Le 4 novembre dernier, France 2 a présenté un documentaire de Benjamin Stora et François Malye réalisé par Frédéric Vrunnquell : François Mitterrand et la guerre d’Algérie.
Ce documentaire jette une lumière crue sur le rôle du futur président de la République dans les gouvernements auxquels il a participé de 1954 à 1957 ; en particulier, il rappelle comment, du 1er février 1956 au 12 juin 1957, - alors qu’il était ministre de la Justice du gouvernement du socialiste Guy Mollet - François Mitterrand a envoyé à la guillotine plusieurs dizaines de combattants nationalistes algériens.
En février 1956, François Mitterrand accepte que des pouvoirs « dictatoriaux » soient accordés à Guy Mollet pour que celui-ci intensifie le guerre en Algérie ; il se prononce également en faveur du recours aux exécutions capitales. C’est également sous son autorité que, le 17 mars 1956, sont publiées les lois 56-268 et 56-269 qui permettent aux tribunaux militaires d’appliquer - sans instruction préalable - la peine de mort aux combattants algériens pris les armes à la main.
Le 19 juin 1956, les deux premiers condamnés sont conduits à la guillotine dans la cour de la prison de Barberousse, à Alger : Ahmed Zabana, un ouvrier soudeur de trente ans, rendu infirme par ses blessures, exécuté à 4 heures du matin, et Abdelkader Ferradj, trente-cinq ans, exécuté sept minutes plus tard.
François Mitterrand donnera également son aval à l’exécution de Fernand Iveton [1], membre du Parti communiste algérien, guillotiné à Alger le 11 février 1957 avec deux autres militants algériens, Mohamed Lakhnèche et Mohamed Ouenouri. (Photos : Ahmed Zabana et Fernand Iveton)
Enfin, il sera chargé, par le Conseil des ministres, de défendre le projet de loi remettant les pouvoirs spéciaux à l’armée ; lesquels permettront au général Massu et à sa 10ème division de parachutistes d’organiser la répression à Alger : torture systématique, plus de 3.000 exécutions sommaires et 16 exécutions capitales ordonnées par les tribunaux d’Alger du 3 au 12 février 1957.
La justice française prononcera plus de 1.500 condamnations à mort durant toute la guerre d’Algérie ; selon le "registre des grâces" - sur lequel étaient répertoriés les noms des condamnés à mort - au total 222 militants du FLN sont exécutés entre 1956 et 1962, le plus souvent au terme d’une parodie de justice.
Mitterrand eut à statuer sur 45 dossiers de recours en grâce : dans 80% des cas, il les a rejetté ; « avis défavorable au recours » ou encore « recours à rejeter » sont les deux formules qui avaient sa préférence. Il s’est donc montré particulièrement impitoyable. [2]
Le 16 mars 1981, peu avant sa première élection à la présidence de la République, François Mitterrand déclare : « Dans ma conscience profonde, qui rejoint celle des églises, l’église catholique, les églises réformées, la religion juive, la totalité des grandes associations humanitaires, internationales et nationales, dans ma conscience, dans le for de ma conscience, je suis contre la peine de mort ». [3]
L’abolition de la peine de mort sera à mettre à l’actif de sa présidence. Présentée au parlement par Robert Badinter, la loi est approuvée le 18 septembre 1981 par l’Assemblée nationale et dix jours plus tard par le Sénat.
Dans le documentaire de Frédéric Vrunnquell, Robert Badinter ne disconvient qu’il y ait une profonde contradiction dans l’attitude de Mitterrand à 25 années de distance ; mais il commente : « Tous les hommes peuvent changer si c’est dans le bon sens ». Encore faudrait-il qu’ils expriment quelques regrets sur leur comportement passé surtout quand ils prétendent exercer de hautes fonctions politiques et morales. Ce que Mitterrand n’a jamais fait.
Par contre, dès 1982, il a forcé la main à ses propres députés pour que deux des généraux responsables du putsch d’Alger de 1961 et des actions criminelles de l’OAS - Raoul Salan et Edmond Jouhaud - soient réhabilités dans tous leurs droits et prérogatives.
Jean-Pierre Dubois, Le Petit Blanquiste.
http://lepetitblanquiste.hautetfort.com/
NOTES :
[1] Fernand Iveton, ouvrier tourneur, militant communiste et syndicaliste de la CGT à l’usine de gaz d’Alger, est arrêté le 14 novembre 1956 pour avoir déposé une bombe à l’intérieur des vestiaires de son usine mais dont l’explosion était programmée pour ne pas faire de victimes ; il est condamné à mort ; son recours en grâce est refusé par le président de la République avec l’accord de François Mitterrand ; il est guillotiné le 11 février 1957.
[2] En comparaison, le socialiste Robert Lacoste, ministre résident en Algérie, qui passait pour un homme très dur, a été plus clément : sur 27 peines capitales qui lui sont soumises, il émet 11 avis favorables au recours en grâce ; sept autres avis ne figurent pas dans les dossiers.
[3] Emission "Cartes sur table", Antenne 2.