Il y en a un qui se laisse oublier dans les évènements sanglants actuels : le peuple. Et c’est très bien pour lui. Et s’il y a une leçon à tirer des péripéties qui retournent l’ Égypte c’est bien celle, très ancienne, que les mouvements de fond se laissent difficilement prévoir.
Avant la chute de Moubarak, les Frères musulmans et l’armée marchaient de concert.
Les premiers laissaient l’armée disposer des principaux leviers économiques en partenariat avec les investisseurs étrangers, occidentaux en tête. Pendant que les intégristes avaient largement le champ libre pour faire main basse sur l’aide sociale, étendant un réseau de proximité qui avait le double avantage pour les militaires d’éviter l’émergence
d’une opposition politique et laïque au pouvoir en place.
L’équilibre a été rompu par l’intervention massive du peuple en janvier 2011, ce qui a provoqué la mise hors jeu de Moubarak, temporairement la mise sur la touche de l’armée, et corrélativement l’élection d’un Morsi peu représentatif, 20% du corps électoral.
Au pouvoir, les Frères musulmans jetaient bas le masque et engageaient le pays dans la voie d’un glissement autoritaire vers l’instauration d’un État islamique. Cependant qu’aucune des raisons, sociales et économiques, qui avaient poussé le peuple à agir en 2011 ne trouvaient de solution.
Dans ces conditions, le mouvement Rébellion (Tamarroud) se voyait soutenu dans son ultimatum lancé à Morsi fin juin par les 22 millions de signataires de sa pétition, par les énormes manifestations du 30 juin et au bout du compte relayé, mais pour d’autres motifs, par les militaires qui destituaient Morsi le 3 juillet.
L’irruption
de l’armée pour mettre un terme à l’établissement d’un régime islamique et anti-populaire a été vécue par la population comme un soulagement et une réponse provisoire à cet appel populaire et massif. D’autre part le soutien des principaux chefs religieux musulmans et coptes du Caire a participé à sa légitimation, tout comme la mise en place d’un gouvernement civil et la promesse d’élections d’ici à 2014.
En résumé
Pendant très longtemps l’armée aux commandes et les Frères en arrière-plan ont vécu dans une coexistence pacifique pour dévoyer et étouffer les aspirations des masses.
Puis renversement des rôles, avec des Frères qui ne parviennent pas en un si bref délai (2 ans) à noyauter la troupe pour paralyser l’action de dirigeants militaires qui sentaient le vent venir.
Enfin, mais ce n’est pas fini, nouveau retournement et répression sanglante du mouvement islamiste qui n’a pas su, ayant accédé au pouvoir et s’étant révélé pour ce qu’il était : extrémiste, temporiser pour reprendre son travail de sape.
Cependant que se formait une coalition qui représente massivement la classe moyenne, les syndicats ouvriers et toutes les forces de la société civile à tendance laïque.
S’il ne s’agit pas ici d’idéaliser l’homogénéité de cette coalition sur le plan politique : il y a dans Tamarroud des sensibilités très différentes, des libéraux et néo-libéraux, des nationalistes nassériens, et des tendances socialisantes en économie représentées par des groupes révolutionnaires minoritaires, il n’en demeure pas moins que l’avenir de la révolution dépend pour une large part du maintien de sa cohésion.
Sans oublier le rôle qu’a joué dans cette histoire le FMI dont les dogmes ont alimenté les révoltes de la faim, sans oublier non plus l’hostilité profonde des Égyptiens à l’égard de la politique israélo-américaine, ce que l’on observe c’est que des deux anciens complices dans le maintien de l’ordre oppressif, l’un est en train d’étriper l’autre, sous le regard des Occidentaux qui ne savent plus très bien comment garder un semblant de main sur l’Égypte.
Toutes les révolutions ne sont pas victorieuses, mais s’il y en a une qui mérite d’aller heureusement à son terme et de reprendre la ligne inaugurée pour l’ensemble des pays arabes par Gamal Abdel Nasser, c’est bien celle de l’Égypte d’aujourd’hui.
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