Il cite Graham Green, qui écrit dans A la rencontre du Général :
"En août 1981, alors que mes valises étaient prêtes pour mon cinquième voyage au Panama, j’appris par téléphone la mort de mon ami le général Omar Torrijos Herrera, qui y était mon hôte. Le petit avion dans lequel il se rendait à sa maison de Coclesito, située dans les montagnes panaméennes, s’était écrasé au sol, sans laisser de survivants. Quelques jours plus tard, son garde de sécurité, le sergent Chuchu, alias José de Jesûs Martinez, ex-professeur de philosophie marxiste à l’université de Panama, professeur de mathématiques et également poète, me dit : " Il y avait une bombe dans l’avion. J’en ai la certitude, mais je ne peux vous expliquer pourquoi au téléphone." "
On pleura partout la mort de cet homme qui s’était fait une réputation de défenseur des pauvres et des faibles et l’on demanda à Washington d’ouvrir une enquête sur les activités de la CIA. Cela ne risquait cependant pas d’arriver. Parmi les ennemis de Torrijos se trouvaient des gens immensément puissants.(p180)
Les chefs militaires étaient particulièrement irrités par les clauses du traité Carter-Torrijos qui les forçaient à fermer l’École des Amériques et le centre d’entraînement militaire tropical du U.S. Southern Command.
Parmi les ennemis commerciaux de Torrijos se trouvaient les grandes multinationales. La plupart entretenaient des liens étroits avec des politiciens américains et exploitaient la main-d’œuvre et tes ressources naturelles de l’Amérique latine : le pétrole, le bois, l’étain, le cuivre, la bauxite et les terres agricoles. (p.181)
À J’époque, je ne pouvais pas prévoir que Torrijos collaborerait avec Carter pour rendre le canal de Panama au peuple méritant légitimement de le posséder, ni que cette victoire, comme ses tentatives pour réconcilier les socialistes et les dictateurs latino-américains, irriterait suffisamment le gouvernement Reagan-Bush pour qu’il cherche à l’assassiner
Je ne pouvais pas prévoir non plus qu’il serait tué lors d’un simple vol dans son Twin Otter, ni que la plupart du monde extérieur aux États-Unis serait convaincue que sa mort, à l’âge de cinquante-deux ans, n’était que le plus récent d’une série d’assassinats perpétrés par la CIA.
S’il avait vécu, Torrijos aurait sans doute cherché à apaiser la violence endémique qui sévissait dans tant de nations d’Amérique centrale et d’Amérique latine. Vu ses antécédents, on peut présumer qu’il aurait tenté de conclure une entente afin de limiter la destruction des régions amazoniennes de l’Équateur, de la Colombie et du Pérou par les compagnies pétrolières internationales. Il en aurait résulté, entre autres, la réduction des terribles conflits qualifiés de guerres terroristes ou de guerres de la drogue par Washington, mais que Torrijos considérait comme les actes désespérés de gens ordinaires lentant de protéger leur foyer et leur famille. En outre, je crois bien qu’il aurait (p. 182)
Dès la fin des années 80, il devint manifeste, avec l’effondrement de l’Union soviétique et du mouvement communiste mondial, que le combat contre le communisme n’était plus le but que l’on poursuivait. Il était également évident que l’empire global, enraciné dans le capitalisme, aurait le champ libre. (p. 192)
L’héritage de Torrijos était encore vivant, même s’il était perpétué par des gens n’ayant ni sa compassion ni sa force de caractère. Les tentatives de Panama pour régler les différends dans l’ensemble de l’hémisphère se poursuivirent, tout comme persista la volonté de forcer les Ëtats-Unis à respecter les clauses du traité du canal. (p.197)
Noriega se retrouvait avec un président américain souffrant d’un problème d’image, ce que les médias appelaient l« facteur mauviette » de George H. W. Bush . Cela devint manifeste quand il refusa obstinément d’accorder une extension de quinze ans à l’École des Amériques. Ses mémoires contiennent un passage intéressant à ce sujet : "Malgré toute notre détermination et notre fierté de poursuivre l’œuvre de Torrijos, les États-Unis ne voulaient rien entendre. Ils désiraient une extension ou une renégociation sur l’installation [l’École des Amériques], disant qu’ils en avaient encore besoin à cause de leurs préparatifs de guerre en Amérique centrale. Mais cette École des Amériques nous mettait dans l’embarras. Nous ne voulions pas sur notre sol d’un terrain d’entraînement pour escadrons de la mort et militaires répressifs de droite. "
Le monde aurait peut-être dû s’y attendre, mais il fut néanmoins stupéfié lorsque, le 20 décembre 1989, les États-Unis attaquèrent le Panama, y lançant la plus grosse attaque aérienne commise sur une ville depuis la Deuxième Guerre mondiale. Cette agression sur une population civile ne répondait à aucune provocation. Le Panama ne constituait une menace ni pour les États-Unis ni pour aucun autre pays. (p.198)
Cette action unilatérale des États-Unis fut dénoncée par des politiciens, des gouvernements et la presse du monde entier comme une violation flagrante de la loi internationale.
Comme l’explique Noriega : "Je tiens à le préciser clairement : la campagne de déstabilisation lancée par les États-Unis en 1986 et qui s’est terminée par l’invasion du Panama en 1989 fut le résultat du rejet par les États-Unis de tout scénario comportant le contrôle futur du canal par un Panama indépendant, souverain et soutenu par le Japon "
La justification officielle fournie par Washington pour cette attaque ne reposait que sur un homme. Noriega était l’unique raison pour laquelle les États-Unis avaient envoyé des jeunes hommes et des jeunes femmes risquer leur vie et perturber leur conscience en tuant des gens innocents, dont un nombre inconnu d’enfants, et en mettant le feu à de larges portions de la ville de Panama. On dépeignait le général comme un méchant ennemi du peuple, un monstre trafiquant de drogue, ce qui fournissait au gouvernement une excuse pour envahir ce petit pays de deux millions d’habitants qui, comme par hasard, comportait l’un des plus précieux territoires du monde. (p.199)
Si le monde fut outré par cette entorse à la loi internationale et par l’inutile destruction d’une population sans défense par la plus puissante force militaire de la planète, peu d’Américains furent conscients de l’outrage ou des crimes commis par Washington car la couverture médiatique de ces événements fut très limitée. (p. 201)
Jackson MILTON