Depuis deux mois, un collectif d’enseignants, d’élèves et de parents d’élèves, soutenu par les élus du Département et de la Région, par les deux députées* et l’association des Maires, réclament la venue de M. Darcos afin d’adapter la réforme aux réalités locales. En vain.
Après de nombreuses manifestations sans effet, le mouvement s’est amplifié et durci. Cela fait maintenant trois semaines que le Rectorat de Cayenne et l’Inspection académique de St Laurent du Maroni sont occupés. Ces « Piquets de grève » sont l’expression même d’une contestation énergique et déterminée.
Le 3 juin dernier, la colère est montée d’un cran suite à la répression musclée de la manifestation de près de 800 personnes par les forces de l’ordre devant la Sous-préfecture à Saint-Laurent du Maroni. Cela n’a fait qu’exaspérer davantage les parents d’élèves qui en réponse ont bloqué les écoles et collèges de la ville les 4, 5 et 6 juin. Cette réaction, face au mutisme des autorités compétentes, montre le profond malaise des parents quant à l’avenir de leurs enfants.
En effet, si cette question est la préoccupation des enseignants, elle est avant tout celle d’une société en crise.
La multi culturalité caractérisée par la non francophonie** d’une grande partie de la population, l’explosion démographique marquée par la présence de 7 000 enfants scolarisés sur 20 000 habitants à Saint-Laurent du Maroni et encore le contexte socio-économique défavorable (40% de chômage dans l’ouest du département) rendent l’avenir de la Guyane périlleux.
L’école est un enjeu majeur de la réussite guyanaise mais elle peine à accomplir sa mission. La non-scolarisation, la scolarisation tardive de trop d’enfants, la fermeture de classes de Petite Section, le manque d’infrastructures et de classes spécialisées, le manque de personnel remplaçant, le déficit de formation des enseignants et le fort turn-over au sein des équipes pédagogiques sont autant d’aberrations qui ne permettent pas de venir à bout des difficultés.
Au final, le taux de réussite aux évaluations d’entrée en sixième est le plus bas de France (20% dans l’ouest pour une moyenne nationale à 60%), celui des examens est catastrophique, plaçant collèges et lycées de Guyane parmi les derniers de France***.
Si les moyens actuels ne permettent d’assurer la mission de service public qui incombe à l’éducation en Guyane, la seule création de 25 postes peut-elle répondre à l’arrivée massive de 1200 élèves dans le système scolaire à la rentrée 2008 ?
L’avenir de la Guyane est aujourd’hui en jeu. Tous savent qu’il ne peut se faire sans une école de qualité.
Le collectif de l’ouest
Pour une école de qualité
* Me Berthelot pour la circonscription de l’ouest et Me Taubira pour celle de l’est.
**. le français, n’est pas la langue maternelle pour la plupart des enfants et La culture de l’écrit et de l’école reste toute récente pour les communautés amérindienne et bushinengue (ou « noir-marron »), de tradition orale.
*** Au collège Othily à Mana, 25% des élèves sont non-lecteurs à l’arrivée en 6ème ; A St Laurent, 35% de la classe d’âge concernée se présente au Baccalauréat général avec 53% de réussite en 2007 pour le lycée Bertène Juminer , devant le LPO St Laurent II à 45,2%.
EN COMPLEMENT
En Guyane, la fusée décolle... pas l’école !
Lettre ouverte au Président de la République
Monsieur le Président,
En Guyane, sur 10 jeunes d’une classe d’âge, 3 seulement obtiennent leur Bac, 5 sortent du système éducatif sans aucune qualification, plus d’un élève sur deux entre au collège sans maîtriser correctement le français et/ou la lecture, le taux d’échec aux évaluations de CM1/CM2 est de 80%, 3000 enfants ne sont pas scolarisés, 20% des enseignants sont des contractuels avec peu de possibilités de titularisation… Voici résumées brièvement les conséquences désastreuses de décennies d’incurie de l’Etat à l’égard de l’Ecole en Guyane.
Les difficultés que rencontre notre département sont multiples : démographie galopante, taux de chômage record, isolement et éloignement géographique, majorité des élèves n’ayant pas le français comme langue maternelle, scolarisation tardive, manque d’internats et de structures d’accueil, pénurie d’enseignants titulaires, manque d’équipements et d’outils pédagogiques dans les établissements…
Ce constat et cette situation sont parfaitement connus des services de l’Education Nationale. De nombreuses missions se sont déjà rendues en Guyane et ont émis des recommandations souvent restées lettre morte. Les plans se sont succédé sans pour autant apporter d’amélioration significative. La pirogue de l’Ecole est prête à couler mais peu importe, pourvu que la fusée décolle !
La Guyane est-elle condamnée à rester en état de sous-développement éducatif ? Les enseignants ne peuvent l’accepter. Ils ont manifesté leur désaccord et leur colère dès le 28 février, puis le 14 mars lors de l’élaboration des cartes scolaires 1er et 2nd degré en comité technique paritaire. Suite à l’absence de réponse de la part du recteur la mobilisation s’est amplifiée et élargie aux parents d’élèves et lycéens, en particulier dans l’ouest du département, où la situation est spécialement critique ; finalement les élus (présidents des Conseils Général et Régional, députées, sénateur, maires) et de nombreuses composantes de la société civile ont apporté leur soutien au mouvement. Six grèves se sont déjà succédé avec une participation massive et des manifestations sans précédents, un piquet de grève est installé au rectorat jour et nuit depuis le 20 mai. A ces cris de révolte le Recteur ne répond que par un silence méprisant et une absence totale de volonté de dialogue.
Voilà maintenant deux mois que l’ensemble de la communauté éducative de Guyane (hormis le rectorat !) réclame les moyens nécessaires au rattrapage du retard accumulé et à l’accompagnement de l’évolution démographique. Contrairement aux affirmations du Ministre de l’Education Nationale, la Guyane n’a jamais bénéficié de dotations permettant de relever ces deux défis. Les effectifs par classes sont plus élevés que la moyenne nationale avec des conditions de travail beaucoup plus difficiles. Nous convenons que l’augmentation du nombre de postes d’enseignants n’est pas la condition unique pour la réussite des élèves, mais c’est une condition nécessaire, surtout ici. L’innovation et l’expérimentation n’y suffiront pas.
Monsieur le Président, n’avez-vous pas déclaré souvent et répété le lundi 2 juin « qu’il faut donner plus à ceux qui ont moins » ? Ne venez-vous pas d’affirmer ce même jour que « chacun, où qu’il se trouve et d’où qu’il vienne, aura un égal accès au savoir ». N’avez-vous pas fait inscrire dans la loi le droit opposable à l’éducation ? Alors, nous vous prenons au mot : agissez en accord avec vos déclarations et donnez-nous les moyens, comme vous en avez le devoir, de scolariser tous les enfants de Guyane et de leur accorder les mêmes chances de réussite que tous les autres enfants de la République.
A laisser la situation en l’état vous installeriez ici une véritable poudrière. La population guyanaise a déjà démontré par le passé qu’elle était capable de réagir très brutalement face à l’injustice. Les innombrables jeunes laissés sur le bord de la route sans aucune formation ni espérance, livrés à l’illettrisme, l’oisiveté et la rancoeur à l’égard d’un système qui ne leur a pas donné leur chance constituent l’étincelle qui pourrait bien mettre le feu aux poudres.
C’est pourquoi nous vous demandons de donner pour mission au Recteur de la Guyane d’ouvrir de véritables négociations et de lui accorder les moyens de réajuster la dotation pour la rentrée 2008 en fonction des réels besoins de l’académie d’une part, et d’autre part de mettre en place une structure permanente, dotée de moyens propres, regroupant toutes les parties prenantes de l’Education en Guyane qui pourrait intervenir à plus long terme sur la politique éducative dans ce département. Nous vous assurons, Monsieur le Président, de notre attachement sans faille à la qualité du service public d’éducation en Guyane.
A Cayenne, le 5 juin 2008
Pour la délégation académique*,
Jean-Noël Grandvillemin
*La délégation académique regroupe les syndicats SE-UNSA, A&I-UNSA, FSU, SNCL-FAEN, STEG-UTG, SUD-Education, SGEN-CDTG-CFDT, SGPEN-CGT, SNETAA-EIL, les collectifs de l’Ouest et le CENT (Collectif des Enseignants Non Titulaires), la FCPE et l’UNL