Lors de l’hommage posthume à Fidel sur la place de la Révolution, le 29 novembre 2016
Peuples de Notre Amérique et du monde : Fidel est mort.
Il est mort invaincu. Seul le pas inexorable des années a pu le vaincre. Il est mort le même jour où, soixante ans avant, à quatre-vingt-deux patriotes, il est parti du Mexique pour marquer l’Histoire.
Il est mort en faisant honneur à son prénom : Fidel, digne de foi. La foi que son peuple et toute notre grande patrie [l’Amérique latine] a mise en lui ; la foi qu’il n’a jamais déçue, encore moins trahie.
Ceux qui meurent pour la vie, on ne peut jamais les appeler des morts.
Fidel continuera de vivre dans les visages des enfants qui vont à l’école, des malades qui sauvent leur vie, des ouvriers maîtres du fruit de leur travail. Sa lutte continue dans l’effort de chaque jeune idéaliste acharné à changer le monde.
Sur le continent qui connaît les pires inégalités de la planète, tu nous as laissé le seul pays avec zéro dénutrition, avec l’espérance de vie la plus élevée, avec une scolarisation de cent pour cent, sans aucun enfant vivant à la rue (applaudissements).
Évaluer le succès ou l’échec du modèle économique cubain en faisant abstraction d’un blocus criminel de plus de cinquante ans, c’est de l’hypocrisie pure et simple ! (Applaudissements.) N’importe quel pays capitaliste d’Amérique latine en butte à un blocus semblable s’effondrerait en quelques mois.
C’est probablement par ta formation chez les jésuites que tu as très bien compris, comme le disait saint Ignace de Loyola, que dans une forteresse assiégée, toute dissidence est une trahison.
Pour évaluer son système politique, il faut comprendre que Cuba a subi une guerre permanente. Dès le début de la Révolution, il existe une Cuba du Nord, là-bas à Miami, guettant en permanence la Cuba du Sud, celle qui est libre, digne, souveraine, majoritaire sur la terre nourricière, non en des terres étrangères (applaudissements). Ils n’ont pas envahi Cuba parce qu’ils savent qu’ils ne pourront pas vaincre tout un peuple (applaudissements).
Ici, sur cette île merveilleuse, on a érigé des murailles, mais non de celles qu’érigent les empires : des murailles de dignité, de respect, de solidarité ! (Applaudissements.)
Cuba ira de l’avant en raison de ses principes révolutionnaires, de son extraordinaire talent humain, mais aussi parce que la résistance est intégrée à sa culture. Fort de l’exemple de Fidel, le peuple cubain ne permettra jamais que son pays redevienne la colonie d’aucun empire (applaudissements).
Il n’existe ni être humain ni action majeure sans détracteurs, et Fidel et sa Révolution ont transcendé l’espace et transcenderont le temps.
Tu concrétises ce que notre vieux combattant, le général Eloy Alfaro, l’ami de Martí, avait l’habitude de dire : Si, au lieu d’affronter le péril, j’avais commis la lâcheté de passer à l’ennemi, nous aurions joui de la paix, d’une grande paix : la paix du colonialisme.
Cuba a été solidaire avec la révolution libérale d’Alfaro à la fin du XIXe siècle et elle a été solidaire avec notre Révolution citoyenne du XXIe siècle.
Merci beaucoup, Fidel ; merci beaucoup, peuple cubain ! (Applaudissements.)
La majorité t’a aimé passionnément ; une minorité t’a haïe, et nul n’a pu t’ignorer. Certains combattants sont acceptés dans leur vieillesse jusque par leurs détracteurs le plus récalcitrants, parce qu’ils cessent d’être dangereux, mais toi, tu n’as même pas eu cette trêve, parce que jusqu’à la fin ta parole claire et ton esprit lucide n’ont laissé aucun principe sans défense, aucune vérité dans le silence, aucun crime sans dénonciation ! (Applaudissements.)
Bertolt Brecht disait que seuls les hommes qui luttent toute leur vie sont indispensables. J’ai connu Fidel, et je sais que, même s’il n’a jamais cherché à être indispensable, en revanche il a lutté toute sa vie (applaudissements). Il est né, il a vécu et il est mort avec « la stupidité de ce qui s’avère aujourd’hui stupide : la stupidité de faire face à l’ennemi, la stupidité de vivre sans être monnayable ».
« Nous continuerons de jouer à qui-perd-gagne [1] », et tu continueras de « vibrer dans la montagne, avec un rubis, cinq bandes et une étoile [2] » (applaudissements).
Notre Amérique doit affronter de nouvelles tempêtes, peut-être plus fortes que celles que tu as défiées pendant soixante-dix ans de lutte, d’abord comme étudiant et à la Moncada, ensuite comme guérillero dans la Sierra Maestra et enfin à la tête d’une révolution triomphante.
Aujourd’hui, plus unis que jamais, peuples de Notre Amérique ! (Applaudissements.)
Cher Fidel, ta profonde conviction martinienne t’a conduit à toujours être, « non du côté où l’on vit mieux, mais du côté où se trouve le devoir [3] ».
« Révolution, cela veut dire avoir le sens du moment historique ; cela veut dire changer tout ce qui doit être changé ; cela veut dire l’égalité et la liberté pleines ; cela veut dire être traité soi-même et traiter autrui comme un être humain ; cela veut dire nous libérer par nous-mêmes et par nos propres efforts ; cela veut dire défier de puissantes forces dominantes dans l’arène sociale et nationale et au-dehors ; cela veut dire défendre des valeurs auxquelles on croit au prix de n’importe quel sacrifice ; cela veut dire modestie, désintéressement, altruisme, solidarité et héroïsme ; cela veut dire lutter avec audace, intelligence et réalisme ; cela veut dire ne jamais mentir, ne jamais violer de principes moraux ; cela veut dire conviction profonde qu’il n’existe pas de force au monde capable d’écraser la force de la vérité et des idées [4]. »
C’est avec toi, comandante Fidel Castro Ruz, avec Camilo Cienfuegos, avec le Che, avec Hugo Chávez Frías, que nous avons appris à croire en l’homme nouveau latino-américain, capable de livrer, organisé et conscient, la lutte permanente des idées libératrices pour édifier un monde de justice et de paix (applaudissements).
C’est pour ces idées-là que nous continuerons de nous battre. Nous le jurons ! (La foule reprend l’expression.)
Une étreinte solidaire à Dalia, à Raúl, à tes enfants.
Hasta la victoria siempre, Comandante ! (Applaudissements.)
Rafael Correa
(Traduction de Jacques-François Bonaldi, La Havane)