Dans une recension de son précédent roman « Les ombres du souvenir » j’écrivais (pardon de me citer) : « La palette est multicolore, que Roger Martin caresse de son pinceau pour faire jaillir de la page blanche romans, polars, essais, enquêtes, biographies. Plus un roman jeunesse et de la BD (l’excellente série AmeriKKKa). Et sur LGS nous n’oublierons pas son « Dictionnaire iconoclaste des Etats-Unis » où perce son amour pour ce pays et sa détestation de ceux qui le pilotent comme un B 52 ».
Dans « Il est des morts qu’il faut qu’on tue » (le titre est un vers du poète Fenand Desnoyers (1828-1869), Roger Martin embrasse une vaste période de l’Histoire de France, de la commune à 1934.
Il m’est arrivé de penser que ce grand et long roman de Roger Martin, plein de rebondissements, superbement documenté, mêlant ce qu’il faut de fiction à la réalité (à la vérité historique), tenant en permanence le lecteur en haleine, provoquant le désir fort de découvrir ce que révèle la page suivante, aurait pu être publié en feuilleton, si la mode n’en avait pas été perdue dans nos journaux.
Nous y lisons quelques épisodes sanglants de la Commune de Paris. Le héros du roman (Romain Delorme) est né en 1870 d’un ventre percé par une baïonnette. Il ne connaîtra jamais sa mère, communarde, et il est sauvé de la mort par un Versaillais qui avait un projet sans rapport avec un sentiment humain. Je ne peux en dire plus sans dévoiler une des intrigues.
Puis, l’auteur nous plonge avec son héros dans la guerre de 14/18.A lire le récit qu’il fait de la souffrance des soldats (français et allemands) dans les tranchées de la première guerre mondiale, il m’est arrivé plusieurs fois de penser que ces pages n’ont rien à envier à d’autres que j’ai lues, celles de Pierre Lemaître, auteur de polar qui a obtenu le prix Goncourt pour « Au-revoir là-haut ».
La guerre de 14/18, donc, terrible par le carnage, la bêtise politico-militaire et la transformation de notre jeunesse en chair à canon. Il n’est que de voir les noms sur nos monuments aux morts. Romain Delorme est engagé volontaire, contre la volonté de son père, un prestigieux policier à la retraite qui servit « sans état d’âme » Napoléon III, puis Thiers, puis la République. Romain Delorme n’a rien de sympathique a priori : flic des Brigades du Tigre de Clémenceau, antisémite par conformisme. Nous sommes à une époque où la bourgeoise, les journalistes, les écrivains, distillaient un antisémitisme « tranquille » dont Hitler n’avait pas fait la démonstration de ce qu’il portait de criminel et pour tout dire de génocidaire. Mais Romain, pour qui les juifs sont intrinsèquement affectés de tous les défauts, dont celui de la lâcheté, va être sauvé de la mort entre deux tranchées par un caporal juif qui prend tous les risques pour le ramener vers l’arrière. Et le rescapé va commencer (sans plus) à se poser des questions, à émettre des doutes sur ce qui ne lui avait pas paru auparavant digne d’être discuté.
C’est aussi à cette époque qu’est inventé le mot « racisme » et qu’est éructé pour la première fois le cri : « la France aux Français ». Et puis, le capitaine Dreyfus, cela ne fait pas de doute (sauf pour quelques-uns dont Emile Zola, j’y reviendrai) a trahi la France parce que juif avant d’être militaire et Français. Les journaux d’alors ont des tirages impressionnants (jusqu’à un million d’exemplaires), on en trouve un dont le titre annonce la couleur : L’Antijuif .
Zola, le « pornocrate », le « larbin de la juiverie », l’« italianas. »
Emile Zola est mort le 29 septembre 1902. Pendant des décennies, la cause de la mort de l’écrivain célébrissime, de l’auteur de l’immortel « J’accuse » en défense de Dreyfus a officiellement été une intoxication accidentelle à l’oxyde de carbone due à un poêle déficient.
Roger Martin va nous faire connaître un « fumiste » (Buronfosse) qui, la chose est aujourd’hui établie, a bouché la cheminée de l’écrivain. Buronfosse s’était vanté de vouloir « fumer Zola ». En fait, il avait dit : « il est temps de fumer le bâtard vénitien ». Roger Martin va nous faire suivre l’assassin et, en romancier-historien, il nous apportera au cours des pages les preuves de sa propre thèse qu’il a ensuite détaillée dans une émission de radio (RTL). On peut l’écouter ici :
http://www.rtl.fr/actu/societe-faits-divers/zola-assassine-7781454287
En février 1934, Romain Delorme qui a survécu à la boucherie militaire est mêlé en qualité de policier aux émeutes qui ont éclaté à Paris, au prétexte de l’affaire Stavisky et qui ont déchaîné contre les « voleurs »(les députés) différents mouvements violents d’extrême-droite épaulés par les royalistes. Roger Martin nous fait vivre ces événements, de l’intérieur.
Le quotidien Libération (13-02-2016) a écrit : « Son roman est haletant et à ce point terrifiant de réalité que l’on ne sait plus très bien où commence et ou finit le romanesque.
Pour L’Humanité (04-02-2016) « Ce grand roman du temps passé s’offre en miroir de notre époque ».
Ajoutons : De la belle ouvrage, ciselée, rigoureuse sur le fond et la forme.
Maxime Vivas
Roger Martin : « Il est des morts qu’il faut qu’on tue » (Editions Cherche-Midi, 2016. 538 pages, 21€).
Blog de l’auteur : http://roger.martin.ecrivain.pagesperso-orange.fr/Html/Acc.htm