Ethiopie : Une intervention sur ordre US, par Jean Nanga.








POS, 24 janvier 2007.


La prise de Mogadiscio, le 28 décembre 2006, par l’armée éthiopienne a mis fin à un processus complexe de réunification et de réconciliation de la Somalie, qui était préjudiciable aux intérêts américains.


L’intervention de l’armée éthiopienne est censée mettre fin à la situation dramatique vécue par le peuple somalien depuis la chute, en 1991, de l’autocrate Mohamed Syad Bare, qui dirigeait la Somalie depuis 1969. Pendant près de quinze ans, de 1993 à 2006, ce pays a été dépourvu d’État central souverain sur l’ensemble du territoire. La crise du régime de Syad Bare, s’était en effet achevée par la sécession, au nord-ouest, du Somaliland et l’autonomie, à l’est, du Puntland. Mogadiscio de son côté a été la proie de « seigneurs de la guerre » rivaux. L’absence d’État central ne signifiait nullement l’arrêt des activités économiques licites et illicites (trafics de stupéfiants, d’armes, etc.).

Les structures dites traditionnelles ont conservé un poids très important dans la société somalienne, un clan pouvant rassembler des centaines de milliers d’individus. Les « seigneurs de la guerre » ont été défaits par l’Union des tribunaux islamiques (UTI), en juin 2006, à Mogadiscio et dans d’autres villes. C’était pour l’UTI une étape importante dans le processus de réunification de la Somalie, après cinq ans d’échec des protagonistes somaliens et de la « communauté internationale » à concrétiser la réunification avec un gouvernement fédéral de transition (GFT). Les « seigneurs de la guerre », hostiles au retour d’un État central préjudiciable à leurs affaires, avaient empêché le GFT de s’installer à Mogadiscio, et ils l’avaient obligé à s’installer à Baidoa dans le sud-ouest somalien. Le départ de Mogadiscio des « seigneurs de la guerre » a été suivi de la volonté exprimée par l’UTI d’une redéfinition de la nature du futur État somalien à l’image de ce qu’ils ont fait à Mogadiscio où, en quelques mois, a été instauré un ordre politique islamique.

Cette nouvelle configuration de la réunification somalienne n’était pas du goût de l’Éthiopie, allergique à l’évocation par l’UTI de la grande Somalie incluant la région éthiopienne de l’Ogaden, cause d’une guerre entre les deux États en 1978 qui a été perdue par la Somalie. Ainsi, après avoir aidé sans succès les « seigneurs de la guerre » contre l’UTI, l’Éthiopie a imposé la solution militaire, au moment où la « communauté internationale » négociait l’infléchissement du projet islamiste de réconciliation nationale défendu par l’UTI. Un projet auquel avait adhéré, en novembre 2006, la présidence de la province autonome du Puntland en instituant la Charia et qui bénéficiait du soutien des islamistes somalis du nord-est kenyan, partisans de la grande Somalie.


Les appétits impérialistes.

L’expédition éthiopienne a été sponsorisée par les États-Unis, principal soutien militaire et financier des « seigneurs de guerre » en belligérance contre l’UTI, accusée d’être liée au réseau Al Qaida. La réconciliation nationale somalienne sous hégémonie militaire de l’UTI était en effet préjudiciable aux intérêts américains. D’une part, à cause de la position stratégique de la Somalie dont le nord, longeant le Golfe d’Aden où passe l’une des principales routes du pétrole, ne doit pas échapper au contrôle des États-Unis. D’où la mise sur pied de la Combined Join Task Force - Horn of Africa censée contrer le terrorisme qui avait déjà frappé le navire américain USS Core, dans le port d’Aden. D’autre part, les États-Unis - qui ont une base au Kenya, à 100 kilomètres de la frontière avec la Somalie - soutiennent la création d’une Brigade d’intervention d’Afrique de l’Est (EASBRIG) à laquelle la nouvelle donne somalienne offrait une occasion de concrétisation. Par son intervention court-circuitant la réconciliation-réunification par voie négociée, excluant désormais l’UTI, l’Éthiopie obtient une « sécurisation » de sa frontière, voire un autre accès indirect à la mer, mais elle a surtout fait avancer la Pax Americana dans cette région africaine.

Mais surtout, la Somalie est riche en ressources naturelles - bauxite, cuivre, gaz naturel, pétrole, uranium... - et les multinationales pétrolières américaines Amoco, Chevron, Conoco et Philips ont obtenu en 1986 le droit à l’exploration pétrolière sur les deux tiers du territoire somalien. Cette exploration fut interrompue en 1993 pour cause d’embrasement national. La réussite de l’opération militaire américaine Restore Hope en 1994 aurait permis la continuation de l’exploration pétrolière, sous protection militaire mais ce fut un échec. L’exploration pétrolière a été reprise en 2001, mais par Total-Fina-Elf dont le contrat d’exploration, signé avec le gouvernement de transition, a été contesté par les autres fractions politiques somaliennes. Par ailleurs, Total est présente au Somaliland depuis la fin des années 1990 et le capital français espérait accroître sa présence à la faveur de la réconciliation nationale, à en croire le président du Sénat, Christian Poncelet qui disait en mars 2006 : « En Somalie, la situation reste certes précaire, mais l’État de droit se restaure progressivement. Si le processus va à son terme, nos entreprises ont tout intérêt à se tenir prêtes à répondre à une énorme demande de reconstruction ». Total a été suivi en 2005 par l’entreprise australienne Range Resources qui a obtenu, des autorités locales du Puntland, 50,1 % de toute exploration et exploitation pétrolière, et de toutes les mines, au grand dam du GFT qui se considère maître des ressources nationales depuis son institution. La Chine, déjà présente économiquement en Somalie, semble manifester de l’intérêt pour le pétrole somalien, en s’appuyant sur sa présence en la matière au Soudan, et tout récemment au Kenya. Cette poussée des autres capitalismes ne pouvait que déplaire aux États-Unis, obsédés par leur hégémonie économique, surtout en matière pétrolière. D’où cette nouvelle entreprise barbare, sous le prétexte de la « lutte contre le terrorisme ».

Une fois de plus, les stratèges américains ont confondu volonté de paix d’un peuple et acceptation d’une invasion étrangère. Une grande partie du peuple somalien demande le départ immédiat des troupes éthiopiennes et exprime sa méfiance à l’égard d’un GFT - encore à Baidoa - porté par des armées étrangères. Ce à quoi l’armée américaine répond en bombardant des villages du Sud somalien, censés abriter l’UTI. La folie impérialiste n’a pas de limites.

Jean Nanga


- Source : POS www.sap-pos.org




Sombres pensées somaliennes en ce sale Noël 2006, par Igiaba Scego.

Djibouti : Hôtel Corne d’Afrique, grande base américaine, par Emilio Manfredi.






- Dessin : Amin www.aminarts.com

COMMENTAIRES  

29/01/2007 12:58 par vladimir

en complement la prochaine creation d’une zone de commandement africain US :
The Pentagon hunkers down in Africa

Charles Cobb Jnr is senior correspondent for allAfrica.com.

http://bellaciao.org/en/article.php3?id_article=14358

http://www.mg.co.za/articlePage.aspx?articleid=297060&area=/insight/insight__comment_and_analysis/

29/03/2007 02:04 par Anonyme

Le risque d’embrasement de la Corne de l’Afrique augmente alors que les Etats-Unis s’impliquent directement dans un conflit intra étatique.
Les Etats-Unis s’étaient retirés de la Somalie en 1993 après avoir mis sur pied une mission humanitaire visant à assurer la sécurité alimentaire des somaliens après la sécheresse de 1991 et la chute du dictateur Mohammed Siad Barré. L’objectif de la mission comprenait également un volet concernant des conflits entre chefs de guerre et les forces armées états-uniennes en étaient venues à prendre part à des combats. Deux hélicoptères Black Hawk avaient été abattus et les corps de soldats américains avaient été décapités et traînés dans les rues de la capitale suscitant une réaction horrifiée du public américain. Après avoir renforcé les effectifs, le gouvernement de Bill Clinton avait fait marche arrière et quitté la Somalie laissant place à des guerres intestines entre différents chefs de guerre. Sans gouvernement central, le pays a sombré dans le chaos pendant 15 ans jusqu’à ce que l’Union des tribunaux islamiques (UTI) prenne le pouvoir dans la capitale en juin 2006, apportant un certain ordre avec l’imposition de la charia.
Le règne de l’UTI a pris fin lorsque le 28 décembre, le gouvernement fédéral de transition de Somalie (GFT), qui n’a jamais régné sur la capitale et était retranché dans la seule localité de Baïdoa au nord-ouest du pays, a pris le contrôle de Mogadiscio. Cette organisation est menée par le président Adullahi Youssouf qui aurait comploté pour renverser le régime de Mohammed Siad Barré en 1978. Son gouvernement, investi en 2004 avec le soutient de l’ONU, était trop faible militairement pour prendre le pouvoir du pays. Également, les islamistes se sont attirés la faveur populaire en faisant régner l’ordre dans la capitale, après les années sanglantes de guerre civile.
La prise de Mogadiscio n’aurait pas été possible sans le concours de l’Éthiopie, elle-même « encouragée à passer à l’action » par les Etats-Unis, selon l’analyste Michael Weinstein, professeur de science politique à l’univesité Purdue de l’Indiana. L’Éthiopie, avec une population de 75 millions d’habitants à majorité chrétienne possède l’une des armées les plus efficace d’Afrique. Des sources militaires occidentales ont confirmées à l’agence Reuters, que les moyens de renseignement et de surveillance nécessaire pour assurer la bonne marche de l’opération ont été fourni par les Etats-Unis.
L’ambassadeur de l’Éthiopie au Canada, Getachew Hamussa Hailemariam, soutient que la raison qui a poussé l’ Éthiopie a agir est que « l’UTI avait déjà déclaré la guerre, le jihad, à l’ Éthiopie ». Concernant la présence, du côté somalien de la frontière, de combattants du Front de libération oromo (OLF), qui auraient prévu une offensive, l’ambassadeur mentionne que cela « pourrait être une des raisons » qui a poussé l’Éthiopie à s’impliquer militairement. L’OLF est organisation éthiopienne qui vise à obtenir le droit à l’autodétermination du peuple Oromo.
Le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi a affirmé que ses troupes sont entrées en territoire somalien le 24 décembre, infligeant « plus de 1000 morts et 3000 blessés » aux islamistes. Le gouvernement du Kenya, pays voisin situé au sud de la Somalie, redoutant un afflux de réfugiés à la frontière, a demandé à l’Éthiopie de cesser ses « attaques militaires » contre les Tribunaux islamiques. L’Union africaine et le Conseil de la Ligue arabe ont appelé à un retrait de toutes les forces et éléments étrangers du territoire somalien. Selon le chef de la diplomatie française, « les victimes de ces violences sont d’abord la population civile avec le retrait des ONG, les ruptures d’approvisionnement en eau et en nourriture. »
Sentant la soupe chaude et « pour éviter un bain de sang dans la capitale », le cheik Sharif Ahmed, chef du Comité exécutif des tribunaux islamiques, a appelé ses troupes a quitter Mogadiscio au matin du 28 décembre, qualifiant de « tactique » ce retrait et disant poursuivre la lutte « contre l’occupant étranger ». C’est donc après avoir constaté la fuite des islamistes que le GFT est entré dans le sud de la capitale. Comme en témoigne les manifestations anti-éthiopiennes qui avaient lieues dans le nord de la capitale à ce moment-là , et qui se sont dispersées peu après, la population de la Somalie, pays comptant 9 millions d’habitants de confession à très forte majorité musulmane, voit d’un oeil inquiet la présence de soldats éthiopiens.
A l’hôpital, un jeune somalien qui se battait pour l’UTI, blessé et capturé près de Baïdoa raconte : « J’étais un étudiant en religion, je voulais me battre pour la cause de l’islam, pour le djihad. Je me suis engagé avec les Tribunaux islamiques. Je les ai juste suivis. Ils m’ont donné une mitraillette. Notre chef s’appelait Abdallah, il venait du Soudan, il parlait arabe. Il y avait beaucoup d’étrangers, des Arabes, ils ont été tués. » La présence de combattants étrangers au sein des forces islamistes a été constatée par Ismail Kasim Nadji, commandant de l’armée somalienne. « Les soldats étrangers vaincus ne se rendaient pas. Certains préféraient se supprimer et peu ont été capturés », a-t-il relaté. Le gouvernement somalien assure être en possession de passeport pakistanais, yéménites, britanniques, états-uniens et australiens retrouvés sur les morts. L’ambassadeur de l’Éthiopie au Canada, Getachew Hamussa Hailemariam, a affirmé que des combattants étrangers, notamment des citoyens du Canada, des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, se sont battus aux côtés de l’UTI. Quant au sort des miliciens islamistes capturés, le premier ministre éthiopien Meles Zenawi a révélé que « plusieurs » ont été ramenés en Éthiopie, refusant d’élaborer sur le sujet.

Les milices islamistes en déroute se sont repliées vers le sud du pays détalant devant les forces armées somaliennes et éthiopiennes. Leur fuite aurait été observée et documentée à l’aide de drones, avions téléguidés, par les militaires états-uniens. Le Kenya a fermé sa frontière pour éviter d’être le refuge de ces combattants islamistes. Des centaines de réfugiés somaliens fuyant les violences se sont retrouvé pris du côté somalien, sans aide. Les Etats-Unis ont envoyé, le 7 janvier, un aéronef AC-130 pour ouvrir le feu à l’aide de canons et de mitraillettes sur des cibles près de la frontière avec le Kenya. Ils accusent l’UTI d’avoir hébergé des terroristes durant leur règne. En bombardant le sud de la Somalie, les Etats-Unis s’assurent que les miliciens islamistes ne pourront pas se regrouper et s’organiser pour lancer des attaques sur le faible gouvernement intérimaire somalien. Dans son discours à la nation du 10 janvier portant sur la question irakienne, le président Georges W. Bush a expliqué que ce raid avait pour but de liquider des membres d’al-Qaïda impliqués dans les attentats à la bombes commis en 1998 sur l’ambassade des Etats-Unis au Kenya et en Tanzanie qui avaient faits 228 morts. Pourtant, selon Barbara Starr de CNN, un représentant officiel senior au Kenya a mentionné qu’il n’était pas clair avant le raid que ces individus soient dans la région. Même si à Addis-Abeba le 11 janvier, le premier ministre éthiopien Meles Zenawi, affirmait qu’un seul raid américain n’a été effectué : Des sources gouvernementales somaliennes ont révélé que d’autres frappes aériennes états-uniennes se sont déroulées dans le sud du pays au cours de la journée du 10 janvier. Deux jours plus tard, l’ambassadeur états-unien Michael Ranneberger a réitéré qu’aucun civil n’avait été tué ou blessé et qu’une seule attaque avait été menée. L’ONG britannique Oxfam a témoigné qu’au moins 72 nomades, qui se réunissent habituellement autour de grands feux pour chasser les moustiques, ont été mitraillés durant la nuit près de la frontière kenyane.
Dans la capitale, les nouveaux dirigeants exhortent les habitants à remettre leurs armes sans quoi elles seront retirées « de force » selon le premier ministre du gouvernement de transition Ali Mohamed Gedi. Dans ce pays où la guerre civile a fait rage pendant 15 ans, la population est réticente. Un commerçant de Bakaara confie que « personne ne veut rendre l’ensemble de ses armes. Si nous les rendons, nous serons vulnérables. » Le chef de la police, M. Loyan, explique un motif du désarmement : Ses hommes auront besoin des armes collectées.
En effet, la fuite des islamistes a créé un vide où les chefs de guerre, qui avaient été évincés du pouvoir en juin dernier par l’UTI, n’ont pas tardé à se servir dans les dépôts d’armes laissés derrière. Le gouvernement de transition somalien aura fort à faire pour assurer un climat de sécurité dans la capitale où les milices de chefs claniques, supportées financièrement par les Etats-Unis alors qu’elles se battaient contre l’UTI l’année dernière, se sont appropriées des arsenaux. L’ambassadeur de l’Éthiopie au Canada, Getachew Hamussa Hailemariam, a expliqué que l’Éthiopie n’agirait pas concernant cette situation et que « le GFT doit se charger » de la problématique actuelle concernant les seigneurs de guerres. « L’Éthiopie ne peut résoudre tous les problèmes de la Somalie. » « Ce problème est le problème de la Somalie, pas de l’ Éthiopie. » a-t-il ajouté. Il est toutefois optimiste concernant la situation à Mogadiscio, la qualifiant de « très bonne » et de « meilleure qu’avant. »
L’ambassadeur Hamussa, a confirmé que les forces armées éthiopiennes ont débuté à se retirer de Somalie le 23 janvier. Bien qu’il ait affirmé que la force de paix de l’Union africaine n’est pas encore présente en sol somalien, il a dit que l’armée éthiopienne se sera retirée complètement d’ici le 11 février. L’Union africaine prévoit envoyer 4000 soldats pour conserver la paix en Somalie. Selon l’ambassadeur Hamussa, l’armée Ougandaise sera la première à arriver sur les lieux avec 1700 soldats. Le Malawi et le Nigeria contribueront également à l’effort de stabilisation en envoyant un contingent.

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