Après plus d’une trentaine années à délibérer sur la question, l’écologie est maintenant devenue centrale dans le débat public. Et ceci à un point tel que même les vieux partis conservateurs sont forcés de se plier à cette tendance. Malgré tout, le problème du dérèglement climatique et des formes diverses que prend la pollution n’ont pas encore été réellement abordés autrement que par de beaux discours, de bonnes intentions et des accords internationaux non respectés... Les gestes volontaires des citoyens et le gaspillage un peu trop ostentatoire de certaines entreprises ont certes fait quelques avancées, mais rien de significatif (et surtout de systémique) n’a encore vraiment été initié, malgré tout le sérieux de l’enjeu.
C’est dans ce contexte d’attentisme exacerbé que Greta Thunberg a fait son apparition sur la scène internationale. Cette jeune Suédoise, qui interpelle et juge les principaux dirigeants du monde au nom de la jeunesse, est devenue le symbole de la lutte aux changements climatiques. L’apparition médiatique de cette jeune fille n’est cependant pas sans poser quelques questions, puisque son profil n’a rien d’extraordinaire et son abnégation envers la cause est loin d’être une exception. En réalité, la soudaine popularité médiatique de Greta Thunberg a plutôt à voir avec le carnet d’adresses de ses parents et des entreprises de communication dite « verte » plutôt que sur ses seuls faits. Mais enfin, comme le dit l’adage des dernières semaines : « Quand Greta montre la catastrophe, l’idiot regarde Greta ! »
Et ce n’est pas peu dire, puisque l’immense popularité de Greta Thunberg a immédiatement généré des réactions tout aussi démesurées que l’idolâtrie dont elle a bénéficié. Passant de la psychologie de comptoir, jusqu’aux plus ridicules théories du complot, à peu près tout a été dit sur sa personne. Pourtant la réalité est assez banale. La jeune fille est devenue une icône, simplement parce qu’elle est apparue au moment opportun, mais surtout parce que les jeunes se reconnaissent en elle et les plus âgés y voient la génération qui fera face aux conséquences des choix des précédentes. Greta Thunberg est donc un « signifiant vide », comme dirait la théoricienne post-marxiste Chantal Mouffe. C’est-à-dire une entité dans lequel on se reconnait soi-même et qui est en mesure de fédérer des gens aux intérêts et volontés divergentes sur la base d’un projet unificateur. Il faut dire que la petite est aussi très bonne oralement et même si elle ne rédige surement pas elle-même ses discours, l’effet de ses reproches semble agacer certains politiques qui auraient bien aimé la récupérer politiquement (je pense ici tout particulièrement à Emmanuel Macron !).
Ce rôle de symbole de la défense de l’environnement est, comme je le mentionnais, accompagné de celui de « tête de Turque » pour ses opposants, ce qui fait que la vie de la jeune femme est désormais scrutée à la loupe afin d’y déceler la moindre trace de contradiction. Comme la solution au dérèglement climatique est encore perçue par bien des gens comme une question de vertu individuelle, la personne qui sermonne les décideurs se doit d’être un exemple d’intégrité écologique. « L’écologisme » serait, selon eux, comme une espèce « d’art de vivre », voire une « religion » qui impliquerait une simplicité volontaire radicale. En conséquence, le niveau de prise de parole devrait être au prorata de l’ascétisme affiché.
Cette façon de voir la cause de la sauvegarde de notre environnement est évidemment ridicule et est un simple stratagème pour faire taire le messager. Rappelons que la meilleure façon de lutter contre la prise de conscience de notre rôle sur le climat est bien sûr de tirer sur le messager en dénigrant la fausse « vertu de Sainte Greta ». De cette manière, on évite de parler des causes systémiques du problème et, comme personne n’est parfait, on finit fatalement par « jeter le bébé avec l’eau du bain », comme le dit si bien l’expression.
De l’autre côté, nous trouvons la sempiternelle bonne vieille bourgeoisie progressiste, au côté des activismes pour le climat, fin prête pour une énième tentative de récupération d’une cause qui est fatalement trop radicale pour elle. Dans le palmarès des farces douteuses, notons la présence de Justin Trudeau à la dernière marche pour le climat de Montréal. Marche qui avait pour principal objectif d’influencer le pourvoir en place ! Hormis l’énorme ironie que constitue la présence du premier ministre canadien dans une marche qui le vise directement, constatons que la récupération de la cause est devenue un problème presque plus grave encore que sa négation. Si la négation du problème par les climatosceptiques peut se combattre par des idées, des données scientifiques et beaucoup de patience, le « greenwashing » quant à lui endort les consciences dans la pensée magique tout en maintenant en place la source même du problème. C’est-à-dire l’anarchie économique que constitue le libéralisme économique.
Je souligne ici « libéralisme économique » et non le terme plus englobant de « capitalisme », car il existe bien des formes de capitalisme autoritaire qui pourraient très bien s’adapter à la rareté et se maintenir dans des activités économiques liées à la survie des pauvres. Autrement dit, s’enrichir sur la faim, le froid et la maladie d’une classe dont on a coupé toute forme d’ascenseur social [1]. Ce type de capitalisme étant particulièrement répugnant, il ne peut bien sûr pas être promu par quiconque se présente à des élections. A contrario, le libéralisme économique a historiquement justifié les inégalités par une théorie éthique. Selon cette idéologie, l’inégalité serait le résultat de la « liberté » ! Ce serait nos capacités personnelles dans le cadre de la compétition qui seraient à l’origine de notre position sociale et non pas le capital social, culturel et économique que comporte notre classe sociale d’origine [2].
La malice du libéralisme ne se limite évidemment pas à ça, puisqu’il y a aussi une certaine redistribution dans sa version dite progressiste. Néanmoins, cette redistribution est au fort prix d’une croissance économique constante, puisque la bourgeoisie n’est pas généreuse au point de limiter ses attentes de profits liées à sa position sociale et à ses droits sur les moyens de production. Les classes moyennes et populaires peuvent bien se partager les surplus de la croissance, mais en autant quelles consommes suffisamment pour la soutenir et, plus important encore, qu’il y ait suffisamment de croissance pour d’abord satisfaire l’actionnariat et le système financier.
Vous tous qui savez pertinemment que l’économie n’est pas en grande forme et que la croissance n’est plus au rendez-vous, devez deviner que le logiciel libéral-progressiste (ou social-démocrate) a du plomb dans l’aile depuis que les libéralisations massives de l’ère postsoviétique ont saccagé le compromis keynésien d’après-guerre. Comme le modèle néolibéral redoute plus que toute l’inflation, les besoins de crédits et l’investissement passent désormais par la dette publique & privée et engendrent des bulles spéculatives monstrueuses. Le besoin de croissance économique est donc devenu absolument nécessaire afin de simplement éviter le krach qu’occasionnerait l’éclatement de ces bulles [3].
Dans ces conditions, la redistribution et la planification économique, qui devrait être la base même de la reprise économique, sont devenues les ennemies à abattre. De là les accusations ridicules de « communisme », que chantonne la droite réactionnaire à tout va, lorsqu’il est question de changement de paradigme. Il en va de même de l’écologie politique, car le sérieux de l’enjeu impose de revenir sur terre, alors que notre société semble incapable de réaliser que le capitalisme n’est qu’une façon comme une autre d’organiser le travail humain. La fameuse opposition entre « économie » et « écologie » n’a de sens que dans ce refus de voir la réalité.
Greta Thunberg martèle qu’il faut écouter les scientifiques. C’est vrai, mais ceux-ci sont bien avare de solution politique et c’est bien normal, ce n’est pas leur rôle. Cependant, il est bien difficile de faire l’impasse sur un point, c’est-à-dire la décroissance, puisque la production de gaz à effet de serre est directement liée à l’activité économique. Mais qui dit décroissance, dit rareté donc gestion et planification. Et qui dit gestion et planification dit redistribution, puisque la croissance n’est plus là pour gaver les riches tout en entretenant une consommation décente pour le reste de la population.
Les scientifiques évitent et récusent généralement le concept, mais tout ça fait vachement penser à du socialisme ! C’est pourquoi la droite réactionnaire parle (à juste titre d’ailleurs) « d’idéologie pastèque », c’est-à-dire verte à l’extérieur et rouge à l’intérieur. Cependant, les partis politiques dits écologistes restent très discrets eux aussi sur la question. Parfois volontairement, pour des raisons électoralistes, mais, plus souvent, parce qu’incapable de sortir eux-mêmes du paradigme du libéralisme économique. C’est pour cette raison que la rhétorique des « petits gestes » est aussi présente dans les têtes et les discours. Et c’est aussi pour cette raison que le greenwashing a à ce point monopolisé le problème environnemental. Comme ils ont peur de dire les choses comme elles le doivent, on tourne autour du pot et on attend de régler la quadrature du cercle ! Mais pendant ce temps le climat continue de changer et les années se perdent.
Dans un article sur le cas du 3e lien à Québec, j’avais proposé de revoir l’urbanisme des villes afin de réduire, non pas le transport routier, mais le besoin de transport. Ici, il m’apparait clair que l’anarchie productiviste qu’impose le modèle économique des traités de libre-échange est l’une des raisons qui provoquent la grande majorité des GES, mais aussi limite la souveraineté politique des États[4], donc leur possibilité d’agir sur l’économie et le climat. Cette situation est aisément compréhensible, puisque ces traités sont justement signés dans le but d’entrainer de la croissance.
À l’inverse, c’est le circuit court qui doit être envisagé et tout ce qui peut être relocalisé doit l’être par principe. Cependant, ce genre de politique va à l’encontre des volontés d’enrichissement de la bourgeoisie (qu’elle soit de droite ou de gauche) et impose la redistribution, sans quoi le système d’échange se bloquera rapidement [5].
Comme on le voit, derrière l’écologie politique, se cache réellement un projet socialiste. Peut-être pas du genre marxiste-léniniste, mais socialiste quand même ! Il me semble urgent que les partis verts du monde le réalisent, car autrement ils seront dans l’incapacité de faire autre chose que ce que font déjà les vieux partis sociaux-démocrates et libéraux-progressistes. C’est-à-dire, taxer et sermonner les pauvres pour un mode de vie que les bourgeois ont imposé et construit à leur seul profit !
Benedikt Arden (octobre 2019)
[1] Je pense ici à un capitalisme de « castes », dans lequel la bourgeoisie devient héréditaire en droits et dont la liberté économique est supprimée au profit des privilèges. Autrement dit, un capitalisme féodal.
[2] Pour les intéressés, j’ai rédigé un texte qui traite spécifiquement de la question.
[3] Je résume évidemment ici à l’excès !
[4] Il n’est pas ici question de nationalisme, puisque la souveraineté est également nécessaire à la coordination internationale en fut d’une décroissance équitable.
[5] Les riches ont besoin des bras des pauvres, mais aussi qu’ils consomment. C’est ce qu’avait compris la bourgeoisie antiesclavagiste aux É-U lors de la Guerre de Sécession.