En 2029, le pipeline de la Cie Enbridge qui passait près de Montréal, Henri et Noah étaient en train de cuire un magnifique BBQ. La bière coulait à flot. Les enfants jouaient, criaient, et s’arrosaient. C’était le 31 juillet et le mercure indiquait 31 degrés.
Pendant ce temps, un employé de la compagnie, qui devait vérifier le pipeline fora un trou pour y insérer une caméra d’inspection. Se trompant dans ses calculs, il perça le pipeline. Sous une chaleur qui lui donnait le tournis, il ne rendit pas compte que la mèche utilisée était la plus grosse, étant donné qu’il avait placé la boîte à l’envers et que ses lunettes étaient accrochées à son cou.
Les enfants jouaient, criaient, s’arrosaient. Et le poulet grésillait…
Les 40 pigeons qui habitaient la maison de Marcel partirent dans une volée affolée dans un bruit d’applaudissements dans l’air : Clap ! Clap ! Clap ! Clap.
« Sales oiseaux », se lamenta Henri.
Une dizaine de rats cachés dans les égouts virent passer le grand filet noir. Ils s’enfuirent à griffes ouvertes. Les rats avaient un langage que ne comprenaient pas les humains. Mais dans une hâte soudaine, 1 50,000 rats se mirent à quitter les bas-fonds de la ville pour échapper au massacre.
Et les enfants s’arrosaient, criaient, chantaient.
L’employé qui avait émis un message à la compagnie était affalé sur le gazon, regardant son émission préférée sur sa télé imbriquée dans le panneau du camion, Il s’impatientait. Il sortit alors, en soupirant, un paquet de cigarettes et scruta l’image des poumons noircis , puis, poussant un soupir, décida d’en griller une.
Au moment où il alluma sa clope, des milliers de rats, tous couverts de pétroles bruts, sortirent des égouts. À travers la file de voitures électriques branchées pour être chargées, le troupeau de rats se mit à se trémousser pour se débarrasser du pétrole. Ils se secouaient comme des chats mouillés.
L’employé échappa sa clope, écarquillant les yeux, tenta de l’éteindre et émit un gémissement. En une fraction de seconde, il entendit dans son Walkie-Talkie un message : « Nous partons ».
Il paniqua, courut vers son costume « anti-brûlure », l’enfila au même moment qu’eût lieu l’explosion.
Les Chinois n’auraient pas fait mieux : Tous les rats de la ville se mirent à voler et se mêlèrent à tous les pigeons du quartier. On entendait pétarader les voitures électriques, rapidement carbonisées explosaient en laissant l’acide des batteries se répandre dans l’atmosphère.
Un peu avant que l’employé fermât les yeux, les rats carbonisés, les pigeons, et un nombre incroyables d’humains eux aussi noircis, étaient devenus volants. Il lui apparut alors qu’ils demeurèrent pendant longtemps en suspend. Si longtemps que la dernière image qu’il pût voir fut celle d’un brasier de flammes sur lequel dansaient des cadavres dans un mouvement circulaire comme celle des BBQ.
Pendant ce temps, au Parc des SDF, parmi les 250 000 encore vivants depuis la crise 2008, 25 000 se faisaient une soupe avec les restes de poubelle des restaurants chics de la ville et s’arrosaient de l’eau qu’on leur avait donnée, en geyser, par pitié. De l’’eau sortie de l’asphalte quand le système automatisé de la ville les démarrait au moment où la température atteignait 30 degrés Celsius.
Armand, Roland, Jean-Marc, Thierry, Arnold, priaient pour qu’un jour Dieu intervienne, levèrent les yeux vers le ciel en guise de désespoir.
Les lèvres gercées, les yeux bouffis par la misère, ils restèrent bouche bée : du ciel arrivait le plus beau, le plus gigantesque BBQ du monde, enfin un repas envoyé du ciel : volaille, porcelet, cuisses, poitrines, pattes de grenouilles, jambons, jarrets, etc. Le festin…
Ils criaient, s’arrosaient et chantaient.
Un déchu ayant fait faillite, se dit qu’il était venu le moment de s’enrichir : au lieu de manger, il ramassa tout ce qu’il put et les accrocha aux arbres pour les vendre par la suite.
On vit au loin de grandes lueurs rouges, des camions d’incendie et des autos pétarader dans le ciel en feux d’artifice agrémentant la fête.
Hourra !
Et des centaines de SDF revinrent des quartiers riches avec des milliers de bouteilles de vin et de bière.
Tard dans la nuit, une équipe de sauvetage de la Compagnie retrouva le corps de l’employé : le corps, à moitié immergé dans son habit de protection était quasiment intact.
Il ne manquait que la tête.
Gaëtan Pelletier, le 13 décembre 2013