RSS SyndicationTwitterFacebook
Rechercher

Du français (VII)

Au XVIIIe siècle, la langue de la classe dirigeante française devient la langue de la diplomatie internationale, tout autant que des cours européennes (Madrid exceptée). Le roi de Prusse, le tsar de Russie parlent français comme ils respirent. Comme poète, le roi de Prusse rivalise avec Voltaire en expliquant qu’il parle allemand à ses soldats et français avec ses pairs. Les éminences portent des toasts en français avant de rédiger des traités en français. On apprend encore le latin, non pour le parler quotidiennement, mais pour y trouver des idées, des structures et des phrases toute faites. On dit que l’italien est la langue de l’amour et l’anglais la langue des chevaux. Quand on pense que le français avait été la langue des rois d’Angleterre jusqu’à Henri VIII ! Que les devises royales étaient exprimées en français : « Dieu et mon droit », « Honni soit qui mal y pense » ! Environ 70% du lexique anglais vient du français, du normand et du latin. Le paysan saxon dit sheep pour mouton tandis que le seigneur francophone dit mutton. Même chose pour ox (Oxford : le gué où passent les bœufs) et beef, calf et veal, pig (ou swine) et pork (swinish, porcine). « There’s no French word for entrepreneur », pensait se moquer Bush, l’ignoramus.

Quand Rivarol écrit son Discours sur l’universalité de la langue française en 1784, il y croit. Ce discours avait été commandé par l’Académie de Berlin. Vingt-et-un candidats avaient répondu à la question « Qu’est-ce qui a rendu la langue française universelle. Pourquoi mérite-telle cette prérogative ? est-il à présumer qu’elle la conserve ? » Pour le pamphlétaire royaliste d’origine piémontaise (le nom de la famille était Rivaroli), la France et sa langue éclairent le monde : « L’Angleterre, témoin de nos succès, ne les partage point. Sa dernière guerre avec nous la laisse dans la double éclipse de la littérature et de sa prépondérance, et cette guerre a donné à l’Europe un grand spectacle. On y a vu un peuple libre conduit par l’Angleterre à l’esclavage, et ramené par un jeune monarque à la liberté. L’histoire de l’Amérique se réduit désormais à trois époques : égorgée par l’Espagne, opprimée par l’Angleterre et sauvée par la France ». Le français est un phare pour l’humanité, selon, Rivarol, car « Ce qui distingue notre langue des langues anciennes et modernes, c’est l’ordre et la construction de la phrase. Cet ordre doit toujours être direct et nécessairement clair. Le français nomme d’abord le sujet du discours, ensuite le verbe qui est l’action, et enfin l’objet de cette action : voilà la logique naturelle à tous les hommes ; voilà ce qui constitue le sens commun. Or cet ordre, si favorable, si nécessaire au raisonnement, est presque toujours contraire aux sensations, qui nomment le premier l’objet qui frappe le premier. C’est pourquoi tous les peuples, abandonnant l’ordre direct, ont eu recours aux tournures plus ou moins hardies, selon que leurs sensations ou l’harmonie des mots l’exigeaient ; et l’inversion a prévalu sur la terre, parce que l’homme est plus impérieusement gouverné par les passions que par la raison ». Il justifie sa proposition par l’exemple suivant : « Tout le monde a sous les yeux des exemples fréquents de cette différence. Monsieur, prenez garde à un serpent qui s’approche, vous crie un grammairien français ; et le serpent est à vous avant qu’il soit nommé. Un Latin vous eût crié : serpentem fuge ; et vous auriez fui au premier mot sans attendre la fin de la phrase. En suivant Racine et La Fontaine de près, on s’aperçoit que, sans jamais blesser le génie de la langue, ils ont presque toujours nommé le premier l’objet qui frappe le premier, comme les peintres placent sur la première terrasse le principal personnage du tableau ».

Cela dit, les parlers régionaux ont résisté. Malgré la sentence de mort de L’Encyclopédie : le patois est un « langage corrompu tel qu’il se parle presque dans toutes les provinces. On ne parle la langue que dans la capitale. » Mais, d’un autre côté, à l’époque des Lumières, l’État et l’Église estimaient que l’instruction était dangereuse pour le peuple. C’est pourquoi, vers 1760, le français était enseigné à dose homéopathique, aux garçons du peuple. Les instits’ étaient encore plus mal payés et considérés qu’aujourd’hui. Dans les lycées et l’université, l’enseignement se faisait principalement en latin. L’abbé Grégoire, qui réclamera l’abolition totale des privilèges et de l’esclavage, estime, à l’époque de la Révolution française, que 10% des Français ont une bonne connaissance de la langue.

Talleyrand propose d’éradiquer les dialectes (« dernier reste de la féodalité ») à l’école. Pour Grégoire, il est possible de généraliser l’usage du français : « […] on peut uniformiser le langage d’une grande nation […]. Cette entreprise qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale et qui doit être jaloux de consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l’usage unique et invariable de la langue de la liberté ». En 1863, Victor Duruy qui, en tant que ministre de l’Instruction publique, avait obligé chaque commune de plus de 500 habitants à construire une école de filles, lance une grande enquête qui montre que 25% des Français sont des patoisants monolingues. Quatre ans plus tard, cette proportion tombe à 10%.

E la nave va ...

Fin

URL de cet article 31023
   
Même Auteur
Claude Lanzmann. Le Lièvre de Patagonie. Paris : Gallimard, 2009.
Bernard GENSANE
Il n’est pas facile de rendre compte d’un livre considérable, écrit par une personnalité culturelle considérable, auteur d’un film, non seulement considérable, mais unique. Remarquablement bien écrit (les 550 pages ont été dictées face à un écran d’ordinateur), cet ouvrage nous livre les mémoires d’un homme de poids, de fortes convictions qui, malgré son grand âge, ne parvient que très rarement à prendre le recul nécessaire à la hiérarchisation de ses actes, à la mise en perspective de sa (…)
Agrandir | voir bibliographie

 

Que ce soit bien clair : nous avons commis des erreurs, évidemment. Et nous en commettrons d’autres. Mais je peux te dire une chose : jamais nous n’abandonnerons le combat pour un monde meilleur, jamais nous ne baisserons la garde devant l’Empire, jamais nous ne sacrifierons le peuple au profit d’une minorité. Tout ce que nous avons fait, nous l’avons fait non seulement pour nous, mais aussi pour l’Amérique latine, l’Afrique, l’Asie, les générations futures. Nous avons fait tout ce que nous avons pu, et parfois plus, sans rien demander en échange. Rien. Jamais. Alors tu peux dire à tes amis "de gauche" en Europe que leurs critiques ne nous concernent pas, ne nous touchent pas, ne nous impressionnent pas. Nous, nous avons fait une révolution. C’est quoi leur légitimité à ces gens-là, tu peux me le dire ? Qu’ils fassent une révolution chez eux pour commencer. Oh, pas forcément une grande, tout le monde n’a pas les mêmes capacités. Disons une petite, juste assez pour pouvoir prétendre qu’ils savent de quoi ils parlent. Et là, lorsque l’ennemi se déchaînera, lorsque le toit leur tombera sur la tête, ils viendront me voir. Je les attendrai avec une bouteille de rhum.

Ibrahim
Cuba, un soir lors d’une conversation inoubliable.

© Copy Left Le Grand Soir - Diffusion autorisée et même encouragée. Merci de mentionner les sources.
L'opinion des auteurs que nous publions ne reflète pas nécessairement celle du Grand Soir

Contacts | Qui sommes-nous ? | Administrateurs : Viktor Dedaj | Maxime Vivas | Bernard Gensane
Le saviez-vous ? Le Grand Soir a vu le jour en 2002.