Pour avoir une idée de la crise du leadership politique, le quotidien conservateur rappelle que le président français a recueilli dernièrement 15 % d’opinions favorables, un résultat bien en-deçà de celui de son prédécesseur qui s’était pourtant distingué parmi les dirigeants français les plus impopulaires. Son parti, l’Union pour un mouvement populaire, ne l’était que par le nom.
Dix-huit mois après son élection, François Hollande est désavoué par une majorité écrasante de citoyens français. Mais ce qui est frappant, ce n’est pas tant son très faible niveau de popularité que la rapidité avec laquelle la chute est survenue. La crise et ses effets ont bien entendu leur part de responsabilité : un taux de chômage élevé, une hausse de la TVA qui touchera principalement les salariés, la prolifération des manifestations dans plusieurs secteurs industriels, etc. Même le secteur agricole est touché. Indépendamment des critiques envers le gouvernement socialiste, ses adversaires dans les rangs de la droite estiment que la figure-même du chef d’État est contestée, vilipendée. Sa capacité à prendre des décisions stratégiques et son autorité sont clairement mises en cause : deux qualités que devrait posséder tout dirigeant.
Certains analystes politiques parlent d’une droitisation de la vie politique française, rêvant plus ou moins secrètement du retour de l’UMP au pouvoir… quand ce n’est pas de l’ascension au pouvoir de Marine Le Pen qui ne cesse de gagner le cœur des media et de la société en crise de paradigmes.
En Grande-Bretagne, le Premier ministre David Cameron glisse lentement vers les abîmes, ne recueillant que 39 % d’opinions favorables. Il avait chuté en mars 2013 à seulement 31 %. Le gouvernement Cameron est marqué par le scandale des écoutes téléphoniques et sa défaite parlementaire dans sa tentative de faire approuver l’intervention militaire britannique en Syrie, à la fin du mois d’août 2013. Pourtant, la Grande-Bretagne connaît un des taux de croissance les plus élevés parmi les pays développés… ce qui est une source de joie prématurée pour la bourgeoisie européenne. Ce qui est intéressant à observer, c’est plutôt l’écart entre la série des bonnes nouvelles relatives à l’économie et le fait que les consommateurs ne perçoivent pas d’amélioration de leur situation personnelle…
L’Allemagne est un cas à part. La première puissance européenne est moins touchée par le désenchantement qui sévit ailleurs sur notre continent. Angela Merkel a été réélue brillamment en septembre. Elle a connu son apogée dans les sondages avec 67 % d’opinions favorables. Le principal centre économique du capitalisme européen a renforcé son économie alors que les autres puissances ont perdu en compétitivité. Quant aux pays les moins développés (situés pour la plupart en périphérie), ils s’appauvrissent.
Dans un contexte gagné par l’euroscepticisme, Angela Merkel est l’exception qui confirme la règle. La chancelière allemande connaît, contrairement à ses homologues européens, une popularité qui n’est jamais tombée en-dessous de 60 % d’opinions favorables au cours des dernières années. Elle a même terminé son deuxième mandat à la tête de la République fédérale avec un soutien plus populaire qu’au début du premier, en 2005. Ceux qui connaissent Merkel estiment que son style sobre et sa façon de gouverner expliquent en partie cela. Mais la principale force de Merkel réside dans les très bons résultats économiques de l’Allemagne. C’est la première puissance économique européenne et la quatrième au monde.
La situation est plus ou moins la même outre-Atlantique. Le président étasunien a atteint son plus bas taux de popularité depuis qu’il est arrivé au pouvoir en 2008. Seuls 39 % des Américains interrogés début novembre par l’institut Quinnipiac approuvaient sa politique, contre 45 % un peu plus tôt. Il semble payer la réforme du système de santé et surtout les dysfonctionnements survenus lors de sa mise en œuvre. Toujours selon l’institut, à peine 19 % des sondés pensent que le système de santé va s’améliorer alors que 43 % estiment que la situation s’aggravera au contraire. Le président payerait également les errements de la politique étasunienne en matière d’espionnage sous couvert de la lutte contre le terrorisme.
L’impopularité du leadership politique dans les puissances occidentales n’est pas un phénomène nouveau. Il est allé en s’accentuant avec la crise économique. Mais les partis politiques traditionnels connaissent surtout une véritable crise d’identité. Et dans cette crise, l’électoralisme a toute sa part de responsabilité. Le fossé ne cesse depuis plusieurs années de se creuser entre le discours et l’action politique, alors que le divorce avec la base qui les soutenait jusque-là semble bel et bien consommé.
L’État-providence n’a cessé d’être malmené depuis les années quatre-vingt, y compris sous les gouvernements dits socialistes, et le cours des choses semble a priori irréversible, en dépit des organisations et des mouvements sociaux toujours à la recherche d’alternatives politiques et économiques. La détermination des groupes de pouvoir d’adapter la société européenne, dans son ensemble, au contexte imposé par l’internationalisation des rapports de production capitalistes, est responsable de ce processus. La construction de l’Union européenne sur des bases néolibérales en est une des faces les plus visibles.
Cette politique a conduit à l’effondrement des indicateurs sociaux en Europe. Les taux de chômage explosent, et les services sanitaires, l’éducation, les systèmes de retraite sont partout en souffrance. Aujourd’hui, tous les media s’attachent à faire de l’élection un enjeu central.
Pourtant, quel que soit le président élu, les plans de rigueur et d’austérité vont se multiplier. Austérité de droite… contre austérité de gauche. Cela fait longtemps que les peuples d’Europe n’ont pas souffert à ce point. D’aucuns attendent une réponse démocratique à leurs problèmes. Pourtant, la nécessité de détruire l’ancien monde pour construire le nouveau s’impose comme une évidence, fût-ce par tous les moyens. Et ceux qui pourraient s’offusquer feraient mieux de se rappeler que la démocratie bourgeoise n’autorise la violence que quand elle est de son légitime ressort… c’est-à-dire quand les oppresseurs et leurs instruments d’oppression sont menacés.
Capitaine Martin, Jeudi 12 décembre 2013.