Qui ne se souvient pas du célèbre roman de Margaret Mitchell « Autant en emporte le vent » (« Gone with the wind » , 1936), porté à l’écran en 1939 par Victor Fleming et magistralement interprété par Vivien Leigh et Clark Gable ?
Esthétiquement admirable, cette œuvre relate, sur fond de guerre de Sécession, l’écroulement d’un mode vie et des « valeurs » prônées par un Sud blanc, raciste et esclavagiste.
Un monde qu’on croyait à tout jamais emporté par le vent du changement, laminé de concert avec les États confédérés puis, ensuite, balayé par un Mouvement des droits civiques guidé par un illustre pasteur scandant : « I have a dream ! ».
Mais les récents évènements survenus à Charlottesville ont révélé que ce monde n’était pas encore totalement enterré. Un vent du sud souffle sur Washington, charriant avec lui des relents pestilentiels, surtout depuis qu’un certain Donald Trump s’est attablé au bureau ovale.
Lors d’une manifestation d’extrême-droite organisée dans cette ville de Virginie (un état confédéré !), la violence a éclaté entre des suprémacistes blancs, des néonazis et des membres du Ku Klux Klan (KKK) d’un côté et, de l’autre, des militants antiracistes qui avaient organisé une contre-manifestation.
La brutalité a atteint son paroxysme lorsqu’un néonazi, membre d’un groupe de suprémacistes blancs, a délibérément foncé avec sa voiture sur les contre-manifestants causant la mort d’une manifestante antiraciste.
Cette tragédie a eu pour effet de lever le voile sur l’existence, aux États-Unis, d’une multitude de groupes d’extrême-droite qui prône la haine et l’intolérance [1]. D’autre part, une étude montre que leur nombre est en nette progression depuis le début du nouveau millénaire, exception faite d’une brève chute entre 2012 et 2014. Après l’élection de Trump, la hausse a repris de plus belle [2].
Réagissant à ce violent attentat, l’actuel locataire de la Maison-Blanche a, comme de coutume, gazouillé sur la toile. Dans son tweet, on pouvait lire :
« Nous devons TOUS nous unir et condamner tout ce qui représente la haine. Il n’y a pas de place en Amérique pour ce type de violences. » [3]
La réponse du camp de la haine ne s’est pas fait attendre. Elle s’est exprimée par un tweet de David Duke, un ancien dirigeant du KKK :
« Je vous suggère de regarder dans le miroir et de vous souvenir que ce sont les Américains blancs qui vous ont porté à la présidence, pas des radicaux de gauche. »[4]
Quelques jours plus tard, Trump se ravisa et fit une nouvelle déclaration en rejetant la responsabilité de la violence sur les deux camps :
« J’ai condamné les néo-nazis. Mais tous les gens qui étaient là-bas n’étaient pas des néo-nazis ou des suprémacistes blancs, loin s’en faut. Il y avait des gens très bien des deux côtés. » [5]
Ce qui attisa la joie de David Duke [6] et l’ire d’une large frange de la classe politique [7].
Cette réaction de Donald Trump n’était pourtant pas étonnante si l’on considère la nature de sa base électorale [8], ses relations avec l’extrême-droite [9] ainsi que celles de son père avec le KKK [10].
Le sénateur John McCain fait partie de ceux qui n’ont pas apprécié la déclaration du président américain.
« Il n’y a pas d’équivalence morale entre les racistes et les Américains se battant contre la haine et le sectarisme. C’est ce que le président des États-Unis devrait dire. » [11]
Il est évident que le sénateur de l’Arizona n’apprécie pas les néonazis qui perturbent la tranquillité des citoyens américains et qui écrasent les jeunes filles avec leurs autos. Mais alors que faisait-il en Ukraine lors de l’Euromaïdan ? N’avait-il pas aidé des néonazis ukrainiens à commettre des assassinats, à perpétrer un coup d’état contre un président élu et à prendre le pouvoir [12] ?
Le président Obama a, quant à lui, rédigé un tweet qui est passé à la postérité en reprenant une citation de Nelson Mandela. Vrai signe des temps, ce gazouillis est devenu le plus « liké » de toute l’histoire [13].
Mais au fait, Obama n’était-il pas président des États-Unis lors de l’Euromaïdan ?
Et ce n’était pas sa sous-secrétaire d’État pour l’Europe et l’Eurasie, Victoria Nuland, qui distribuait des biscuits aux « gentils » émeutiers néonazis ukrainiens [14], appelant les leaders de l’Euromaïdan par leurs petits noms tout en utilisant un langage châtié en parlant des alliés européens : « Fuck the UE ! » [15].
Mais tant qu’ils font du grabuge dans des pays autres que celui de l’Oncle Sam, les néonazis sont sympathiques, n’est-ce pas ?
Il faut reconnaître que la connivence entre l’administration américaine et les nazis ukrainiens et leur utilisation dans des objectifs géostratégiques servant les intérêts des États-Unis ne date pas de l’Euromaïdan, loin s’en faut.
Durant la seconde guerre mondiale, les nationaliste ukrainiens de l’OUN-B (OUN : Organization of Ukrainian Nationalists) ainsi que leur leader, Stepan Bandera, ont collaboré de manière active avec l’Allemagne nazie [16]. Ce sont ces nationalistes qui ont été impliqués dans le massacre et la torture inhumaine de milliers de Juifs, en particulier dans la ville de Lviv [17].
Après la fin de la guerre, les services secrets américains ont recruté de nombreux nazis, fascistes et criminels de guerre pour combattre l’URSS [18]. Certains d’entre eux ont été accueillis aux États-Unis et y ont vécu [19],[20]. Parmi eux, citons Mykola Lebed, un proche collaborateur de Bandera, qui a été recruté et financé par la CIA. Installé à New York, il n’a jamais été inquiété et ses crimes de guerre ont été passés sous silence. Pour la petite histoire, ce « charmant » personnage était qualifié de « sadique bien connu et collaborateur allemand » dans un rapport de l’armée américaine [21] de l’époque.
Un autre exemple édifiant est celui de Yaroslav Stetsko, le numéro deux de l’OUN-B et un des responsables du massacre antisémite de Lviv. Le 19 juillet 1983, ce notoire criminel nazi a été reçu en grande pompe à la Maison-Blanche par le président Reagan qui lui dit : « Votre lutte est notre lutte. Votre rêve est notre rêve » [22].
Les États-Unis ne se sont donc jamais offusqués du nazisme, du fascisme ou du racisme pour autant qu’ils servent leurs intérêts. La seule différence, comme le note si bien un journal français, est que « sous Trump, l’Amérique raciste défile et défie à visage découvert » [23].
De quoi faire rêver les suprémacistes blancs américains à un remake du film de Victor Fleming. Mais avec un nouveau titre : « Autant en apporte le vent » !
Ahmed Bensaada
Montréal, le 21 août 2017
Chronique parue dans le numéro de septembre 2017 du mensuel Afrique Asie (www.afrique-asie.fr)