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HHhH, par Laurent Binet

De Reinhard Heydrich, les Français connaissent surtout ce film des actualités d’époque de cinquante-neuf secondes (http://www.youtube.com/watch?v=E6sF7hI3ZlA) où l’on voit le chef nazi serrer la main, à Paris, du Commissaire général aux questions juives Darquier de Pellepoix, et celle du responsable de la police René Bousquet (futur ami et commensal du couple Mitterrand, futur conseiller de La Dépêche du Midi, futur banquier et administrateur d’UTA où il siègera aux côtés du mari de Simone Weil). C’est Bousquet qui proposera spontanément à Heydrich de déporter les Juifs apatrides internés en zone libre alors que le nazi n’avait demandé que la déportation de ceux qui étaient internés à Drancy (http://blogbernardgensane.blogs.nouvelobs.com/tag/occupation+nazie). De fait, les Français l’ont échappé belle : Heydrich sera assassiné quelques jours après cette visite en France, où il semble qu’il était venu en repérage, Hitler ayant songé à lui confier la tâche de nettoyer la Résistance française.

Le titre énigmatique de cet ouvrage est l’abréviation de Himmlers Hirn heiàŸt Heydrich - le cerveau de Himmler s’appelle Heydrich (en allemand, la lettre h se prononce « ha », donc « ha, ha, ha, ha ! », kolossale finesse !). C’est un roman à la construction époustouflante (257 brefs et incisifs chapitres), qui mériterait une chronique purement littéraire. Disons brièvement que nous sommes dans ce qui a l’apparence d’une oeuvre en cours (work in progress), qui prétend se construire laborieusement sous nos yeux. Bien sûr, l’écriture est parfaitement maîtrisée par un créateur qui, outre la Tchécoslovaquie dont il est un amoureux fou, connaît bien Roland Barthes, pour qui le monde avait été créé pour finir dans un livre : « C’est un combat perdu d’avance. Je ne peux raconter cette histoire telle qu’elle devrait l’être. Pour que quoi que ce soit pénètre dans la mémoire, il faut d’abord le transformer en littérature. » Laurent Binet a fait sien ce principe qui veut que les pires horreurs sont supportables dès lors qu’on les transforme en récit. Mais « emporté par son sujet », nous dit Binet, l’auteur, « dans la guerre que livre la fiction romanesque à la vérité historique, doit résister à la tentation de romancer. »

Issu d’une famille de culture (père grand musicien, mère inspectrice de l’éducation), mais ultranationaliste (völkisch), lui-même bon violoniste, sportif très accompli, Heydrich fut le prototype du nazi parfait : grand, blond, cruel. Il adhéra à l’âge de seize ans à une organisation fasciste dont la devise était Wir sind die Herren der Welt ! (nous sommes les maîtres du monde !).

Cet homme était capable de grandes petitesses : fiancé, il séduit une autre fille qui, malheureusement pour lui, a des accointances dans l’institution militaire. Traduit en cour martiale, convaincu d’indignité (il ne se remit jamais de cette humiliation), il est chassé de la Reichsmarine. Dans cette épreuve, sa fiancée ne le lâche pas. Antisémite enragée, elle va le pousser à entrer en contact avec un nazi haut placé dans la SS, ce qui déterminera sa carrière. Dans un autre registre, ce grand amateur de bordels finira par ouvrir le sien dans un quartier chic des faubourgs de Berlin. Avec des micros et des caméras partout. Il pourra ainsi faire chanter les dignitaires allemands de son choix.

Heydrich deviendra rapidement le bras droit de Himmler, homme médiocre bien que numéro 3 du régime, et il jouera, de 1931 à son assassinat en 1942, un rôle de premier plan dans les entreprises les plus funestes du nazisme : la nuit des longs couteaux, la Gestapo (l’un des vocables, l’une des institutions les plus emblématiques du nazisme), Babi Yar (le massacre de dizaine de milliers de Juifs dans le « ravin de la grand-mère » à Kiev), l’organisation de l’extermination des Juifs après la conférence de Wannsee qu’il présida (voir le film remarquable de Frank Pierson Conspiracy, Conspiration, avec Kenneth Branagh dans le rôle principal). Heydrich fut toujours, et dans tous les domaines, d’une efficacité mortelle : on, le verra ordonner la déportation de cinquante jeunes Allemands qui écoutaient de la musique swing.

Ce que HHhH rappelle parfaitement, c’est qu’au centre de tout ce qu’il y a de plus terrifiant dans la politique du IIIe Reich, on retrouve Heydrich, " le bourreau " , " le boucher " , " la bête blonde " , ou encore, selon Hitler, " l’homme au coeur de fer " . C’est lui qui mettra toutes les infrastructures du régime au service du génocide. Il sera à l’origine des Judenräte, les conseils juifs qui gouvernèrent les ghettos sous l’autorité directe des SS. Il sera également à l’origine des Einsatzgruppen, les escadrons qui, lors de l’avancée de l’armée allemande en Europe de l’Est, massacrèrent des centaines de milliers de civils. Les officiers de ces corps seront à son image : cultivés, bardés de diplômes, originaires de milieux sociaux privilégiés. Heydrich s’entourera toujours de gens particulièrement intelligents. Petite parenthèse : lors d’une visite récente à Oradour sur Glane, je découvris, stupéfait, dans le musée construit il y a quelques années, que les professions les mieux représentées au sein du parti nazi étaient les architectes et les enseignants. Comme je m’en étonnai auprès d’un ami allemand quinquagénaire, celui-ci m’expliqua que, jusqu’en 1970, l’enseignement allemand (en RFA) n’avait pas été réellement dénazifié, ce qui fut une des causes de la virulence du gauchisme dans les années soixante.

HHhH est la geste héroïque de deux militants tchèques et slovaques, parachutés de Londres pour assassiner le « Protecteur adjoint du Reich en Bohême-Moravie », annexée depuis peu par Hitler. Binet brosse un portrait remarquable du Pétain tchèque, Emil Hácha, et de tous les munichois qui permirent ce forfait. A commencer par le Secrétaire général du Quai d’Orsay, Alexis Léger, plus connu sous son nom de poète Saint-John Perse, qu’il qualifie de « grosse merde » pour avoir traité avec morgue les malheureux négociateurs tchèques.

Des milliers de Tchèques mourront en représailles de l’assassinat d’Heydrich. En particulier, la population entière - totalement innocente, bien sûr - du petit village de Lidice, qu’Hitler exigera de voir rayer de la carte, raison pour laquelle les SS y répandront du sel pour que l’herbe ne repousse plus ! L’horreur de Lidice fera basculer définitivement l’opinion publique mondiale, étatsunienne y compris, en faveur de la résistance au nazisme.

Pour rendre hommage au « bourreau de Prague » qui avait eu des funérailles grandioses (http://www.ina.fr/histoire-et-confl...), Hitler donna le nom d’Aktion Reinhard au programme d’extermination de deux millions de Juifs et de cinquante mille Roms en 1942 et 1943. Dans le camp de Ravensbrück, on voulut comprendre les raisons exactes de la mort d’Heydrich, en fait, une septicémie (peut-être causée par les fibres du plaid de sa voiture) et non les blessures provoquées par la grenade lancée par l’un des deux résistants tchèques. Des médecins inoculèrent des germes infectieux à de jeunes femmes dont beaucoup moururent.

Bernard GENSANE

HHhH, de Laurent Binet
Broché : 440 pages
Editeur : Grasset & Fasquelle (13 janvier 2010)
Langue : Français
ISBN-10 : 2246760011
ISBN-13 : 978-2246760016


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Daniel Santiago,prêtre salvadorien
cité dans "What Uncle Sam Really Wants", Noam Chomsky, 1993

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