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Emmuré(e)s vivant(e)s

Ce samedi soir, pas mal chamboulée par de mauvais souvenirs qui refaisaient surface, j’avais décidé de m’imposer une discipline drastique pour contrer les effets de mes pensées tourmentées : regarder du début à la fin une émission de télé-réalité, n’importe laquelle, pensant que je tenais là l’antidote.

En changeant de chaîne, je tombais finalement sur l’émission The Voice (La Voix), sorte de télé-crochet où de jeunes chanteurs s’époumonent sur des reprises de chansons de variété, tandis que de « grandes pointures » de la chanson française (Zazie, Florent Pagny et deux autres personnes non identifiables) écoutent religieusement la performance, tournant le dos au chanteur et qui, en fins limiers dénicheurs de nouveaux talents, finissent par appuyer, ou non, sur un énorme bouton poussoir pour signifier leur état de grâce. Leur énorme siège se met à pivoter afin de pouvoir découvrir de leurs yeux ébahis la perle rare. Tout le monde applaudit.

La soirée se passait plutôt bien. Aucune chanson ne me plaisait, les commentaires étaient d’une futilité incroyable, le décor hideux, les jeunes talents sans grand talent. Bref, je finis par me détendre un peu et même par laisser échapper un soupir de soulagement. Je ne trouverai définitivement rien d’intéressant ici. Intérieurement je bénissais TF1. Je finis même par m’endormir devant la télé.

Pourtant, au milieu de la nuit, je me réveillais d’un oeil devant un court reportage de la même chaîne. Il était question de Mélania Trump, épouse de Donald, dont j’ignorais jusqu’alors l’existence, le nom et le visage. Au cours de la cérémonie d’investiture de son illustre mari, le visage de Mélania, souriant comme à son habitude, avait subitement changé d’expression. Beaucoup de gens s’interrogeaient alors sur les raisons de ce brusque changement, ce qui avait provoqué, selon la formule journalistique consacrée, une vive polémique au sein des réseaux sociaux.

Mélania était alors décrite comme étant une femme effacée et assez mal à l’aise en public. Le reportage pointait aussi du doigt le fait qu’elle vivait à New York, tout en haut de la ‘Trump Tower’ avec son fils de 11 ans, et non à la Maison Blanche auprès de son époux, comme c’est pourtant l’usage pour la famille du Président. Il y avait là, à en croire le commentaire, un lourd mystère derrière ce sourire étiolé de la First Lady.

Ma tête retomba mollement sur le canapé et je m’endormais profondément cette fois-ci. Seulement, cette nuit-là, Mélania Trump s’invita dans mes rêves, ou plutôt dans mes cauchemars.

Vêtue d’une longue chemise de nuit blanche resserrée aux poignets, Mélania, échevelée et haletante, prenait la fuite. Son mari, tyrannique et ambitieux, cherchait coûte que coûte à la réduire au silence, la percevant comme une menace pour son rayonnement personnel. Il l’avait peu à peu isolée du reste du monde en lui imposant de ne plus sortir de la maison et de ne parler à personne.

La marâtre, qui vivait sous leur toit, lui injectait elle-même de puissants psychotropes dans le bras pour la maintenir dans un état léthargique. Mélania avait pourtant réussi à s’échapper par la fenêtre restée ouverte et courait les pieds nus sur le bitume glacial et trempé. Il ne lui restait alors plus qu’une haie de feuillages à franchir pour échapper à ses bourreaux. Mais trahie par son propre corps, et à bout de force, elle s’effondra sur le sol et fut rapidement rattrapée par le mari qui la blâmait sévèrement tout en la ramenant de force à l’intérieur de la maison. Il décida alors de prendre les mesures qui s’imposaient.

Se réveillant dans son lit, unique mobilier de sa chambre aux murs dénudés, Mélania émergeait péniblement d’un lourd sommeil. Elle s’empressa pourtant de diriger son regard vers la porte. Quelle ne fut pas sa vision d’horreur ! L’embrasure laissait apparaître un mur de parpaings gris monté à la hâte pendant son sommeil. Elle se leva précipitamment et se mit à tambouriner de toutes ses forces contre le mur rugueux. Des coulures de béton frais dégoulinaient encore. Elle se sentait brutalement désespérée d’autant plus qu’elle savait parfaitement au fond d’elle-même que personne ne l’entendrait et qu’il n’y avait aucune chance pour faire ne serait-ce que vaciller le mur de ses poings trop faibles.

Je me réveillais en sursaut, le souffle court. Ça n’était qu’un cauchemar.

Le lendemain, tout en tartinant ma biscotte d’une main un peu vacillante, je me demandais si je pouvais bien avoir quelque chose de commun avec cette femme et je commençais même à m’inquiéter bêtement pour elle. Ex-mannequin slovène d’1 mètre 80, elle a grandi en Yougoslavie, naturalisée américaine en 2006. Elle a presque le même âge que moi, et aussi un fils du même âge, vêtu d’un blazer et d’une cravate sur les photos. Celui-ci n’avait pas hérité de la chevelure foisonnante de son père mais finirait sans doute par hériter de tout le reste. Je me demandais si à lui aussi il lui arrivait de temps en temps d’adresser au ciel un bras d’honneur vigoureux en s’exclamant : « Et tiens ! J’emmerde le Système ! » Pas sûr.

Mais de quel mal pouvait bien souffrir Mélania Trump ? Du mal de mer ? Peut-être avait-elle imaginé sa reconversion de mannequin tout autrement ? Peut-être avait-elle nourri l’ambition de pouvoir un jour faire pivoter d’imposantes lettres lumineuses dans un jeu télévisé où les candidats frétillent en faisant tourner une grande roue ?

Plus tard dans la journée, par curiosité, j’allumais la télévision pour vérifier l’état du monde.

Côté « divertissement », le chef étoilé Philippe Etchebest, le visage perlé de sueur, hurlait au visage d’un restaurateur en difficulté, qui avait choisi de sacrifier sa fierté devant l’œil des caméras, s’étant imaginé que la chaîne M6 lui avait envoyé son sauveur. Cyril Hanouna gesticulait et s’esclaffait bruyamment, loin de son pupitre, laissant penser qu’un gag monumental venait de se produire.

Côté « information », Jean-Pierre Pernaud, qui n’en finit décidément plus de faire le tour des régions alors qu’il y en a deux fois moins qu’avant, s’inquiétait sérieusement que la fabrication artisanale de bilboquet en Haute-Savoie soit menacée, par manque de clients.

Tout était normal. Ou plutôt, tout était habituel.

Un peu remise de mes émotions, j’apprendrai plus tard, sans même n’avoir rien demandé, que Mélania Trump irait finalement bien vivre à la Maison Blanche avec son fils. La Terre pouvait donc continuer de tourner avec, pour épicentre, les Etats-Unis, Donald Trump à la barre du navire, moumoute au vent, et Mélania à ses côtés, apparemment rentrée dans le droit chemin.

En revanche, je ne pouvais pas m’empêcher de penser que les médias étaient finalement assez peu loquaces au sujet de ces autres personnes qui avaient elles aussi quelques tracas et pourtant parfaitement liées au sort de ce grand pays majestueux que sont les Etats-Unis d’Amérique.

A titre d’exemple, je me contenterai de citer le cas du guérillero colombien Simon Trinidad. Condamné à 60 années de prison pour avoir, selon la Justice américaine, kidnappé et séquestré trois honnêtes citoyens américains qui travaillaient tranquillement à repérer les champs de coca depuis leur avion. Dans leur témoignage « d’ex-otages », un livre écrit à six mains mais à un seul cerveau (et lequel), les trois mercenaires évoquaient, sans l’ombre d’un complexe, le « business » attrayant que représente la dite « lutte anti-drogue » en Colombie et qui leur permettait alors d’offrir fièrement à leur petite famille un niveau de vie très élevé.

Sans doute très pudiques, les trois hommes avait préféré cependant passer sous silence les quelques dizaines, voire centaines de fillettes colombiennes violées par leurs collègues, et éventuellement par eux-mêmes, dont les supplices sont filmés puis revendus aux Etats-Unis comme matériel pornographique. Un business sans doute tout aussi lucratif et sans aucun risque, puisqu’un accord d’immunité diplomatique a été signé entre les deux pays « amis », garantissant ainsi une tranquillité totale aux honnêtes citoyens nord-américains travaillant durement en terre hostile pour nourrir leur famille restée au pays.

Le colombien Simon Trinidad serait cependant libérable en 2064 à l’âge de 114 ans. Il ne parle pas l’anglais. Et d’ailleurs il ne lui est pas permis de parler à qui que ce soit. Sa compagne et sa fille de 15 ans ont toutes deux été tuées par des bombardements aériens alors que lui était déjà derrière des cloisons épaisses d’un mètre de béton.

Un peu plus « connu », il y a le cas d’Ana Belen Montès. Analyste du Pentagone, elle a fait le choix courageux d’informer Cuba des projets préparés par les Etats-Unis contre l’Ile. Elle a été arrêtée en 2001. Elle est actuellement internée dans un service psychiatrique d’une prison du FBI alors qu’elle ne souffre, pour l’instant, d’aucune pathologie avérée. Elle retrouverait sa liberté en 2027 mais peut-être aussi du coup le chemin vers le milieu psychiatrique.

Sinon il y a aussi Chelsea Manning, ce gamin qui s’est engagé dans l’armée américaine et envoyé en Irak en essayant sans doute de convaincre son entourage, et peut-être lui-même, qu’il était bien un homme, un vrai, un dur. Son lourd secret l’a rattrapé. Il fallait que tout explose au grand jour. « Si tout se passe bien », après sept années d’emprisonnement et deux tentatives de suicide dans une prison de haute sécurité, il, ou plutôt ‘elle’, devrait voir le jour d’ici quelques semaines. Attendons l’heureux événement.

Je me demande finalement s’il n’y aurait pas là quelques bonnes raisons pour arrêter de sourire niaisement, sans trop savoir pourquoi.

Marie Blachère
En Zone de Transition
Moi aussi j’ai ma propre vision du monde

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