Simplement parce qu’il y a à l’évidence du réactionnaire aussi au sein de l’islam comme chez des musulmans. « Un certain islam pose problème. Certains musulmans posent problème » ai-je pu écrire (en a-position) récemment sur Mediapart . Et ce n’est pas le terrorisme de l’EI qui est ici visé .
– Débat sur l’intégrisme.
Ma critique vise l’intégrisme religieux, les intégrismes religieux. Pas que celui des musulmans ou des juifs. (Lire ici sur la critique des intégrismes le livre de D. Béresniak qui est ancien mais qui portait déjà une critique instruite sur laquelle je me suis longtemps appuyé avant de déployer ma propre critique).
Edwy Plenel écrit pourtant (page 12), évoquant la critique globalisante de l’islam « langue de l’ignorance qui, à raison de leur religion, enferme en bloc dans une même réprobation des hommes, des femmes, des enfants, quelles que soient leur diversité et leur pluralité ». Cette idée d’assimiler « en bloc » est répétée page 102. Les musulmans sont donc divers. Mais cette diversité n’est pas questionnée. Qu’est ce que cela signifie ? Il semble que ce soit - ce n’est pas dit explicitement - que certaines musulmanes portent le voile, d’autres non. Sur les tendances régressives au sein de cette religion, comme dans d’autres on ne saura rien. Pas une question ! Quid du conservatisme ? Quid de ce qui dans les religions est à critiquer car lourd d’oppression ? Rien. Intégrisme ? Rien.
Edwy Plenel n’évoque par contre l’intégrisme qu’à propos de la laïcité alors que c’est la religion qui est son domaine de référence premier. Il écrit page 90 « Ces laïcistes sont à la laïcité ce que l’intégrisme est à la religion ». Il y a pourtant de quoi dire plus en écrivant un tel livre ! D’autant plus que pour partie le dit « intégrisme laïcard » n’est qu’une réponse à l’intégrisme musulman.
Ce dernier est perçu comme montant tant au plan de sa dynamique historique (« verticalement ») qu’au plan de son influence géographique ( « horizontalement » : emprise territoriale grandissante). Reste certes à bien apprécier cette dynamique mais elle est là. Faut-il alors attendre plus encore, tant la chose devient visible là où on ne voyait rien il y a encore dix ans ? Une sous-culture sexoséparatiste s’installe. Certaines mesures comme la loi du 15 mars 2004, interdisant les signes religieux ostensibles à l’école publique, participent du recul de l’intégrisme religieux. Il y en a d’autres.
Prenons acte que le terme intégrisme a été étendu avec plus ou moins de pertinence à d’autres champs que la religion (catholique d’abord - « l’intransigeantisme » - puis les autres ensuite) pour signifier de façon souvent superficielle abus, excès, autoritarisme, mais sa pertinence première reste le domaine de la religion où il se distingue du fondamentalisme, catégorisé comme tel par analyse au plus près de la source textuelle, l’intégrisme étant lui analysé plus près des effets sociaux de l’interprétation des textes et traditions. Mais le plus souvent on assimile fondamentalisme et intégrisme religieux la différence étant mineure.
– Perspective critique.
Une lecture critique et non pas apologétique se doit, à mon sens, d’éviter de voir cette religion, tout comme les autres religions, comme étant soit « toute bonne » (façon E. Plenel) soit « toute mauvaise », (façon Riposte laïque) - tendance générale que j’ai appelée « Le binarisme interprétatif des religions » (1).
On peut cependant faire une critique philosophique radicale de la religion où l’on ne trouve rien de bon, mais alors il convient d’éviter l’attribution à tous les croyants (pour la question du racisme - cf Redeker) et il convient sans doute aussi (au plan intellectuel) de distinguer un défenseur progressiste de la foi et de la religion d’un défenseur fondamentaliste (du côté de la source d’interprétation) ou intégriste (du côté des effets de l’interprétation avec notamment un corpus rigide de prescriptions de normes fort contestables avec un dispositif de suivi).
Pour dire les choses simplement, chacun sait qu’il y a des musulmans vivables et d’autres invivables tout comme il y a des chrétiens vivables et d’autres invivables - les bigots - qui ne cessent de vous imposer leurs bondieuseries à toute heure du jour. Pareillement pour les juifs ! Pour être vivable il ne faut pas faire de sa différence un étendard contre la vie commune, étendard qui s’impose tous les jours, chaque jour aux proches.
Ma critique sera développée sous les 4 points mis en avant :
1 - Le titre est amalgamant : il communautarise à tort.
Le titre lui-même « Pour les musulmans » est déjà passible d’emblée d’une critique : comment Monsieur Edwy Plenel peux-t-il essentialiser ainsi les musulmans ? Son titre est d’emblée lourd d’un amalgame entre les musulmans intégristes et les autres musulmans. Il englobe au lieu de distinguer. Ce faisant il « couvre » les oppresseurs.
Comme argument il prend appui sur le « Pour les juifs » de Zola mais sans voir que ce titre de Zola est tout aussi contestable de nos jours. On ne saurait communautariser ni les juifs, ni les musulmans, ni les catholiques, ni les protestants, etc. Dans chaque religion et pour chaque religion on doit maintenir intellectuellement une perspective critique qui voit en son sein du négatif, de l’oppressif, du réactionnaire.
Pensez notamment au sexoséparatisme largement porté par les religions jadis, puis encore de nos jours par les fractions intégristes. Certains membres des religions défendent ce sexisme structurel nommé sexoséparatisme (renvoi ici) de façon virulente. C’est une lourde régression. Il n’y a que la « gauche régressive » a vouloir minimiser ou taire cette pression sexiste, cette infériorisation des femmes, pas la gauche critique ou gauche d’émancipation (selon la terminologie employée).
2 - Tout son livre porte une telle généralisation intellectuellement contestable.
Tout son livre met dans un même sac communautaire l’ensemble des musulmans comme si une fraction d’entre eux ne se distinguait pas par une lecture particulièrement archaïque de l’islam au plan des moeurs. Pour répondre à ceux qui généralisent à tous une pratique détestable de certains - ce que l’on nomme islamophobie (haine et détestation de tous les musulmans) - il défend une communauté faussement « bisounours », faussement bonne, où derrière la diversité admise une fraction ne poserait pas de réels problèmes. C’est niaiserie. C’est indigne d’un intellectuel critique. D’un intellectuel de gauche qui refuse les dominations et les oppressions
Certains musulmans font une lecture progressiste de l’islam en mettant en avant la liberté des femmes et l’égalité hommes-femmes - nous en sommes solidaire - alors que d’autres se focalisent sur l’inégalité entre hommes et femmes et sur un sexoséparatisme à construire ou maintenir. Nous les combattons . Donc pas de fausse mise en communauté : Ils sont tous musulmans mais avec des lectures et des pratiques très opposées. C’est un peu comme si on amalgamait les membres de la théologie de la libération avec l’Opus Dei ou les intégristes catholiques qui refusent la « seconde modernité » de De Singly au profit d’un retour à une société autoritaire et hiérarchisée avec des moeurs bridées où les femmes restent à la maison et sont dépourvues de libertés (2).
3 - Edwy Plénel reproduit l’erreur de Pierre Tévanian sur la « haine de la religion ».
La religion est un dispositif qui surplombe les humains. Haïr la religion ce n’est pas haïr les humains. Haïr ce qui opprime les humains c’est au contraire aimer les humains.
En somme il faut distinguer la critique philosophique de la religion qui est une chose et la critique des croyants qui en est une autre. Passer de l’un à l’autre sans nuance est source d’amalgame fort contestable. Pensez à M Redeker qui attribuait, il y a dix ans, à tous les musulmans les nombreuses tares de l’islam et du Coran qu’il y avait trouvé.
Par ailleurs, la critique de la religion peut porter sur plusieurs aspects fort différents. La critique de la croyance où la foi n’est pas exactement la même que la critique des appareils - masculin souvent - de reproduction et d’influence idéologique de la dogmatique spécifique à chacune, tant dans le temps (multiséculaire) que dans l’espace (sur plusieurs continents pour les principales religions). Il y a aussi la critique en terme d’aliénation (qui n’est pas la mienne mais qui a sa légitimité) qui diffère de la critique en terme d’oppression (qui est plus consciemment subie à la différence de l’aliénation qui peut être inconsciente). Pour le refus de l’oppression il y a la ferme critique de l’autoritarisme et de l’intolérance qui vise les fractions intégristes, la composante réactionnaire des religions (qui porte contre les mécréants, les homosexuels, les femmes libres, les jeunes, les moeurs trop libres, etc).
4 - Ce qui pose problème dans l’islam.
Edwy Plenel répond en quelque sorte « Il n’y a pas de problème de l’islam » à ceux qui (comme Finkielkraut qu’il cite) disent « Il y a un problème de l’islam en France » (page 11 de son livre).
Ma position est : un certain islam pose problème ainsi que certains musulmans mais il en est de même de certains juifs, notamment des juifs haredim qui diffusent un sexoséparatisme aussi détestable que celui des musulmans intégristes, aussi détestable que celui des catholiques de jadis, grosso modo avant 1955 - 1960.
Dans toute culture, dans toute civilisation il y a une part d’ombre, il existe des sous-cultures qui diffusent des normes contestables à des niveaux variables, plus ou moins massifs : sous-culture virilistes, machistes, marchande-consuméristes, concurrentialistes, sexoséparatistes, etc. On ne saurait faire l’impasse de ces critiques et de ces recherches. La notion de sous-culture (cf Martine Boudet) est à mettre en oeuvre. Il y a encore du travail devant nous.
Une telle position a évidemment des répercutions sur les solidarités et les alliances, point débattu ailleurs. Brièvement, il existe partout des musulmans et musulmanes qui sont fort critiques de l’islamisme, du satanisme, de l’intégrisme, bref des courants religieux qui déploient chez les musulmans une version très réactionnaire de l’islam. Nous devons en être solidaire.
XX
Ce texte se limite à une courte critique du livre de 135 pages d’Edwy Plenel qui fut jadis, comme moi, membre de la LCR, une organisation marxiste internationaliste de défense des prolétaires de tous les pays, mais aussi une organisation féministe et antiraciste tout autant qu’anti-impérialiste et anti-colonialiste. Aujourd’hui nous luttons contre les dominations et les oppressions mais cela n’est pas simple. Il y a du complexe donc du débat. Un débat qui pour moi n’est pas synonyme de calomnies diffamantes ou d’insultes méprisantes.
Christian DELARUE
Contributeur à :
« URGENCE ANTIRACISTE - Pour une démocratie inclusive » (ouvrage collectif coordonné par Martine BOUDET aux éditions du Croquant mars 2017)
« Pour une politique ouverte d’immigration » - Groupe Migrations d’ATTAC France - Ed Syllepse 2009
XX
1) Binarisme interprétatif de la religion ou pluralité des compréhensions d’une même religion. C. Delarue
http://amitie-entre-les-peuples.org/Binarisme-interpretatif-de-la-religion-ou-pluralite-des-comprehensions-d-une
2) On me dira que de nombreux membres de la théologie de la libération étaient toujours contre l’avortement. Ils avaient tort sur ce point (selon moi et beaucoup d’autres qui privilégient le droit des femmes à n’avoir pas d’enfants). Mais par ailleurs ils défendaient une conception de la société plus ouverte, plus libre où les femmes étaient à égalité de droit avec les hommes.
Ce texte est ici :
http://amitie-entre-les-peuples.org/E-PLENEL-Pour-certains-musulmans-et-pour-certains-juifs