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Sombres pensées somaliennes en ce sale Noël 2006, par Igiaba Scego - il manifesto.



"Quand la force occupe le chemin, le faible entre dans la brousse avec son bon droit".

Mogadiscio est tombée, entend-on.

Voici la traduction d’un très beau texte en italien d’Igiaba Scego - écrivain somalienne née en Italie, où ses parents étaient réfugiés- qui raconte brièvement et autrement que dans les médias occidentaux, non pas le "conflit local" entre Somalie et Ethiopie mais les suites actuelles de nos colonisations d’hier.

Elle progressse la communauté internationale...

"Au bout de la patience il y a le ciel ?"

"Et quand on ne sait où l’on va, qu’on sache d’où l’on vient"

(Les citations sont d’Ahmadou Kourouma, "En attendant le vote des bêtes sauvages").
M.A.P




[Les troupes sont proches de Mogadiscio. Je pense à mes tantes, à mes innombrables cousins. Je ne peux rien faire pour eux. Halima m’a dit : « Fasse le ciel que cela ne se produise pas, mais si nous fuyons nous laisserons nos tantes à leur destin ». Les tantes sont malades, les transporter est impossible, elles ralentiraient le groupe. Les anciens se sacrifient pour les plus jeunes. ]




Il manifesto, jeudi 28 décembre 2006.




Mon téléphone a la fièvre. Il sonne sans arrêt. En décembre il n’a pas arrêté de sonner.

Période de cadeaux et de bombances, de feintes embrassades et de festins. J’ai reçu des voeux décorés, des cartes postales pré- imprimées, des dents écarquillées en sourires synthétiques.

Le téléphone a la fièvre. Je voudrais ne pas répondre mais je dois. Dans la mélasse de noël peut se cacher aussi quelque coup de fil important. Quelque coup de fil du coeur.

Décembre a été un mois difficile pour moi et pour tous les somaliens. Pour moi parce que j’ai perdu un frère adoré, à cause d’une tumeur. Pour tous les somaliens parce que nous avons perdu les derniers espoirs de paix. Le monde, de fait, nous a jetés dans un précipice de violence que nous espérions éviter jusqu’au dernier moment.

Je ne croyais pas qu’il y eut quelque chose de pire encore que la guerre civile qui a déchiré la Somalie pendant seize ans ; et, au contraire, j’ai dû me raviser, le pire réserve toujours des surprises inattendues.

Quelqu’un m’a demandé : pour qui tu es ? Tu es pour les cours islamiques ou pour le gouvernement de transition ? Je fais répéter la question. Je ne la comprends pas. Les gens pensent à la Roma ou à la Lazio (équipes de foot rivales de Rome, NDT). A Totti et Oddo (joueurs vedettes de ces équipes, NDT). Tout est réduit à une métaphore de foot. Mais il n’y a pas d’écharpes et de tournois dans les rues à Mogadiscio. Dans tout ce délire il n’y a que de pauvres gens. Une inondation a dévasté le pays il y a quelques semaines, maintenant c’est la disette, beaucoup de gens sont touchés par la malaria. Et demain ? Demain je n’ose pas penser à ce qu’il pourra y avoir.

Je vais à un call center. J’appelle la Somalie, ma cousine Halima. Elle, désormais, c’est une ancienne combattante, quand la guerre civile a éclaté en 1991, elle y était. Elle ne raconte pas de blagues, elle. Miraculeusement la ligne fonctionne. Le black out, l’absence de nouvelles viendront ; pour le moment entendre sa voix à l’autre bout du fil me rassérène. La voix de Halima est puissante. Je note cependant une fêlure qui ne me plaît pas.

«  Nous avons peur, dit-elle, ils sont en train de nous bombarder. Ils ont touché les aéroports. Quand ils arriveront ici (les éthiopiens, NDR) ils nous massacreront ». Halima n’a aucun doute sur comment ça va tourner. Bain de sang, viols, vengeances sommaires, tortures. Le coup classique.


La vie au temps des Cours islamiques.

Pendant quelques mois seulement, on a pu respirer à Mogadiscio. Les cours ne sont peut-être pas le meilleur des mondes possibles, je le reconnais. Ils ont des positions ambiguës sur des thèmes fondamentaux comme les droits de l’homme et surtout de la femme. Mais le peuple fatigué a fait confiance à ses traitements. Un de mes cousins éloignés m’explique que « ceux là au moins te laissent vivre ».

Pendant ces mois de contrôle islamiste, les gens ont pu travailler, les femmes circuler dans les rues sans la peur d’être violées et jetées comme des vieux torchons. Le peuple somalien fatigué a pensé que ça pouvait être le paradis. Ca ne l’est pas, nous le savons. Mais la solution, que peut-elle être ? Le dialogue, je pense. On me dit de la cabine de régie que la réponse est erronée.

L’Ethiopie et le soit disant gouvernement de transition somalien (appuyés tacitement par la communauté internationale, Etats-Unis en tête) ont pensé au contraire que c’était une belle trouvaille de disséminer le pays de cluster bombs, qui tueront les enfants somaliens pendant les cent prochaines années. L’invasion éthiopienne reçoit les applaudissements internationaux, Meles Zenawi est considéré comme une pauvre victime du complot islamiste ourdi dans une grotte de nulle part par l’inévitable Ossama Ben Laden.

Le téléphone sonne encore. C’est une amie éthiopienne de Bologne. « Je suis désolée » dit-elle. Elle est triste, mon amie. Elle m’explique que le peuple éthiopien ne veut pas la guerre, c’est Zenawi qui la veut. Cet homme en vérité, la véritable guerre c’est aux siens qu’il la fait, il veut casser la résistance interieure. La Somalie est une bonne excuse pour distraire le peuple de ses droits. Et peu importe si pour garder le pouvoir tu déstabilises toute la Corne de l’Afrique.

Mon amie éthiopienne est préoccupée. Moi plus qu’elle. Les troupes sont proches de Mogadiscio. Je pense à mes tantes, à mes innombrables cousins. Je ne peux rien faire pour eux. Halima m’a dit : « Fasse le ciel que cela ne se produise pas, mais si nous fuyons nous laisserons nos tantes à leur destin ». Les tantes sont malades, les transporter est impossible, elles ralentiraient le groupe. Les anciens se sacrifient pour les plus jeunes. Elle me passe ma tante Faduma au téléphone. Je reconnais sa grosse voix. Elle fait beaucoup de bruit, elle me prend pour une autre nièce. Mais elle est gaie. « Si les éthiopiens viennent je leur en ferai voir de toutes les couleurs ». Elle est vieille ma tante, très. Elle a une jambe hors d’usage. Si les éthiopiens viennent ils s’en serviront comme batte de base ball. Fasse le ciel que non, mais je préfère qu’elle soit morte plutôt que tuée salement. Voilà mes mauvaises pensées de ce sale Noël 2006.


Les responsabilités coloniales de l’Italie.

Les islamistes en appellent au Jihad, le gouvernement de transition par contre parle de souveraineté et de démocratie. Les journaux du monde étiquettent la guerre comme « conflit local ». Dommage que les armes ne soient pas « locales ». Tout le monde a armé tout le monde. Pays arabes assortis, puissances locales africaines, Etats-unis d’Amérique, Erythrée. Beaucoup d’armes sont de fabrication italienne. A propos, que fait l’Italie ? Je sais juste que Prodi a parlé avec Kadhafi de la crise somalienne. Il est préoccupé le Professeur. Préoccupé à cause des réfugiés de la Corne qui débarqueront certainement à Lampedusa. Préoccupé à cause des ires funestes de ses racistes maison. Mais l’Italie sait-elle qu’elle n’est pas exempte de fautes dans ce conflit ? Somalie, Ethiopie, Erythrée. Trois ex-colonies. Trois pays qui de la fin de la seconde guerre mondiale jusqu’à maintenant, se disputent des frontières incertaines que l’Italie a créées. Ils se disputent parce que l’Italie les a dressées l’une contre l’autre. Pour la guerre d’Ethiopie de 1936, Mussolini et ses fidèles hommes de mains ont utilisé des dubats (corps d’armée de guerriers qui se battait aux frontières, créé en 1924 par un général de l’armée coloniale italienne, NDT) somaliens et des ascars érythréens contre Haïlé Sélassié. Et avant cela encore, on avait utilisé les éthiopiens contre les libyens.





Divide et impera. Divise et exploite.

Idée coloniale dont je crains qu’elle ne soit jamais tombée en désuétude. Aujourd’hui nous souffrons aussi à cause de ces anciennes blessures, blessures jamais refermées. Sur Internet en attendant, les somaliens ont exhumé les chants anti-éthiopiens du conflit Menghistu-Barré, cru 77. La haine est en train de prendre de profondes racines. Etrange destin, celui de la Somalie. Du firmament aux bas fonds. Maha Thray Sithu U Thant, diplomate birman, troisième secrétaire des Nations Unies, disait dans les années soixante que « la Somalie est le fils préféré des nations Unies ». Nous étions un exemple. En réalité la gangrène nous avait déjà atteint, elle avait touché toute la Corne d’Afrique depuis longtemps. Aujourd’hui ce sont justement les Nations Unies qui nous tournent le dos. Avant d’arrêter mon coup de fil avec Halima je lui dis « meilleurs voeux », dans quelques jours c’est la fête pour les musulmans. J’ajoute « que Dieu puisse nous donner la paix ». Elle dit « Amen » puis ajoute : « Même Siad Barré ne nous aurait pas vendu aux éthiopiens. Comment cela a-t-il pu arriver ? ». J’arrête. Je n’ai plus de réponses. Je me branche sur Internet. Je vais sur le site de Amin Amir, le Vauro (dessinateur, en particulier pour il manifesto, NDT) somalien. Les dernières vignettes sont sur la guerre.
Sur une, il y a le drapeau somalien, bleu avec une étoile blanche à cinq branches au milieu. Quelqu’un poignarde l’étoile. L’étoile saigne. Le sang sort à flots de l’écran de l’ordinateur. Je pense que Amin est un génie. Le sang est en train de couler à flots des corps de tous les somaliens. Surtout des civils. Je sais, le nouveau vocabulaire politique préfère les appeler dommages collatéraux, mais soyez patients, je suis vieux jeu, pour moi ce sont encore des civils.

Igiaba Scego


Igiaba Scego, « somalienne d’origine, italienne par vocation », née à Rome en 1974, chercheur en pédagogie et écrivain, auteur de « La nomada che amava Alfred Hitchcock » ("La nomade qui aimait Alfred Hitchcock" (non traduit en français).

 Voir aussi en italien, une communication faite par Igiaba sur la littérature des migrants en Europe.
www.eksetra.net/forummigra/relScego.shtml


 Source : il manifesto www.ilmanifesto.it

 Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio




L’agonie de la Somalie dans la morsure des éthiopiens, par Abdi Jama Ghedi.








 Dessin : Amin Amir www.aminarts.com

 Photo : www.eksetra.net


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Puisque le commerce ignore les frontières nationales, et que le fabricant insiste pour avoir le monde comme marché, le drapeau de son pays doit le suivre, et les portes des nations qui lui sont fermées doivent être enfoncées. Les concessions obtenues par les financiers doivent être protégées par les ministres de l’Etat, même si la souveraineté des nations réticentes est violée dans le processus. Les colonies doivent être obtenues ou plantées afin que pas un coin du monde n’en réchappe ou reste inutilisé.

Woodrow Wilson
Président des Etats-Unis de 1913 à 1921

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