’or proposée par les grands coqs de l’Europe mortifère (France-Allemagne), si tant est que cette règle puisse tenir compte des différentes spécificités nationales et des diverses assiettes fiscales… Car grossièrement, ce sont encore les pauvres qui vont payer pour rééquilibrer les finances déstabilisées par les riches. On avait déjà vu cela lorsque le peuple devait porter le poids du refinancement gratuit des banques par les États… On entend que les impôts sont liberticides, pompent les travailleurs comme une sangsue suce le sang d’une proie, mais, à moins que les peuples indignés ne s’organisent mondialement en autogestion socialiste, l’impôt direct et progressif, est le prix du tandem égalité-liberté d’accès aux services publics.
En conclusion, si la politique fiscale de l’État continue à favoriser les classes sociales les plus riches par l’entremise des niches fiscales et des défiscalisations outrancières, c’est que cela constitue un argument de taille : dire que la dette publique augmente, que les recettes fiscales diminuent sans en expliquer la cause, permet de délégitimer la gestion des entreprises de première nécessité (éducation, santé, transports, etc.) par l’État, de privatiser, en somme. Cela permet aussi de conserver un électorat de riches qui oeuvreront au service des riches. Le gouvernement des riches, pour les riches et par les riches : chic, les néolibéraux ont réinventé la démocratie.
Samuel Moleaud
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