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Gaza : agressés. Pas des rats pris au piège.








Il manifesto, jeudi 21 juin 2007.


Le vieux rêve d’Ariel Sharon est en train de se réaliser : des Palestiniens qui tuent des palestiniens pendant qu’Israël compte les victimes avec une grande satisfaction. Les larmes des leaders israéliens sont des larmes de crocodile et leur supposé deuil pour les tragiques événements de Gaza une pure hypocrisie.

Les conflits sanglants étaient prévisibles, de même que la responsabilité et l’implication directe d’Israël et des Etats-Unis sont patentes. Dans les analyses de nombreux journalistes israéliens la responsabilité d’Israël semble être indirecte : « 1,4 million de personnes enfermées dans un territoire aussi petit que la Bande de Gaza, sans aucune possibilité de mener une vie économique régulière et sans aucune possibilité de fuite, sont fatalement destinées à s’entretuer, comme des rats pris au piège ».

Cette métaphore zoologique n’est pas seulement typiquement raciste, elle est aussi fondée sur une grosse méprise. Parce que l’attitude d’Israël et des USA dans les épisodes actuels ne se limite pas à favoriser les conditions pour un conflit interne palestinien. Pendant des mois le Département d’Etat étasunien a encouragé la direction d’Al Fatah à lancer une offensive militaire contre le Hamas et, il y a deux semaines, Israël a donné sa propre autorisation à l’entrée d’une grosse quantité d’armes pour les milices du Fatah présentes à Gaza. Qui est l’agresseur ?

Je crois qu’il est nécessaire d’indiquer immédiatement ce qui devrait être évident : le Hamas a écrasé le Fatah aux dernières élections palestiniennes, à la suite d’un processus électoral que toute la communauté internationale, Washington comprise, n’a pas hésité à définir comme « le plus démocratique dans l’histoire du Moyen-Orient ». Un processus démocratique incontestable et un soutien populaire massif, peu de régimes peuvent se vanter d’une telle légitimité. Malgré cette victoire éclatante, le Hamas a accepté de partager le pouvoir avec le Fatah dans un gouvernement d’unité nationale, sous l’égide de l’Arabie saoudite et de l’Egypte, accueilli favorablement par la communauté internationale, à l’exception de Washington et de Tel Aviv. L’agenda politique du nouveau gouvernement a reconnu, de facto, l’Etat d’Israël, et adopté la stratégie de la négociation fondée sur les mécanismes d’Oslo. La plateforme gouvernementale modérée du Hamas, cependant, a du faire face à deux ennemis puissants : une partie des fonctionnaires du Fatah qui n’était pas encore prête à renoncer à son propre monopole politique et, de l’autre côté, les gouvernements néo-cons israélien et étasunien, qui sont en train de mener un croisade globale contre l’Islam politique.

Muhammad Dahlan, ex-commandant des « Forces de sécurité Préventive » et actuel conseiller à la sécurité nationale de Mahmoud Abbas, représente les deux : il est à la fois l’exécuteur matériel des plans de Washington, et le représentant de ce type de fonctionnaire du Fatah corrompu et prêt à faire n’importe quoi pour ne pas perdre ses propres gains.

Depuis la victoire électorale du Hamas, les milices de Dahlan ont continuellement provoqué le gouvernement, en assaillant les milices du Hamas et en refusant de déléguer le contrôle des forces de police au gouvernement. Malgré les offensives de Dahlan, le Hamas a essayé par tous les moyens de trouver un compromis avec ce dernier, demandant à ses propres militants de s’abstenir d’éventuelles mesures de rétorsion. Cependant, quand il est apparu clairement que Dahlan ne cherchait pas de compromis, mais plutôt essayait de neutraliser le Hamas, l’organisation islamique n’a eu comme alternative que se défendre et contre-attaquer. Le plan israélo étasunien fait partie d’une stratégie globale destinée à imposer des gouvernements fidèles à ses propres intérêts, en opposition avec la population locale.

L’Algérie fournit un exemple de ce genre de stratégie, mais aussi de son échec et de son coût humain très lourd : l’indiscutable victoire, en 1991, du FIS (Front Islamique du Salut) sur le Fln, désormais corrompu et discrédité, fut suivie d’un coup d’état, soutenu par la France et par les Etats-Unis, qui ouvrirent la route à une guerre civile qui a duré plus d’une décennie, et qui est responsable de la mort de plus de cent mille victimes civiles.

Ayant appris la leçon de la tragédie algérienne, le Hamas a décidé de ne pas laisser que les plans de Dahlan lui permettent de prendre le pouvoir par la force. S’appuyant sur le consensus d’une bonne partie de la population locale, les militants du Hamas ont battu le Fatah en deux jours, bien que ces derniers aient eu à leur disposition une grande quantité d’armes fournie par Israël. Jusqu’après sa victoire écrasante sur le Fatah, la direction du Hamas a réaffirmé sa ferme intention de maintenir un gouvernement d’unité nationale, et de ne pas vouloir exploiter le coup d’état tenté par le Fatah comme prétexte pour extirper cette organisation ou l’exclure du gouvernement. Par contre, les dirigeants du Fatah ont décidé d’interrompre tout rapport avec le Hamas et de former, en Cisjordanie, un nouveau gouvernement sans la présence des islamistes. Un autre vieux rêve d’Ariel Sharon est en train de se réaliser : la séparation complète entre la Cisjordanie et Gaza, cette dernière étant considérée comme un « Hamastan » sans issue, entité terroriste où n’existent pas de civils mais seulement des terroristes à mettre en état de siège, destinés à être affamés. Washington, qui embrasse sans réserve cette stratégie, a promis son soutien illimité à Mahmoud Abas et à son nouveau bantoustan en Cisjordanie, au point qu’Olmert a décidé de lui accorder une partie de l’argent palestinien qui est encore aux mains du gouvernement israélien. Un des objectifs de l’administration israélienne et de celle des Etats-Unis n’a cependant pas été atteint : le chaos ne règne pas à Gaza. Au contraire, comme a déclaré le 19 juin à Haaretz un officier de la sécurité palestinienne : « La ville n’a pas été tranquille pendant très longtemps. Je préfère la situation actuelle à celle d’avant. Je peux enfin sortir de chez moi ».

L’extirpation des bandes du Fatah à Gaza pourrait signer la fin d’une longue période d’anarchie et permettre le retour à un mode de vie plus stable. Les récents événements confirment que le Hamas peut imposer son contrôle. Les discours d’Israël à propos de la guerre civile palestinienne ne sont que des voeux. L’affrontement armé a eu lieu exclusivement entre milices armées et si, malheureusement, il y a eu des victimes chez les civils, il s’est agi de ce que l’armée étasunienne appellerait des « dommages collatéraux ». La population est sans aucun doute politiquement cassée, en Cisjordanie comme à Gaza, mais pas en conflit, du moins pas pour le moment.

A partir du moment où Gaza est considérée comme un interlocuteur hostile et que toute sa population s’est rassemblée autour du Hamas, elle se trouvera être l’objectif d’une agression brutale de la part d’Israël : des incursions militaires possibles, des bombardements et un embargo alimentaire. C’est pour ça que notre priorité, en Israël comme dans le reste du monde, est celle d’apporter toute notre solidarité à l’égard de Gaza et de sa population.

Michel Warschawski


 Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

 Traduction vers l’italien de Sarah V. Barberis

 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio


Militant antisioniste et écrivain israélien, Michel Warschawski est le co-directeur de l’Alternative Information Center (Centre d’information et de documentation israélo-palestinien).
En 1982, il a été l’un des fondateurs de « Yesh Gvul », mouvement d’officiers de réserve et de soldats contre la guerre au Liban et l’Occupation israélienne.
Voix parmi les plus radicales de la gauche israélienne, et pacifiste de longue date, Michel Warschawski lutte depuis plus de trente ans pour une « paix juste » avec les Palestinien-ne-s et pour une démocratisation de l’Etat d’Israël.
Il a publié Le Défi Bi-national, Textuel, 2000 ; Sur la Frontière, Stock, 2002 ; A Tombeau Ouvert, La Fabrique, 2003 ; A Contre Choeur (en collaboration avec Michèle Sibony), Textuel, 2003.




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 Dessin : Carlos Latuff


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